Comme les humains, les chimpanzés pleurent la mort de leurs proches
Les chimpanzés ont une meilleure conscience de la mort et du deuil que ce que l'on pensait. À bien des égards, cela ne devrait pas vous surprendre : ces animaux ont conscience d'eux-mêmes et sont empathiques.
Avec les bonobos, les chimpanzés sont nos plus proches parents vivants. Nous partageons avec eux 98,7 % de notre patrimoine génétique. Les humains et les chimpanzés auraient également un ancêtre commun qui vivait il y a 7 à 13 millions d'années.
Le 7 décembre 2008, au cœur de l'Écosse, une chimpanzée appelée Pansy est morte paisiblement. Elle avait plus de 50 ans et vivait sur une île du Blair Drummond Safari Park avec trois autres chimpanzés - sa fille Rosie, une autre femelle adulte nommée Blossom et Chippy, le fils de Blossom.
Leur réaction à son décès a été enregistrée par les caméras du parc et il est difficile de les distinguer de réactions humaines. Les survivants ont pris soin de Pansy jusqu'à son dernier souffle, examinant son corps à la recherche de signes de vie et évitant ensuite l'endroit où elle est morte. Rosie a même mené l'équivalent d'une veillée nocturne.
Ces images donnent un aperçu rare de la façon dont l'un de nos plus proches parents fait face à la mort. Un second exemple a eu lieu à plusieurs milliers de kilomètres de là, dans les forêts de Bossou, en Guinée. En 2003, un virus respiratoire a tué cinq chimpanzés, dont deux juvéniles, Jimato et Veve.
Leurs mères, Jire et Vuavua, ont porté les corps sans vie de leurs bébés pendant 68 et 19 jours respectivement. Elles ont toiletté leurs petits sans vie et chassé les mouches qui les entouraient. Même après que les deux petits se sont complètement momifiés, les mères les ont encore portés, sous le regard d'autres membres de leur groupe (voir photos ci-dessous).
Ces exemples de deuil tranquille diffèrent de beaucoup des autres exemples précédemment documentés. Au parc national de Gombe Stream, en Tanzanie, la mort d'un mâle tombé d'un arbre a été accueillie par une éruption de cris. Les autres mâles ont lancé des cris d'alarme et fait montre d'agressivité, et ils se sont touchés et tenus les uns les autres. Ils ont fixé et reniflé le cadavre, mais nul n'a osé le toucher. Quatre heures plus tard, le groupe est parti, laissant le corps sans vie de son membre derrière lui.
Ailleurs, dans le parc national de Taï, en Côte d'Ivoire, un léopard a mortellement mutilé une jeune femelle et la même excitation collective a été observée. Cette fois, les autres chimpanzés ont à plusieurs reprises touché le corps et certains mâles l'ont même traîné sur de courtes distances avant de l'abandonner. Dans d'autres cas, il a été démontré que les chimpanzés attaquaient ou même se nourrissaient des cadavres de nourrissons, malgré les protestations de leurs mères.
Les congénères de Pansy, eux, sont restés calmes, observant une réelle retenue. Lorsqu'on étudie le comportement des animaux, il est toujours important d'éviter le piège de l'anthropomorphisme, mais on ne peut s'empêcher de faire des comparaisons entre les actions de Rosie, Blossom et Chippy et les réactions que des humains peuvent avoir face à une mort paisible.
Les dernières heures de Pansy ont été documentées par Alasdair Gillies, gardien en chef à Blair Drummond. Pansy a commencé à devenir léthargique en novembre et a reçu des soins vétérinaires. Ses compagnons chimpanzés semblaient savoir que quelque chose n'allait pas. Au lieu de dormir sur leurs plates-formes habituelles, ils se sont installés près d'elle. À 16 heures le 7 décembre 2008, elle a commencé à respirer de façon erratique et poussive. Gillies a laissé les autres la rejoindre.
Ils l'ont toilettée avec une fréquence inhabituelle dans les 10 minutes précédant sa mort et après, ils semblaient chercher des signes de vie en inspectant sa bouche et en soulevant ses membres. Plus inhabituel encore, Chippy a attaqué le cadavre de Pansy à trois reprises ; Gillies pense qu'il a peut-être essayé de la réveiller ou d'exprimer sa frustration ou sa colère. Blossom a épouillé son fils pendant un temps extraordinaire, peut-être un acte de consolation ou de soutien.
Rosie, quant à elle, est restée près du corps de sa mère toute la nuit, sur une plateforme sur laquelle elle n'avait jamais dormi auparavant. Les trois chimpanzés survivants ont dormi de manière agitée et le lendemain matin, ils étaient tous affaiblis. Ils se sont moins alimentés qu'à l'ordinaire et ont regardé en silence les gardiens emmener Pansy. Lorsqu'ils ont été autorisés à retourner dans la zone de sommeil, Blossom et Rosie l'ont fait avec hésitation, mais Chippy a refusé. Ses cris d'alarme ont ramené les deux autres dans la zone de jour, où le trio a passé la nuit. Au cours de la semaine suivante, aucun des chimpanzés ne s'est installé sur la plate-forme où Pansy est morte, bien qu'ils l'aient tous fait fréquemment auparavant.
