À quoi servent les moustiques ?
Souvent mal aimés en raison des piqûres qu'ils assènent, les nuisances nocturnes et surtout la transmission de virus mortels, les moustiques restent néanmoins un maillon essentiel de la chaîne alimentaire.
Le moustique est l'animal le plus meurtrier pour l'Homme, devant l'Homme lui-même, et le serpent.
Le moustique est de loin l’animal le plus dangereux pour l’Homme. Il provoque plus d’un million de décès humains par an selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), se plaçant ainsi devant l’Homme lui-même et le serpent en troisième place. Cela s’explique par le fait qu’il peut être porteur d’un grand nombre de maladies mortelles. Le moustique tigre (Aedes albopictus) est par exemple porteur du chikungunya, de la dengue ou encore du Zika.
« Le moustique n’est pas dangereux en lui-même […] il le devient à partir du moment où il va absorber un virus, une bactérie ou un parasite », indique Anna-Bella Failloux, entomologiste médicale et professeure à l’Institut Pasteur. Pour le moustique tigre par exemple, lorsqu’il « va prendre du sang sur quelqu’un qui est malade de la dengue », le virus va être absorbé en même temps et se retrouver dans l’estomac du moustique. « Parce que ce moustique reconnaît le virus de la dengue comme étant un virus qu’il connaît, il va le laisser passer pour qu’il pénètre dans sa cavité générale. » À ce moment-là, « le virus va infecter tous les organes du moustique et se retrouver dans ses glandes salivaires. » Lorsque la femelle va à nouveau se nourrir, elle va prélever du sang et saliver en même temps. Cette salive contient différentes molécules, et notamment des anticoagulants, qui facilitent l'absorption du sang. « Ainsi, en libérant de la salive, la femelle va libérer en même temps le virus qui s’est accumulé dans les glandes salivaires. Et c’est comme ça que la transmission se fait », enseigne l’experte. En revanche, le moustique ne peut pas transmettre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Il est important de noter que tous les moustiques ne piquent pas l’Homme. Seuls les moustiques femelles sont hématophages, et sur les 3 500 espèces de moustiques qui existent, seules « 15 % sont capables de piquer l’Homme », précise Anna-Bella Failloux. En effet, « le fait de piquer l’Homme est un caractère génétique défini. » Et parmi les moustiques anthropophiles, « 10 % peuvent transmettre quelque chose aux humains », note l’entomologiste.
Malgré tout, cela fait tout de même un nombre conséquent d'individus. Depuis 2023, on observe des taux records de cas importés de dengue dans l'Hexagone, dont plus de 60 % proviennent des Antilles françaises, où une épidémie est en cours depuis la mi-2023. D’après les chiffres de Santé publique France, 1 679 cas de dengue ont été recensés entre le 1ᵉʳ janvier et le 19 avril 2024, contre 131 cas sur la même période en 2023.
Ce qui explique l’arrivée du moustique tigre sur le sol français métropolitain depuis 2004, ce sont « les activités humaines et notamment les échanges commerciaux », selon Anna-Bella Failloux. « Le moustique tigre est arrivé pour la première fois en Europe en 1979, en Albanie. À l’époque, l’Albanie était communiste, le moustique tigre n’est pas sorti de ce pays, car nous n’avions pas d’échanges commerciaux avec lui. […] Deux décennies après, il est présent dans plus de vingt-huit pays européens. »
POURQUOI PIQUENT-ILS ?
Nous ne sommes pas tous égaux face aux piqûres de moustique, et certaines personnes sont plus souvent piquées que d’autres. Avec les soies de ses antennes, le moustique perçoit le CO2 qui associe à la respiration animale, ce qui lui permet de repérer le sang chaud à une distance de 70 mètres. C’est aussi pour cela que certains pièges à moustiques fonctionnent avec l’émission de CO2. En plus du CO2, c’est aussi notre peau qui les attire. « Sur notre peau, nous avons des bactéries, et celles-ci vont libérer des molécules qui peuvent attirer plus ou moins les moustiques » résume Anna-Bella Failloux. « En fonction de notre état physiologique, de notre transpiration, de la température, des vêtements que nous portons, cela va modifier d’une certaine façon les molécules émises par ces bactéries. Et c’est ce cocktail un peu complexe qui fait que l’on attire plus ou moins les moustiques. »
Ce sang, prélevé par les femelles moustiques, permet la fabrication des œufs, car il contient toutes les protéines nécessaires à leur fabrication. Même « s'il arrive que, sans prendre de repas de sang, elles fabriquent des œufs, mais en moins grand nombre », les femelles moustiques « ne peuvent pas persister toute leur vie sans prendre de sang, sinon elles ne peuvent pas pondre. » La femelle du moustique tigre pique à peu près tous les cinq jours, et peut vivre de quelques semaines à plusieurs mois en fonction des espèces et de l’environnement dans lequel elle évolue.
FAUT-IL SUPPRIMER TOUS LES MOUSTIQUES ?
La question d’éradiquer les moustiques ne date pas d’hier. En 2003, la biologiste Olivia Judson avait exprimé son soutien au « specicide », c’est-à-dire à l'extinction volontaire d'une espèce entière de moustiques, d’une trentaine d’espèces, dans une tribune du New York Times. Selon elle, cette mesure sauverait un million de vies et réduirait la diversité génétique de ces diptères de seulement 1 %, comme l’illustre un article du Monde.
Cependant, comme un grand nombre d’êtres vivants, les moustiques font partie d’un réseau trophique, autrement dit d’un ensemble d’animaux en lien avec les autres. Au sein de la chaîne alimentaire, les moustiques constituent une source de nourriture pour de nombreuses espèces. « Dans le cycle de vie d’un moustique, il y a deux stades : le stade aquatique et le stade aérien, durant le stade aquatique, ce sont des larves et des nymphes, et durant le stade aérien, ce sont des adultes mâles et femelles », explique Anna-Bella Failloux. Durant le stade aquatique, le moustique est mangé par certains poissons et libellules, quant au stade aérien, il sert de repas à « des oiseaux, des lézards ou des chauves-souris », énumère l’experte.
De fait, le moustique ne fait pas que piquer. Il se nourrit du nectar des plantes, et demeure l’un des principaux pollinisateurs du cacaoyer. Et durant le stade aquatique, « les larves de moustiques se nourrissent de substances organiques en suspension dans l’eau, donc vont filtrer l’eau. »
Chercher à supprimer les moustiques pourrait de ce fait créer un déséquilibre au sein de la chaîne alimentaire : « Lorsque l’on enlève quelque chose, on ne sait pas ce qui va le remplacer », conclut Anna-Bella Failloux.