Sur les traces des chevaux bouclés de Patagonie, résultats d'une mutation génétique

Charles Darwin les a cherchés sans jamais les trouver... après avoir failli disparaître, ces chevaux à la robe bouclée ont survécu et pris goût à la liberté dans l'immense pampa argentine.

De María de los Ángeles Orfila
Publication 13 mars 2025, 10:42 CET
Une mutation génétique fait que le cheval argentin Criollo a le poil bouclé.

Une mutation génétique fait que le cheval argentin Criollo a le poil bouclé.

PHOTOGRAPHIE DE Andrea Sede

C'est là, dans la province argentine du Río Negro, au beau milieu des étendues arides du plateau de Somuncurá, où l'expression « terre hostile » semble avoir vu le jour, que Gerardo Rodríguez a aperçu un cheval. Si l'animal qui broutait paisiblement dans une région aussi déserte et isolée avait été un cheval quelconque, la scène aurait déjà été inhabituelle pour ce vétérinaire de profession, mais Gerardo n'avait jamais vu de tel spécimen : un cheval à la robe bouclée.

Au départ, Rodríguez supposa que ces boucles étaient dues à une maladie ou à la transpiration, mais un gaucho lui fit une surprenante révélation : ces chevaux bouclés étaient nombreux autrefois, avant que les sécheresses, les éruptions volcaniques et autres catastrophes plus ou moins naturelles ne finissent par décimer leur population.

Le cavalier proposa à Rodríguez de lui vendre le cheval. Enchanté par la créature, celui-ci accepta sans plus attendre. Sa femme, Andrea Sede, ressentit immédiatement la même connexion avec l'animal. « Je ne l'oublierai jamais », se souvient-elle. « Il s'est approché de nous comme si nous l'avions toujours connu. »

De cet instant est née la volonté du couple de créer son propre troupeau. Près de vingt ans plus tard, Rodríguez et Sede possèdent désormais 40 de ces chevaux à la robe bouclée, le seul troupeau du genre en Amérique du Sud. À travers ces animaux, c'est un chapitre fascinant et inattendu de l'histoire naturelle de la Patagonie qui est préservé, un chapitre qui avait même échappé au plus célèbre des naturalistes, Charles Darwin, qui a pourtant répertorié méticuleusement la flore et la faune de la région pendant son voyage en Amérique du Sud à bord du Beagle. L'évolutionniste avait entendu parler de ces chevaux, sans jamais les trouver.

 

COMMENT CES CHEVAUX SONT ARRIVÉS EN PATAGONIE

Pour comprendre l'histoire des chevaux bouclés d'Argentine, il faut remonter plusieurs siècles en arrière, lorsque les Espagnols ont réintroduit les chevaux en Amérique. En 1535, le conquistador Don Pedro de Mendoza est chargé d'établir une colonie dans la région du Río de la Plata, qui coïncide en partie avec l'actuelle Argentine. Il traversa l'Atlantique avec des colons, des soldats et une centaine de chevaux, de trait ou de bataille, en provenance des écuries de Cádiz, une ville espagnole.

À peine six ans plus tard, en 1541, la colonie de Buenos Aires, installée dans cette région, fut détruite et réduite en cendres par les tribus autochtones qui souhaitaient en finir avec la puissance coloniale. Les Espagnols prirent la fuite en laissant derrière eux toutes leurs possessions, parmi lesquelles entre 12 et 45 chevaux. Ces chevaux ont survécu et pris goût à la liberté dans l'immense pampa argentine.

Zoom sur les boucles brunes et blanches d'un criollo argentin.

Zoom sur les boucles brunes et blanches d'un criollo argentin.

PHOTOGRAPHIE DE Andrea Sede

« Les chevaux évadés se sont adaptés à leur nouvel environnement avant de s'employer à pérenniser l'espèce », explique le Dr Mitch Wilkinson, vice-président à la recherche de l'International Curly Horse Organization (ICHO). « Leurs descendants ont formé des troupeaux de centaines de milliers de chevaux sauvages connus sous le nom de "baguales". »

À leur retour quarante ans plus tard, les Espagnols ont découvert une population prodigieuse, estimée par Wilkinson à 36 000 individus grâce aux conditions favorables comme l'abondance de nourriture ou la présence de grandes plaines, avec une particularité inattendue : certains chevaux avaient développé une robe bouclée, une caractéristique alors jamais observée en Espagne.

Les nouveaux chevaux importés d'Espagne s'étaient mêlés aux troupeaux sauvages et avaient donné naissance aux chevaux « criollo », des animaux d'ascendance espagnole nés en Amérique. Adaptés à la vie sauvage comme à la domestication, ces chevaux se sont rapidement propagés à travers l'Argentine, l'Uruguay et le sud du Brésil.

En 1739, les explorateurs espagnols Cabrera et Solanet notent la présence de chevaux bouclés parmi les troupeaux sauvages d'Argentine et du Brésil. Des décennies plus tard, le naturaliste espagnol Félix de Azara décrit également ces chevaux dans son livre Essais sur l'histoire naturelle des quadrupèdes de la province du Paraguay, publié à Paris en 1801. Même Charles Darwin évoque ces animaux dans son ouvrage de 1868 intitulé De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, en les citant comme exemple de la sélection naturelle. Selon les spéculations de Darwin, une mutation inconnue aurait permis à ces chevaux de s'adapter à leur nouvel environnement sud-américain. Pourtant, lorsqu'il a lui-même visité la région, Darwin n'a jamais eu la chance d'observer ces chevaux bouclés dans la nature et s'est alors demandé s'ils n'avaient pas tout simplement disparu.

