Les éléphants enterrent-ils leurs petits décédés ?
Cinq jeunes éléphanteaux d'Asie ont été découverts presque entièrement recouverts de terre dans des plantations de thé au Bengale, en Inde. Certains experts se demandent s'il s'agit là de preuves de véritables pratiques funéraires.
Cette carcasse enfouie a été découverte dans la plantation de thé New Dooars dans le nord du Bengale.
- Nom Commun: Éléphant d'Asie
- Nom Scientifique: Elephas maximus
- Genre: Mammifères
- Durée de vie moyenne à l'état sauvage: Jusqu'à 60 ans
- Taille: Taille au garot : de 2 à 3 mètres
- Poids: De 2,7 à 4 tonnes
- Taille comparée à un humain de 1,80 m:
Si les scientifiques savent depuis longtemps que les éléphants de savane (Loxodonta africana) vivent un deuil quand un de leurs proches meurent, on sait peu de choses sur ces émotions chez les éléphants sauvages d'Asie (Elephas maximus). Or, une nouvelle étude intrigante suggère qu'ils enterrent les éléphanteaux morts.
La recherche décrit cinq cas, en 2022 et 2023, dans lesquels différents troupeaux ont traîné leurs bébés décédés jusqu'à des fossés d'irrigation dans le nord de la région du Bengale, en Inde, et les y ont enterrés. Dans les cinq cas, les chercheurs ont trouvé les pattes des éléphanteaux sortant du sol, la tête, la trompe et le dos recouverts de terre.
Les enterrements sont rares dans le règne animal. Les éléphants d'Asie et d'Afrique ainsi que les pies recouvrent leurs morts de feuillage, ce que les scientifiques appellent enterrement « léger ». Mais ce cas est unique, expliquent les coauteurs Parveen Kaswan, agent du Service forestier indien, et Akashdeep Roy, chercheur principal au Indian Institute of Science Education and Research de Pune.
Il s'agit de la première preuve enregistrée d'un enterrement complet chez les éléphants d'Asie, indiquent les auteurs de l'étude, publiée récemment dans le Journal of Threatened Taxa.
Ce comportement « ne transparait pas chez les autres espèces non-humaines », explique Roy. « Cela met en avant les éléphants. Ce comportement nous montre aussi à quel point ils tiennent à leurs proches. »
Mais plusieurs experts affirment qu'ils ont besoin de plus de preuves, notamment parce qu'aucune personne n'a été témoin des enterrements, qui ont eu lieu exclusivement dans les plantations de thé. Selon Heidi Riddle, vice-présidente du groupe de spécialistes des éléphants d'Asie, qui fait partie de la commission de survie des espèces de l'Union internationale pour la conservation de la nature, « les auteurs n'ont pas présenté suffisamment de preuves démontrant que c'étaient bien les éléphants qui les avaient enterrés. »
« J'hésiterais à surinterpréter ces comportements », ajoute l'écologiste Raman Sukumar, professeur au Indian Institute of Science's Centre for Ecological Studies à Bangalore.
Il note que les actions décrites dans l'étude, comme le fait de porter des éléphanteaux morts et de donner des coups de pied sur une carcasse, sont normales chez les éléphants d'Asie, mais qu'il ne s'agit peut-être pas d'un véritable acte d'enterrement.
LE MYSTÈRE PERSISTE
La majorité des enterrements ont lieu entre juillet et novembre, lorsque les fermiers cultivent le riz et que les troupeaux d'éléphants migrent en recherche de nourriture. En raison de la fragmentation de la forêt, les pachydermes doivent traverser des plantations de thé pour se déplacer d'une zone à l'autre.
Selon l'étude, les éléphants ont choisi ces sites à dessein, attendant la nuit pour transporter « les éléphanteaux décédés dans des endroits isolés, loin des humains et des carnivores, tout en cherchant des drains d'irrigation et des creux pour enterrer la carcasse. »
Dans deux cas, les gestionnaires du domaine ou les gardes ont entendu les éléphants vocaliser la nuit et ont trouvé les cadavres le lendemain. Pour les trois autres, les gens sont tombés sur les carcasses au hasard. Le département des forêts du Bengale occidental, qui fait partie du service forestier indien, a retiré les cinq corps pour procéder à des examens post-mortem, qui ont révélé que les éléphanteaux étaient morts de diverses causes, telles qu'une mauvaise alimentation et des infections.
