Pourquoi ces orques portent-elles des "chapeaux de saumon" ?

Observée pour la première fois dans les années 1980, cette tendance chez les orques résidentes du Sud à nager avec des saumons morts sur la tête semblait être passée de mode... jusqu’à aujourd’hui.

De Jason Bittel
Publication 11 déc. 2024, 14:12 CET
Sur une image d’archives, une orque (Orcinus orca) de la population résidente du Sud, au large ...

Sur une image d’archives, une orque (Orcinus orca) de la population résidente du Sud, au large de l’État de Washington, porte un saumon sur la tête.

PHOTOGRAPHIE DE Ocean Wise, DFO Marine Mammal License, MML18

1987. « Le Nom de la Rose » est un succès au box-office et le titre « Joe le taxi » de Vanessa Paradis fait partie des meilleurs titres du hit-parade. Au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, dans le bras de mer de Puget Sound, au niveau de l’État de Washington, des orques nagent avec des saumons morts sur la tête.

« Ça semble en quelque sorte s’être propagé à plusieurs membres de la population », déclare Deborah Giles, biologiste depuis un certain temps aux Friday Harbor Laboratories de l’université de Washington.

Si ce type de comportement a été adopté pour la première fois par une femelle du pod K, l’engouement pour le dénommé « chapeau de saumon » s’est étendu en quelques mois aux pods J et L, devenant finalement une mode dans les trois pods constituant le segment de population connu sous le nom d’orques résidentes du Sud. Ce groupe de 71 individus se nourrit exclusivement de saumon.

Puis, tout à coup, cette tendance s’est évanouie... jusqu’au 25 octobre 2024, date à laquelle le photographe Jim Pasola a pris un cliché d’une orque connue sous le nom de Blackberry, ou J27, avec un poisson argenté posé au sommet de sa tête.

Bien que, au fil des décennies, une poignée d’orques affublées de « chapeaux de saumon » aient été observées par d’autres personnes, c’est ce cas précis qui a attiré l’attention d’Internet, peut-être parce qu’il a si bien été illustré par la photo de Jim Pasola.

À trente-deux ans, Blackberry est trop jeune pour avoir vu de ses yeux la première apparition de ce phénomène de mode mais il est possible que le mâle ait appris ce comportement des autres membres du pod J, dont certains étaient déjà venus au monde en 1987.

« Ce sont des animaux incroyablement intelligents », affirme Deborah Giles, qui une fois a elle-même été témoin de ce comportement consistant à porter un saumon en guise de chapeau. « Le cortex paralimbique de leur cerveau est considérablement plus développé qu’il ne peut même l’être chez les humains, et c’est cette partie du cerveau qui est associée à la mémoire, aux émotions et au langage. »

 

POURQUOI SE COIFFER DE SA NOURRITURE ?

La raison pour laquelle les orques portent leur dîner sur la tête prête à interrogation.

Est-il question d’un mode de communication quelconque ? Est-ce un moyen d’impressionner un partenaire potentiel ? Ou bien est-ce que ce mammifère marin extrêmement intelligent fait tout simplement cela pour s’amuser ?

« Ce ne sont que des conjectures », précise Deborah Giles. « Nous l’ignorons. »

Les orques résidentes du Sud constituent un écotype, c’est-à-dire une population adaptée à un habitat particulier. Ces animaux du Nord-Ouest Pacifique ne mangent que du poisson ; d’autres écotypes, dans d’autres parties du monde, sont par exemple coutumiers de la chasse aux requins.

Le déclin constant des espèces de saumon, dû à la surpêche, à la construction de barrages, ainsi qu’à d’autres causes, a placé l’écotype de l’orque résidente du Sud sur la liste de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES).

Cet automne, néanmoins, Puget Sound a connu une abondance exceptionnelle de saumons kéta (Oncorhynchus keta). Il est donc plausible que ces orques puissent en fin de compte se détendre et s’amuser, notamment en jouant avec leur nourriture, explique Deborah Giles, qui est également directrice scientifique et de recherche pour Wild Orca, organisation à but non lucratif travaillant à la préservation des orques résidentes du Sud.

À dire vrai, la semaine où Jim Pasola a pris la photo, des individus du pod J ont été observés dans la zone sur un laps de dix jours consécutifs, phénomène rare.

Cette idée coïncide également avec un pattern que les chercheurs ont remarqué chez cette population menacée : lorsque la nourriture est peu abondante, les orques passent plus de temps à en chercher et moins à se reposer et à interagir, indique Deborah Giles.

 

UNE MODE PARMI D’AUTRES CHEZ LES ORQUES

Chez les humains, nombre d’engouements passagers sont liés au divertissement et il en va de même pour les orques.

Les « chapeaux de saumon » constituent « l’une des nombreuses “modes” qui ont fluctué chez les orques au fil des ans », écrit dans un e-mail Monika Wieland Shields, directrice de l’Orca Behavior Institute à Washington, organisation à but non lucratif qui effectue des recherches sur ce mammifère marin. 

« Une fois, c’était de faire du spy-hopping avec des saumons morts posés sur leurs nageoires [pectorales], et une autre fois, de tirer du kelp sous l’eau et de le lâcher pour qu’il remonte à la surface ». Le spy-hopping est une pratique consistant à sortir sa tête de l’eau pour observer ce qu’il se passe.

Dans chaque cas, le comportement était en vogue le temps d’une saison avant de passer de mode, décrit Monika Wieland Shields, qui n’est pas convaincue que la tendance de porter un « chapeau de saumon » ait refait surface.

« À mon avis, c’est un peu exagéré de dire que c’était un chapeau de saumon et encore plus de dire que l’engouement est revenu sur la base d’une seule photo », nuance-t-elle.

Deborah Giles attire l’attention sur le fait qu’« il est tout à fait possible que cela fasse partie de leur répertoire comportemental depuis des temps immémoriaux et que les humains ne l’aient remarqué que dans les années 1980 ».

Quelle qu’en soit la raison, Deborah Giles estime que les « chapeaux de saumon » constituent probablement une évolution positive pour ces créatures rares. 

« S’il est vrai qu’elles se comportent de cette façon parce qu’elles sont repues à ce moment-là, je veux voir ça comme quelque chose que l’on doit s’efforcer d’obtenir. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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