D'autres, en revanche, attribuent à leur présence une origine relevant plutôt de la légende. Selon les croyances locales, ces chevaux à la robe ondulée seraient les descendants des montures chevauchées par les Templiers venus dissimuler le Saint-Graal sur le plateau de Somuncurá bien avant l'arrivée des conquistadors. Même si aucune preuve historique ne soutient cette théorie, la légende persiste, ce qui ajoute un soupçon de mysticisme à l'histoire déjà énigmatique de l'espèce.

 

UNE RACE À LA MUTATION UNIQUE

Pendant des années, Rodríguez et Sede ont écrit aux associations internationales dans l'espoir d'identifier la lignée de leurs propres chevaux, avec toujours la même réponse : il n'existait pas de chevaux bouclés en Amérique du Sud. Tout a changé lorsqu'ils ont contacté l'ICHO et ont reçu la visite de Wilkinson.

Sa première impression en découvrant les chevaux ? « Je les ai trouvés uniques et majestueux », raconte-t-il. Les échantillons d'ADN envoyés à l'Equine Genetics Laboratory de l'université A&M du Texas ont confirmé le caractère unique des chevaux de Rodríguez-Sede, en les distinguant de toute autre race connue. Contrairement aux autres chevaux bouclés, leur mutation génétique n'avait encore jamais été identifiée. Ces chevaux étaient classés comme un type de criollo argentin, une lignée ancestrale directement liée aux chevaux espagnols introduits plusieurs siècles auparavant.

« La robe bouclée n'est pas suffisante pour définir une race à part entière », indique Wilkinson. « Les boucles constituent un "trait" causé par une mutation ». Si des traits similaires existent chez des chevaux d'Amérique du Nord et de Sibérie, la plupart des mutations émergent naturellement au sein des populations indigènes isolées par la géographie. Tenus à l'écart des races européennes modernes, les chevaux bouclés de Patagonie conservent une connexion génétique ancestrale avec les poneys du Nord de la péninsule Ibérique, comme le Gallego et le Garrano, bien qu'ils soient légèrement plus imposants, avec une hauteur comprise entre 1,40 et 1,65 m.

Les avantages conférés par la robe bouclée en matière d'adaptation restent quant à eux spéculatifs. Selon le Dr Ernest Gus Cothran, professeur de génétique équine à l'université A&M du Texas, même si l'hypothèse émise à l'époque de Darwin voulait que la robe bouclée facilite la survie en hiver, « rien ne permet de l'affirmer ». Le climat difficile de la Patagonie a pu favoriser cette adaptation, mais de plus amples données seront nécessaires pour confirmer cette théorie.

Par ailleurs, en raison d'un manque de moyens financiers, la famille Rodríguez-Sede n'a pas pu envoyer des échantillons ADN récents de leur troupeau, une démarche pourtant essentielle à la progression des études génétiques. Les chercheurs doivent encore déterminer la mutation génétique responsable de la robe bouclée des chevaux et confirmer le caractère héréditaire.

 

UN GRAND BESOIN D'ESPOIR

Le rêve de Rodríguez et Sede de constituer un troupeau, qui a ensuite germé en volonté de conservation, s'est également heurté à divers obstacles. « Les bonnes années, nous avons un ou deux poulains », témoigne Sede. « Parfois, ils meurent à la naissance, car la mère n'a pas assez de lait, parce qu'elle n'a pas eu assez de nourriture pour s'engraisser pendant l'hiver, et nous n'avons pas l'argent nécessaire pour mieux les nourrir. »

La survie dans cet environnement hostile relève de l'exploit. Après avoir traversé le fleuve qui borde les terres fertiles de l'Alto Valle, avec ses vergers de pommes et de poires, le contraste offert par cette région de la Patagonie est saisissant. Il n'y a ni arbre ni montagnes, « juste de la pierre, de la pierre et encore de la pierre », explique Sede. Les températures dépassent les 30 °C à la saison estivale et plongent sous les -20 °C pendant l'hiver, avec plusieurs mètres de neige recouvrant la terre. Rare et précieuse, l'eau se trouve uniquement dans de petits lacs formés par la fonte des glaces. Sede n'a donc qu'un seul souhait : « Qu'il pleuve et que l'herbe pousse. »

Le problème posé par la conservation de ces chevaux est essentiellement économique, car Cothran est persuadé qu'une fois la mutation identifiée et le génotype des chevaux bouclés de Patagonie établi, il sera possible d'utiliser ces données pour sélectionner le meilleur couple reproducteur. « Si la mutation pose problème en cas d'individus homozygotes (deux copies identiques d'un gène), les accouplements pourront être organisés de façon à ne pas produire d'homozygotes », explique-t-il. Si le trait bouclé est souhaitable pour les éleveurs, un test peut contribuer à augmenter la fréquence du trait. »

Wilkinson identifie un problème plus large. « D'autres éleveurs en Argentine doivent s'y intéresser », indique-t-il. « Peu de personnes savent que ces chevaux existent. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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