Selon les auteurs de l'étude, la position verticale des jambes des éléphanteaux était la plus inhabituelle. Les éléphants ont probablement porté les bébés morts par leurs jambes et leur trompe, de sorte que « c'est dans cette position qu'ils peuvent tenir la carcasse et la mettre dans » les fossés qui ont généralement une profondeur d'environ quarante-cinq centimètres, explique Roy.
Mais il est probable que les jambes exposées n'aient rien de significatif. Si les lieux de sépulture étaient plus profonds, il soupçonne que les éléphants recouvriraient également les jambes.
UN EMPLACEMENT JUDICIEUX ?
Kaswan et d'autres fonctionnaires du département des forêts ont examiné les sites d'enterrement et ont trouvé des empreintes d'éléphants de différentes tailles de part et d'autre des tranchées et au-dessus des carcasses. Cela montre « un effort combiné pour enterrer les carcasses », déclare Roy.
« Ce sont des empreintes de mise à niveau », déclare-t-il. « Ils savent quelle pression exercer et à quel endroit. »
Cependant, Riddle constate que cela « pourrait être une preuve d'exploration et non d'enterrement. »
« Ils pourraient le sentir avec leur pied », dit-elle, « et aussi avec leur trompe, qui ne laisserait probablement pas de marques [ou] d'empreintes dans le sol. »
Les examens post-mortem ont également révélé des ecchymoses sur le dos des éléphanteaux, mais pas de fractures.
Selon Roy, les contusions indiquent que « les éléphanteaux ont été traînés sur une certaine distance », tandis que l'absence de fractures suggère qu'ils ne sont pas tombés dans les fossés, mais qu'ils y ont été déposés avec précaution.
Riddle reconnaît que les ecchymoses prouvent que les éléphanteaux ont été traînés, mais l'absence de fractures ne prouve pas nécessaire que les éléphanteaux ont été posés avec soin. « Si l'éléphanteau a été traîné et placé à l'envers, même si d'autres éléphants ont tapoté la terre… les éventuelles fractures pourraient n'être que des fractures capillaires de la cage thoracique, ce qui peut être difficile à déterminer. »
UN COMPORTEMENT ISOLÉ
Lorsque Riddle a interrogé le groupe de spécialistes des éléphants d'Asie sur cette activité d'enterrement, « personne d'autre ne l'a vue », dit-elle. « Il semble qu'elle soit très spécifique aux plantations de thé du nord-est de l'Inde. »
Cependant, après la publication de l'article, des agents forestiers à la retraite et des gestionnaires de domaines ont contacté les auteurs de l'étude pour signaler qu'ils avaient vu des enterrements similaires au cours des années précédentes.
Aritra Kshettry, directeur de l'association indienne à but non lucratif Coexistence Consortium, a également observé ce phénomène dans le nord du Bengale, notamment à la plantation de thé New Dooars, l'un des sites pris en compte dans l'étude.
Sur un site, il a « vu l'éléphanteau mort porté par la mère pendant toute une journée ». Le lendemain matin, il « a vu l'éléphanteau enterré les jambes vers le haut », entouré de dizaines d'empreintes d'éléphants.
« Les preuves indirectes montrent que cette série d'événements ne peut pas être une simple coïncidence », déclare-t-il, ajoutant qu'il est clair que les éléphants ont placé les bébés dans cette position.
Si l'éléphanteau était tombé dans le fossé, il serait tombé la tête la première, les membres antérieurs dans le fossé et les membres postérieurs sur la pente.
DES PREUVES SUPPLÉMENTAIRES SONT NÉCESSAIRES
Cependant, Sukumar et Riddle doutent que les éléphants aient manipulé les éléphanteaux dans ces positions, et aimeraient voir plus de photos ou d'autres preuves solides qui confirmeraient l'hypothèse avancée.
« Il est possible de tomber sur un ou deux éléphanteaux de cette manière », explique Sukumar, mais « il est étrange de voir cinq éléphanteaux morts, tous issus de troupeaux différents, dans la même position, en particulier sur une période aussi courte. »
Pour autant, les scientifiques ne discréditent pas les observations.
« Les animaux font souvent des choses totalement inattendues », souligne Riddle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.