Découverte : Le polatouche est l'un des rares mammifères fluorescents
Si à la lumière du jour, le pelage de trois espèces de polatouche présentes en Amérique du Nord est gris, il devient fluorescent sous les ultraviolets. Mais pourquoi ?
Les polatouches étaient déjà exceptionnels pour des rongeurs. Dotés d’un repli de peau qui s’étend entre ses membres antérieurs et postérieurs, ils peuvent planer sur de longues distances entre les arbres qu'ils occupent. Une nouvelle étude suggère désormais que certains de ces animaux cachent un étrange secret : lorsqu’ils sont exposés aux ultraviolets, leur pelage brille d’un rose bonbon éclatant.
Cette découverte fait de ces « écureuils volants » l’un des rares mammifères connus à être fluorescents, c’est-à-dire à avoir la capacité d’absorber la lumière d’une couleur ou d’une longueur d’onde, et de l’émettre dans une autre nuance. Cela soulève d’intéressantes questions quant à la fonction de cette capacité à émettre de la lumière et laisse penser que cette caractéristique pourrait être plus commune chez les mammifères que nous le pensions jusqu’alors.
Paula Spaeth Anish, biologiste au Northland College et auteure principale de la nouvelle étude publiée en janvier dans la revue Journal of Mammalogy, raconte que cette découverte a été faite par accident.
La biologiste explique que Jon Martin, professeur de gestion forestière et co-auteur de l’étude, arpentait de nuit une forêt du Wisconsin en utilisant une lampe de poche UV qu’il promenait sur la canopée à la recherche de lichens, de champignons, de plantes et de grenouilles, qui sont parfois fluorescents.
« Un soir, il a entendu le cri d’un polatouche au niveau d’une mangeoire à oiseaux, il a pointé la lampe de poche dans sa direction et a été stupéfait de voir une fluorescence rose », décrit-elle.
L’UN DES SEULS MAMMIFÈRES FLUORESCENTS
Jon Martin a décrit cette rencontre à Paula Spaeth Anish, qui étudie les rongeurs. « Je dois admettre que cette découverte m’a laissé un peu perplexe », confie la biologiste. « J’ai essayé de la placer dans un contexte que je pouvais comprendre. Était-ce dû au régime alimentaire ? S’agissait-il d’un phénomène localisé ?
Afin de découvrir à quel point cette caractéristique pouvait être répandue, les chercheurs se sont rendus au Science Museum, dans le Minnesota, et au Field Museum, à Chicago, pour examiner des peaux de polatouches. Le genre polatouche (Glaucomys) compte trois espèces qui vivent dans les forêts, dont l’aire de répartition s’étend du Nord-Ouest des États-Unis jusqu’au Canada et de l’Est des États-Unis jusqu’en Amérique centrale. L’équipe de chercheurs a pris des photographies des animaux sous lumière visible et lumière ultraviolette, les ont comparées avec des celles d’écureuils non volants et ont mesuré l’intensité du phénomène de fluorescence.
Si aucun des écureuils non volants n’émettait de lumière, toutes les espèces de polatouches, à l’exception d’une, émettaient une couleur rose similaire, peu importent le sexe de l’animal ou l’endroit où il vivait.
« Le phénomène de fluorescence est présent chez Glaucomys depuis le 19e siècle, du Guatemala au Canada, chez les mâles et les femelles, et chez les spécimens prélevés en toute saison », rapporte Paula Spaeth Anish.
Si d’autres animaux sont fluorescents (par exemple, le bec des macareux et les os des caméléons émettent une étrange lumière fluorescente bleue sous les ultraviolets), les seuls autres mammifères connus pour posséder un pelage fluorescent sont une vingtaine d’espèces d’opossums. Ces marsupiaux, qui vivent un peu partout sur le continent américain, ne sont pas étroitement apparentés aux polatouches, évoluent dans des écosystèmes différents et n’ont pas le même régime alimentaire.
Toutefois, les opossums et les polatouches ont un point commun : ils sont actifs au crépuscule et la nuit, alors que les autres espèces d’écureuils sont principalement diurnes.
Par faible luminosité, les ultraviolets sont relativement présents. De plus, il est généralement considéré que la vision ultraviolette est importante pour les animaux nocturnes. C’est pour cette raison que Paula Spaeth Anish soupçonne l’existence d’un lien entre cette lueur rose et la perception ainsi que la communication la nuit.
La couleur rose pourrait aussi aider les polatouches à se déplacer dans des environnements froids et enneigés, auxquels sont confrontées les trois espèces dans l’ensemble ou dans certaines zones de leur aire de répartition.
« Il se peut que cette caractéristique soit plus visible, ou plus marquée, lorsqu’il neige en raison du taux élevé de réflexion des UV sur la neige. Si cette caractéristique est impliquée dans la communication de l’animal, la neige lui donnerait un « coup de pouce » », explique la biologiste.
UNE TECHNIQUE DE CAMOUFLAGE OU D’IMITATION
Mais à quoi pourrait bien servir la fluorescence ? Corinne Diggins, biologiste spécialisée dans la faune à l’université Virginia Tech qui n’a pas pris part à l’étude, se demande s’il s’agirait d’une façon pour les polatouches d’indiquer à de potentiel(le)s partenaires leur état de santé et leur vivacité relatives.
« Peut-être que le ventre fluorescent couleur rose vif d’un mâle polatouche suscite l’admiration chez une femelle », suggère la biologiste.
Paula Spaeth Anish estime que cela est peu probable : aucun pic saisonnier ou différence de fluorescence n’a été constaté entre les mâles et les femelles. En attendant, le mécanisme responsable de la fluorescence du pelage est toujours inconnu.
La biologiste et son équipe avancent d’autres utilisations possibles de cette couleur rose fluorescente : le camouflage ou l’imitation. De nombreux lichens qui recouvrent les arbres sont également fluorescents. Il se peut donc que le pelage rose des polatouches soit une façon de se fondre dans le décor. Les polatouches pourraient aussi imiter certains hiboux et chouettes, dont le ventre émet une lumière fluorescente rose vif.
Jim Kenagy, conservateur de mammologie au Musée Burke de l’université de Washington, n’a pas pris part à cette étude mais est curieux de savoir si cette fluorescence se manifeste chez les polatouches qui vivent dans les autres régions du monde.
« Il est étonnant qu’ils n’aient pas plus examiné les espèces qui constituent le reste de la sous-famille des polatouches », a-t-il indiqué.
Plus que tout, cette découverte montre à quel point nous en savons peu sur les polatouches.
« [Cette étude] souligne que nous avons encore beaucoup à apprendre sur la façon dont les polatouches interagissent les uns avec les autres et avec leur environnement », a déclaré Corinne Diggins.
Comprendre comment les polatouches voient le monde, et comment ce dernier les voit, est essentiel pour apprécier pleinement leurs besoins en matière d’habitat, qui sont étroitement liés à la sauvegarde continue de l’espèce. Cette découverte révèle aussi que de nombreux mammifères pourraient avoir un pelage émettant de la lumière ultraviolette, et que nous l’ignorons complètement.
« Voici la leçon à tirer : de notre point de vue de primate diurne, nous négligeons de nombreux aspects de la communication et de la perception animales qui se produisent au crépuscule et pendant la nuit », conclut Paula Spaeth Anish.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.