Combien y a-t-il d’oiseaux dans le monde ?
Une nouvelle étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences recense environ 92 % de toutes les espèces d’oiseaux connues.
Une nuée de pigeons s’envole d’un toit dans le quartier Bushwick à Brooklyn. Combien de pigeons sont présents ? D’ailleurs, combien y a-t-il d’oiseaux ? Une nouvelle étude tente de répondre à cette question.
En 2015, dans un marais des Everglades, le biologiste Corey Callaghan observait une énorme volée d’hirondelles bicolores (Tachycineta bicolor) virevolter devant le Soleil à l’aube. Alors que la nuée d’oiseaux passait au-dessus de sa tête, M. Callaghan est resté bouche bée. Il se demandait combien d’hirondelles bicolores composaient cette nuée et combien l'on trouvait d'oiseaux dans le monde.
« C’était une expérience incroyable. » Motivé, il s’est mis à compter le nombre d’oiseaux qui formaient la volée qu’il venait d’observer : plus de 500 000. Il a réussi à obtenir ce chiffre en prenant des photos, comptant ainsi les oiseaux présents dans différentes parties de l’image, qu’il délimitait en les agrandissant.
Recenser tous les oiseaux du monde serait un travail bien plus compliqué, et ce, pour des raisons évidentes. Toutefois, des années plus tard, M. Callaghan a été le premier à proposer un nombre précis, tout du moins une fouchette plausible. Dans une nouvelle étude, lui et deux autres chercheurs de l’université de Nouvelle-Galles du Sud à Sydney ont estimé qu’il y avait entre 50 et 428 milliards d’oiseaux sur Terre.
La fourchette est très large car il existe un certain nombre d’incertitudes. Il est particulièrement difficile de compter des milliards de petits animaux capables de voler, qui se déplacent sur de vastes étendues parfois mal délimitées. En outre, de nombreuses régions du monde manquent de données scientifiques sur leurs populations aviaires.
L’étude, publiée le 17 mai dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, utilise une méthodologie unique. Elle combine les données offertes tant par des organisations de scientifiques que par des citoyens. Aussi, elle couvre 92 % de toutes les espèces d’oiseaux du monde.
Il s’agit de la première tentative d’estimation de la taille de la population aviaire mondiale, espèce par espèce. Pourtant selon Corey Callaghan, cette initiative arrive trop tard. « Nous avons passé énormément de temps et fait beaucoup d’efforts pour recenser le nombre d’êtres humains mais nous devons faire en sorte de garder un œil sur toute la biodiversité avec laquelle nous partageons la planète. »
BEAUCOUP D’HIRONDELLES, PEU D’INDIVIDUS RARES
Selon la nouvelle recherche, l’oiseau sauvage le plus commun du monde est le moineau domestique (Passer domesticus), dont la population atteint les 1,6 milliard. En deuxième position se trouve l’étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris) avec 1,3 milliard d’individus, suivi du goéland à bec cerclé (Larus delawarensis) avec 1,2 milliard, l’hirondelle rustique (Hirundo rustica) avec 1,1 milliard, le goéland bourgmestre (Larus hyperboreus) avec 949 millions et enfin la moucherolle des aulnes (Empidonax alnorum) avec 896 millions.
Les scientifiques n’ont pas été surpris : seule une poignée d’espèces était très abondante tandis que de nombreuses autres, plus rares, ne comptaient que quelques individus. Il s’agit d’un phénomène courant en écologie. Au total, l’équipe a estimé que 1 180 espèces d’oiseaux, soit 12 % de l’ensemble des espèces connues, comptent moins de 5 000 individus.
Si une espèce possède une population de moins de 2 500 individus, l’Union internationale pour la conservation de la nature la qualifie comme « en danger ».
On peut notamment citer le kiwi roa (Apteryx haastii), dont la population totale est estimée à 377 oiseaux, l’aigle de Java (Nisaetus bartelsi), avec 630 individus ou encore la crécerelle des Seychelles (Falco araeus), qui compte moins de 100 individus. Toutes ces espèces sont considérées comme rares. En ce qui concerne les hirondelles bicolores qui ont piqué la curiosité de M. Callaghan, elles seraient au nombre de 24 millions, selon l’étude.
À titre comparatif, on estime que le nombre de poules domestiques dans le monde s’élève à 25 milliards, ce qui en fait l’oiseau le plus répandu au monde. Il convient toutefois de noter que cette étude ne se penchait que sur les oiseaux sauvages.
Il est difficile de préciser combien d’oiseaux ont disparu ces dernières décennies. Cette étude vient fournir une estimation, permettant ainsi d’établir un point de référence. En 2019, une recherche avait estimé que le nombre d’oiseaux adultes reproducteurs en Amérique du Nord avait chuté de 3 milliards depuis 1970.
La singularité de cette étude réside dans le fait qu’elle combine les données provenant de professionnels comme celles de particuliers, explique Lucas DeGroote, chercheur au Carnegie Museum of Natural History’s Powdermill Avian Research Center.
« C’est très ambitieux. C’est un grand projet que d’essayer de compter le nombre d’oiseaux dans le monde entier. Ils ont beaucoup réfléchi et ils ont effectué tout ce qui pouvait être fait pour être le plus précis possible. »
LA VULNÉRABILITÉ DE LA NATURE
Les chercheurs se sont appuyés sur des ensembles de données compilés par des experts du monde entier pour les organisations scientifiques Partners in Flight, the British Trust for Ornithology et BirdLife International. Ils ont couplé ces données aux observations issues du site eBird, la plus grande base de données collectées par des citoyens scientifiques, en l’occurrence, des ornithologues amateurs.
Dans de nombreux cas, l’équipe de scientifiques a remarqué que la densité et l’estimation des populations fournies par les professionnels et les citoyens scientifiques étaient relativement proches. Pour de nombreuses espèces, les données professionnelles manquaient. Ils ont alors estimé la taille de leurs populations en introduisant les données de eBird dans leur modèle informatique.
Naturellement, les chercheurs sont les premiers à admettre qu’il subsiste de nombreuses incertitudes quant à leurs estimations. Mais ce qui rend cette étude si importante, c’est précisément qu’elle quantifie cette incertitude. Elle fournit ainsi des fourchettes plausibles du nombre d’individus pour des milliers d’espèces d’oiseaux, indique Thomas Brooks, directeur scientifique à l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui n’était pas impliqué dans la nouvelle étude.
Ken Rosenberg, scientifique spécialisé en conservation au Cornell Lab of Ornithology, estime que la nouvelle recherche est une « tentative audacieuse ». Il invite toutefois à la prudence lors de l’interprétation de ces données puisqu’elles sont très variables et incertaines.
Sans parler des estimations globales, M. Rosenberg explique qu’il « est difficile de se fier aux chiffres individuels pour chaque espèce. Ils ont en quelque sorte lancé un défi [aux autres chercheurs]. Si vous n’aimez pas ce nombre, essayez d’en trouver un meilleur. »
Pour M. Brooks, cette étude illustre parfaitement la préciosité de nombreuses espèces d’oiseaux. Elle prouve à quel point elles pourraient se retrouver proches de l’extinction si elles devaient faire face à de nouvelles menaces.
« [L’étude] nous sensibilise à la vulnérabilité de la nature. Nous devons surveiller attentivement l’environnement et l’impact que nous avons sur lui », avertit M. Brooks.
M. DeGroote acquiesce. « Si l’on souhaite conserver [des espèces], nous devons savoir combien [d’individus] elles comportent et quelle est leur évolution. Il s’agit d’un très bon outil pour mesurer les populations à l’avenir. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.