Au Japon, des macaques tentent de s'accoupler... avec des cerfs

Selon les chercheurs, ce comportement étonnant pourrait bien être le fruit du développement d'une "culture" partagée entre les macaques et les cerfs sika.

De Jason Bittel
Publication 21 janv. 2025, 11:41 CET
Une femelle macaque s'apprête à monter sur un cerf sika en novembre 2023, sur l'île Yakushima ...

Une femelle macaque s'apprête à monter sur un cerf sika en novembre 2023, sur l'île Yakushima au Japon.

PHOTOGRAPHIE DE Atsuyuki Ohshima

En 2015, sur l’île japonaise de Yakushima, un macaque mâle a sauté sur le dos d’une biche sika et a commencé à essayer de s’accoupler avec elle.

À l’époque, les chercheurs ont supposé que ce comportement inhabituel du mâle pouvait s’expliquer par l’absence de partenaires sexuels au sein de sa propre espèce. Il s’agissait ainsi selon eux d’un cas exceptionnel qui, par hasard, avait été filmé juste au bon moment.

Cependant, en 2018, le phénomène a de nouveau été documenté.

Cette fois-ci, ce sont cinq femelles macaques qui ont été observées en train de monter, puis de se frotter sur des cerfs mâles dans le parc de Minoh, près d’Osaka, soit à plus de 600 kilomètres de Yakushima.

Pendant ce temps, ce comportement a encore été documenté à plusieurs reprises sur Yakushima, en 2020, 2021 et 2023. Plusieurs de ces nouveaux cas semblaient impliquer le même macaque mâle à l’origine de la première tentative d’accouplement filmée en 2015. Toutefois, bien que les chercheurs aient identifié l’animal grâce à ses yeux en forme d’amande, ils ne sont pas certains qu’il s’agit bel et bien du même individu.

« Il sont difficiles à reconnaître, mais quand on est primatologue, on doit reconnaître chaque individu du groupe », affirme Cédric Sueur, primatologue à l’Université de Strasbourg.

Cependant, s’il s’agit du même singe, il est possible que d’autres individus de son groupe aient appris à reproduire son comportement en l’observant. Si c’est bien le cas, cela signifierait que le comportement s’est diffusé par le biais de la transmission sociale, suggèrent Cédric Sueur et ses coauteurs dans une étude publiée en décembre dans la revue Cultural Science.

« Ce qui est intéressant, c’est que la première fois que le mâle l’a fait, c’était peut-être en raison d’une frustration sexuelle, donc dans un but précis », explique le primatologue.

Toutefois, maintenant que le mâle a atteint un rang dominant et que les femelles qui l’entourent se mettent à reproduire son geste, « le comportement commence à évoluer. Il devient plus complexe. »

 

UNE FORME DE MUTUALISME ?

Au-delà de ces comportements sexuels étonnants, les cerfs sika et les macaques entretiennent une relation inter-espèce intéressante.

Les cerfs suivent les déplacements des singes, mangent la nourriture qu’ils laissent tomber des arbres et grignotent leurs excréments, et les macaques, quant à eux, se nourrissent des tiques et autres parasites qui se cachent dans le pelage des cerfs. 

Ce type d’échange de bons procédés entre deux espèces est connu des scientifiques sous le nom de mutualisme. Selon Judith Bronstein, écologiste évolutionniste à l’Université de l’Arizona, qui n’était pas impliquée dans la rédaction du nouvel article, mais qui étudie ce phénomène, tout indique que le comportement des cerfs et des macaques en matière de recherche de nourriture relève du mutualisme. Les tentatives d’accouplement, cependant, semblent être liées à tout autre chose.

« Selon moi, les cerfs sont extrêmement tolérants envers les macaques sur le plan social, parce qu’ils les débarrassent de leurs parasites », suggère Bronstein.

Si les cerfs ont appris à tolérer ce comportement, il est possible qu’ils aient commencé à en tolérer de nouveaux.

Il arrive par exemple qu’un singe monte sur le dos d’un cerf pour simplement s’y reposer. Dans un autre article publié dans la revue Primates, Sueur et ses coauteurs ont examiné quarante-cinq interactions filmées entre des macaques et des cerfs et ont constaté que, la plupart du temps, les singes se contentaient de s’installer sur les cervidés. Pour cette raison, mais aussi car nous savons déjà que les macaques aiment se blottir les uns contre les autres pour se réchauffer lorsqu’il fait froid, l’équipe a suggéré que l’une des espèces, voire les deux, pourrait tout simplement apprécier la chaleur amenée par ce contact corporel.

« Il est probable que les deux parties en tirent de multiples avantages », suppose Bronstein. « Les cerfs ne s’enfuient pas lorsque les macaques sont dans les parages, donc il est clair qu’ils profitent d’un échange de protection et de nourriture. »

D’autres explications potentielles à ce comportement ont été étudiées. Parmi elles, Sueur et ses collègues ont exclu l’idée selon laquelle les macaques utiliseraient les cerfs pour se déplacer. En effet, même s’il arrive que les cerfs se déplacent lorsque des macaques sont assis sur leur dos, la durée et la distance de ce déplacement n’étaient pas significatives du point de vue statistique.

En revanche, l’équipe n’a pas pu exclure l’une des hypothèses les plus étranges, selon laquelle les biches récupéreraient des nutriments en ingérant le sperme laissé par les macaques mâles. Bronstein est toutefois sceptique.

« Je pense que c’est simplement agaçant. Elles ont quelque chose sur le dos, et elle le retire. Pour moi, il ne faut pas y chercher de sens particulier. »

 

LE DÉVELOPPEMENT D’UNE CO-CULTURE ?

Si toutes ces interactions entre les deux espèces sont intéressantes d’un point de vue scientifique, elles demeurent rares et difficiles à observer, c’est pourquoi il est particulièrement difficile d’essayer de les expliquer.

« La dernière fois que je suis allé à Yakushima, j’y ai passé cinq jours, et je n’ai pu observer ce comportement que pendant deux secondes », confie Sueur.

Pourtant, le fait que ce comportement concerne à la fois les mâles et les femelles, mais aussi qu’il ait été observé dans deux régions distinctes suggère que les macaques et les cerfs sika sont peut-être en train de développer ce que les chercheurs appellent une « co-culture », un concept proposé par Sueur et son coauteur Michale Huffman en septembre 2024 dans la revue Trends in Ecology & Evolution.

Chez les animaux, le mot « culture » est utilisé pour décrire les comportements qui émergent dans une ou plusieurs populations, mais pas dans toutes. Par exemple, tandis que certaines populations de chimpanzés pêchent les termites à l’aide de bâtons, d’autres ont appris à casser des noix avec des pierres. De même, les chants des baleines à bosse diffèrent selon les populations dans lesquelles elles évoluent. On parle de « co-culture » lorsque deux espèces développent simultanément un ensemble de comportements d’interaction, précise Sueur.

« Dans d’autres régions, vous n’observerez aucune interaction entre les cerfs et les macaques », explique-t-il.

L’idée de la co-culture est « vraiment très intéressante », selon Bronstein. Cependant, l’hypothèse selon laquelle le comportement sexuel des macaques avec les cerfs sika se diffuserait par le biais de la transmission sociale ne pourra pas être confirmée tant que les scientifiques ne trouveront pas une solution pour déterminer avec certitude l’identité des macaques.

« C’est raisonnable. Ce sont des individus très intelligents, et nous avons documenté des millions de cas chez les primates où des individus ont adopté de nouveaux comportements en s’observant les uns les autres », conclut Bronstein.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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