Inde : il faut sauver le gavial du Gange

Cette espèce de crocodilien est en danger critique d’extinction, mais pourrait bien être sauvée grâce à un partenariat unique entre le gouvernement et les communautés locales.

De Moushumi Basu
Publication 7 oct. 2024, 11:06 CEST
Présents en Inde et au Népal, les gavials du Gange peuvent atteindre les 4,5 mètres de long ...

Présents en Inde et au Népal, les gavials du Gange peuvent atteindre les 4,5 mètres de long et peser jusqu'à 900 kilogrammes.

PHOTOGRAPHIE DE ZSSD, Minden
Gavial du Gange
  • Nom Commun: Gavial du Gange
  • Nom Scientifique: Gavialis gangeticus
  • Genre: Reptiles
  • Durée de vie moyenne à l'état sauvage: de 30 à 60 ans
  • Taille: de 3 à 6 mètres
  • Poids: 160 kilos

Depuis huit ans, au bord de la rivière Gandak dans le nord de l’Inde, Lalasha Yadav et ses collègues agriculteurs et pêcheurs ont élevé et réintroduit plus de 600 œufs et petits de gavials du Gange, une espèce de reptile à long museau préhistorique en danger critique d’extinction.

Aujourd’hui présents uniquement en Inde et au Népal, ces crocodiliens s’étendaient autrefois sur une aire de répartition de près de 80 000 kilomètres carrés dans les rivières d’Asie du Sud. Cependant, confrontées à la perte d’habitat, au braconnage et aux captures accidentelles, les populations de l’espèce ont connu une véritable chute libre, passant de 10 000 individus en 1946 à moins de 250 adultes en 2006, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Pour sauver cet animal unique de l’extinction, le gouvernement indien et des organisations à but non lucratif ont alors lancé des initiatives de conservation ciblées, telles que des programmes d’élevage en captivité et de surveillance des nids. Grâce à ces efforts, la population sauvage de gavials matures a pu remonter et atteindre les 650 individus environ, toujours selon l’UICN.

Le Gandak Gharial Recovery Project, l’un de leurs projets les plus fructueux, a poussé les habitants de trente-cinq villages situés sur les plaines inondables du Gandak, un affluent du Gange, à s’impliquer dans ces efforts de conservation.

Cette section de la rivière présente des rives en tresses qui abritent de nombreux poissons, ainsi que de petites îles et des bancs de sable, ce qui constitue un habitat idéal pour le reptile, explique Samir Kumar Sinha, écologiste en chef de l’organisation à but non lucratif Wildlife Trust of India (WTI), qui dirige le Gandak Project depuis sa création en 2014.

Les membres de la communauté, soucieux de sauver ce prédateur local, espèce clé de voûte dans la région, qui fait partie de l’État du Bihar, réalisent désormais des contrôles des nids, surveillent les alentours à l’affût de toute activité illégale pouvant lui nuire, et aident même aux recensements de ses populations.

« Ces agriculteurs-pêcheurs devenus défenseurs de l’environnement sont les yeux et les oreilles du projet sur le terrain », illustre Subrat Kumar Behera, directeur et chef du Gandak Project au WTI.

 

« UNE JOIE INFINIE »

Les gavials se mettent généralement à pondre au mois d’avril, un événement que les membres de la communauté célèbrent par le biais d’un pique-nique au bord de la rivière, rapporte Jitendra Gautam, l’un des protecteurs de nids du village de Chilwania.

Ils commencent ensuite à surveiller les nouveaux nids, qui abritent chacun entre 35 et 50 œufs. Si certains risquent d’être emportés par les eaux, des bénévoles formés les déplacent vers un lieu sûr, généralement situé à environ 200 mètres de l’emplacement d’origine, décrit Jitendra Gautam, qui confie avoir commencé à travailler sur ce projet car le gavial est un « animal pacifique » qui n’entre jamais en conflit avec les humains.

Lors de ce transfert, les bénévoles marquent les œufs afin de pouvoir identifier leur nid d’origine. Le nouveau nid est ensuite délicatement recouvert de sable ainsi que d’un filet qui servira à les protéger de diverses menaces, telles que les chacals et d’autres animaux sauvages.

Vers la mi-juin, une fois que les bébés gavials, dont la longueur ne dépasse pas les 30 centimètres, sortent enfin de leurs œufs, ils sont soigneusement relâchés dans la rivière, tout près de leurs mères, restées sur le site de nidification d’origine, selon Yadav, originaire du village de Lediharwa.