Frans de Waal, primatologue de renom, explique avoir vu « des chimpanzés mourir dans des groupes vivant en captivité, parfois de manière inattendue, parfois après une longue maladie, et les réactions décrites ici correspondent à mes expériences. »
Les exemples des chimpanzés africains, relayés par Dora Biro de l'université d'Oxford, diffère dans les détails mais présentent de nombreux parallèles. Vuavua a pris si grand soin de son bébé mort qu'au moment où elle l'a abandonné, son corps était en grande partie intact, bien que momifié. Jire a fait de même, bien qu'elle ait porté Jimato pendant si longtemps que les traits de son visage étaient en grande partie méconnaissables. Jire et Vuavua savaient-elles que leurs bébés étaient morts ? C'est difficile à dire. En tout cas, elles semblaient traiter ces cadavres comme des bébés vivants, du moins pendant quelques jours. Vers la fin, elles ont commencé à les porter dans des positions qu'elles n'auraient jamais adopté pour des juvéniles en bonne santé.
D'autres chimpanzés touchaient, reniflaient les corps, et soulevaient leurs membres sans vie. Certains des autres juvéniles les ont même porté dans des moments de jeu. Même si les corps commençaient à se déformer et à dégager une forte odeur, un seul des chimpanzés a montré des signes de répulsion. Biro n'a jamais vu un seul acte d'agression.
Ce n'était pas la première fois qu'une mère chimpanzé était observée portant le corps momifié de son petit ; la première observation de ce type a été faite en 1992 et était très similaire aux observations de 2008. Selon De Waal, « le portage de nourrissons morts par des mères chimpanzées est bien connu, et a également été rapporté pour d'autres primates, mais jamais pendant une durée aussi longue ; 68 jours, c'est plus long que tous les rapports précédents que j'ai pu consulter ! » Selon lui, la physiologie des singes pousse à un attachement très fort entre la mère et son petit, qui ne s'éteint pas à la mort de ce dernier. Entre autres choses, le cycle de reproduction d'un chimpanzé s'arrête pendant quatre ans après la naissance.
« Il ne serait pas non plus possible de s'adapter à l'abandon d'un enfant chaque fois qu'il tombe malade », explique M. de Waal. « La meilleure option est que les mères gardent espoir et continuent à s'occuper de leur enfant. Un renoncement rapide à l'attachement serait inadapté : il pourrait conduire les mères de nourrissons presque morts à les abandonner prématurément. » Pourquoi Jire et Vuavua ont-elles fini par lâcher prise ? Avec le redémarrage de leur cycle de reproduction et tous les changements hormonaux associés, les mères ont pu se sentir à nouveau psychologiquement prêtes à élever d'autres petits. Le fait que Jire ait porté son enfant mort plus longtemps que Vuavua peut s'expliquer par le fait qu'elle avait déjà eu sept enfants, alors que Vuavua était une primipare.
Ces deux exemples suggèrent que les chimpanzés ont une meilleure conscience de la mort et du deuil que ce que l'on pensait. À bien des égards, cela ne devrait pas vous surprendre : ces animaux ont conscience d'eux-mêmes et sont empathiques.
Autre animal dont l'intelligence ne fait plus débat, l'éléphant d'Afrique présente également un comportement très empathique quand ses congénères viennent à mourir. « Je ne pense pas que ce soit la même chose que ce que font les éléphants, qui visitent les sites funéraires longtemps après la mort d'un compagnon » tempère M. De Wall, « mais je ne serais pas surpris si les éléphants montraient aussi des réactions comme celles-ci (sans les manifestations agressives, qui semblent être l'apanage des chimpanzées) à la mort d'un d'un membre de leur groupe. »
Les chimpanzés comprennent-ils vraiment ce qu'est la mort ? D'après les histoires de Pansy, Jire et Vuavua, de Waal affirme qu'il « est certain qu'ils semblent reconnaître la mort d'autrui, et peut-être réaliser qu'il s'agit d'un changement permanent et d'une perte permanente. En soi, cela est déjà très significatif, et nous aide à appréhender la profondeur de leur compréhension. » Mais il ajoute également que nous ne pouvons pas tirer de conclusions quant à savoir s'ils comprennent leur propre mortalité. « Pour comprendre sa propre mortalité, il faudrait extrapoler ce qui arrive aux autres à sa propre situation. Nous ne pouvons pas l'exclure, bien sûr, mais cela nécessiterait un autre grand saut mental et pour le moment, nous n'avons aucun moyen de savoir si d'autres espèces que nous ont fait ce saut. »
En attendant, James Anderson, qui a dirigé l'étude écossaise, affirme que ces travaux pourraient avoir une incidence sur la façon dont on s'occupe des chimpanzés âgés dans les zoos et les centres de recherche. Il pourrait, par exemple, être davantage conseillé de laisser les plus vieux spécimens mourir naturellement, entourés de leurs pairs et dans un environnement familier, que de recourir à un traitement isolé ou à l'euthanasie.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.fr en langue anglaise.