Le glas du serpent à sonnette a-t-il sonné ?
Vénéré en tant que symbole du renouveau, mais aussi honni comme émissaire des Enfers, il a été pourchassé jusqu’aux recoins de notre imagination. Nos craintes peuvent-elles se dissiper avant que l’animal, emblématique de l’Ouest américain ne disparaisse ?
Dans les montagnes Davis, à l’ouest du Texas, ce Crotalus ornatus s’est réfugié sur un morceau de bois après qu’un automobiliste l’a délogé d’une route dangereuse. Les serpents s’attardent sur des surfaces chaudes quand la température baisse.
Retrouvez cet article dans le numéro 303 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine
Sous un croissant de lune, la voiturette de golf électrique roule silencieusement sur des chemins vallonnés. La nuit est douce – pour les crotales, quasi omniprésents, comme pour nous : la température est agréable, l’humidité faible. Dès que les phares éclairent un serpent venimeux, Matt Goode descend d’un bond et m’invite à examiner la créature.
Nous sommes début septembre et la saison sur le terrain de l’herpétologiste touche à sa fin. Depuis plus de vingt ans, ce chercheur de l’université de l’Arizona et ses étudiants capturent des serpents, dont trois espèces de crotales, Crotalus atrox, C. tigris et C. molossus. Ils en ont trouvé plus de 7 000 jusqu’à présent sur les chemins pour voiturettes du terrain de golf de Stone Canyon, à Oro Valley, juste au nord de Tucson, et sur les voies privées des somptueuses demeures qui l’entourent.
Les nuits les plus fastes, l’équipe peut en attraper jusqu’à vingt. Le lendemain, dans un laboratoire du campus, les étudiants de Matt Goode les mesurent, les pèsent, identifient leur sexe, et les marquent avant de les ramener à l’endroit où ils les ont débusqués. La question centrale des travaux de recherche de l’herpétologiste – comment la transformation d’un désert en lotissement affecte-t-elle les serpents ? – met en lumière un paradoxe. Comparés aux serpents vivant dans des zones plus naturelles, ceux de Stone Canyon sont plus gros, se reproduisent davantage et étendent leurs aires de répartition aux quartiers résidentiels. Le fait que la plupart des propriétaires soient absents pendant les mois les plus chauds y est peut-être pour quelque chose.
Des têtes coupées de crotales diamantins de l’Ouest sont exposées à la vente lors de la battue annuelle de Sweetwater, au Texas. Comme d’autres espèces, Crotalus atrox est souvent chassé pour fabriquer portefeuilles, ceintures ou encore boucles d’oreilles.
Grâce à l’irrigation, les baies et les fleurs prospèrent dans le golf, attirant des consommateurs primaires de la chaîne alimentaire, telle la souris Perognathus flavus que nous voyons trottiner. Sur les fairways luxuriants, nos lampes frontales révèlent la présence d’un groupe de pécaris et, dans un bosquet, celle d’un puma qui bat en retraite. Matt Goode a déjà aperçu sur place des lynx roux, des coyotes et des ratons laveurs. De toute évidence, c’est un paradis pour les serpents. Ils y trouvent quantité de rongeurs, d’oiseaux et d’oeufs pour se nourrir, tandis que des amas de rochers dessinés au bulldozer leur offrent toutes sortes de cachettes.
Canada au centre de l’Argentine, les hommes continuent à les capturer comme animaux de compagnie ou pour le commerce de leur peau, font des embardées pour les écraser sur les routes, et détruisent leur habitat avec leurs lotissements, leurs pipelines et leurs antennes-relais. Jadis largement présents, les crotales des bois ont été éradiqués dans un certain nombre d’États du nord des États-Unis et dans l’Ontario, au Canada. Ils sont aussi menacés ou en voie d’extinction dans diverses zones de leur vaste aire de répartition aux États-Unis. Plusieurs autres espèces sont classées dans les catégories allant de « vulnérable » à « en danger critique ».
J’ai pu avoir un aperçu de l’engagement des défenseurs de l’environnement à protéger les crotales des bois qui subsistent en Pennsylvanie lors d’une belle journée de fin d’été. Portant des guêtres en toile pour se protéger des serpents, Thomas LaDuke, herpétologiste à l’université d’East Stroudsburg, se frayait un chemin sur la crête rocheuse du mont Hawk, une réserve de 10 km2 prisée des ornithologues amateurs durant les périodes de migration.
Des centaines de crotales emplissent les fosses d’observation de la battue de Sweetwater. Pesés et mesurés, ils sont ensuite utilisés pour des démonstrations « pédagogiques » – vidés de leur venin, puis décapités pour divertir le public.
« Regardez », m’a dit le chercheur, désignant une avancée rocheuse. À moins de 3 m, j’ai distingué un amas épais d’anneaux jaunes et noirs. Quelque peu incrédule, je me suis approchée très lentement, m’attendant à entendre le « tsssss » caractéristique de la queue d’un crotale. Rien. Celui-ci voulait simplement se dorer au soleil.
À ma droite, j’en ai aperçu un autre. « Une femelle, a lâché Thomas LaDuke. Sans doute gravide. » Comme celle de tous ses congénères, sa tête triangulaire finissait sur un cou étroit. Ses pupilles étaient verticales, et les chevrons jaunes et noirs qui couraient le long de sa colonne vertébrale avaient l’air aussi doux que du velours. Alors que je la regardais fixement, elle s’est lentement déroulée, avant de disparaître dans une fissure.