Le gavial du Gange, un crocodilien en danger critique d'extinction
Ce reptile se distingue notamment des autres crocodiliens par sa mâchoire allongée. Il en reste très peu à l'état sauvage.

« Nous ressentons une joie infinie à chaque fois que nous voyons nos "petits bébés" commencer à sortir leur petit museau étroit, avant d’émerger entièrement de leurs œufs », confie Yadav.

Une autre fête est alors organisée pour célébrer la sortie des petits autour d’un dahi-chura, un plat composé de lait caillé et de riz aplati.

 

LE RÔLE CRUCIAL DES COMMUNAUTÉS LOCALES

D’autres importants sites de reproduction ont également vu le jour, tels que le National Chambal Gharial Sanctuary, qui abrite aujourd’hui plus de 1 800 gavials, la Corbett Tiger Reserve, qui en compte une centaine, et le Chitwan National Park, au Népal, qui en abrite désormais plus de 200.

De son côté, la rivière Gandak constitue le seul site de reproduction actif situé en dehors d’une zone protégée. En 2010, le département des forêts du Bihar, le Wildlife Trust of India et d’autres institutions scientifiques avaient identifié 15 individus lors du tout premier recensement des gavials du cours d’eau. Plus de dix ans plus tard, la population a atteint les 259 individus.

Le Gandak Project a connu sa toute première réussite après avoir relâché dans la rivière trente jeunes gavials qui avaient été élevés au zoo de Patna, dans l’État du Bihar, en 2014 et 2015. Au bout de six mois, tous les animaux réintroduits s’étaient bien adaptés à leur nouvel habitat.

Les communautés qui vivent le long de la rivière « ont des connaissances traditionnelles et des expériences liées à la rivière et à son écosystème qui sont inestimables pour le projet », souligne Behera.

Les agriculteurs et les pêcheurs sont également à la recherche de potentielles activités illicites, telles que la pêche électrique ou l’utilisation d’engins de pêche passifs, susceptibles de blesser, voire de tuer les gavials dans l’eau, et les signalent aux autorités qui engageront, si nécessaire, des poursuites judiciaires.

« Le rôle que jouent les communautés locales dans la protection des gavials, mais aussi la coexistence harmonieuse dont elles font preuve, constituent un parfait exemple à suivre dans la sauvegarde d’autres espèces menacées », affirme B. C. Choudhury, membre et ancien président du Groupe de spécialistes des crocodiles de l’UICN.

Choudhury plaide également en faveur d’un écotourisme traditionnel dans la région, qui consisterait par exemple à introduire des bateaux à rames et à recourir à des guides issus des communautés locales, ce qui pourrait stimuler l’économie rurale.

 

LES EFFORTS À VENIR

Le gouvernement de l’État a proposé de transformer 150 kilomètres de la rivière en une réserve dédiée à la conservation. Selon PK Gupta, responsable de la faune et de la flore de l’État, des réunions publiques ont été organisées pour recueillir l’avis et l’expertise des villages environnants sur le sujet.

« Les sites de reproduction de la rivière bénéficieront d’une protection juridique, mais les communautés locales ne seront pas soumises aux mêmes restrictions que dans un parc national. »

En effet, en Inde, les communautés vivant près des parcs nationaux ne sont pas autorisées à prélever quoi que ce soit au sein des parcs, notamment au travers de la chasse. Dans une réserve de conservation, en revanche, le gouvernement autorise certaines activités durables, comme le recours de l’eau des rivières pour l’agriculture.

« En outre, la [population locale] jouera un rôle important dans la gestion du comité de la réserve de conservation », ajoute-t-il.

Le gouvernement de l’État a par ailleurs approuvé la création, avec le soutien du zoo de Los Angeles, d’un centre d’incubation et d’interprétation ex situ dédié aux gavials du Gange et à d’autres espèces aquatiques.

« L’objectif est d’assurer une meilleure protection des œufs menacés en dehors de leur habitat naturel en reproduisant les conditions naturelles de l’incubation, puis en relâchant les petits dans la rivière », explique Sinha, qui souligne également l’importance de la collaboration transfrontalière entre l’Inde et le Népal.

« Cette rivière, qui traverse les deux pays, abrite une population totale de plus de 450 gavials qui s’y déplacent comme des citoyens ordinaires. »

« Une coopération mutuelle soutenue et l’échange d’expériences leur permettront de renforcer l’écosystème de cette rivière afin d’en faire l’un des habitats de gavials les plus importants du monde. Et ce tout en symbolisant l’amitié et la bonne volonté de ces deux nations voisines. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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