Cette grenouille que l'on pensait éteinte est réapparue après 100 ans

Cette redécouverte sera essentielle dans la lutte pour la protection de l’écosystème le plus dégradé de l’Équateur : les montagnes de la Cordillère des Andes, dans le sud du pays.

De Humberto Basilio
Publication 13 sept. 2024, 17:05 CEST
Il s’agit de l’une des deux grenouilles femelles trouvées lors d’une expédition de recherche en 2022 ...

Il s’agit de l’une des deux grenouilles femelles trouvées lors d’une expédition de recherche en 2022 et identifiées par la suite comme étant de l’espèce Pristimantis ruidus. C’est la première fois que cette dernière est photographiée vivante.

PHOTOGRAPHIE DE Jaime Culebras

En sortant de l’ombre, une grenouille disparue depuis bien longtemps donne une lueur d’espoir aux défenseurs de l’environnement équatoriens.

En 2022, le biologiste Juan C. Sánchez-Nivicela et son équipe se sont frayé un chemin à travers une végétation dense lors d’une expédition dans les forêts de Molleturo, dans les Andes équatoriennes. À la lueur de la pleine lune, tandis que le volcan Sangay ne cessait de gronder à quelques kilomètres de là, les chercheurs sont partis à la recherche d’espèces d’amphibiens nouvelles, rares ou disparues.

L’espace d’un instant, le bruit du volcan s’est interrompu. Au milieu de la forêt, une clairière où gisait un arbre tombé était éclairée par la lumière de la lune. Les scientifiques s’en sont approchés et y ont trouvé deux minuscules grenouilles qu’ils n’ont pas pu identifier sur le moment. Le mois dernier, l’équipe a indiqué dans la revue Zoosystematics and Evolution qu’elles appartenaient à l’espèce Pristimantis ruidus. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avait classé cette dernière comme « peut-être éteinte » car aucun scientifique ne l’avait aperçue à l’état sauvage depuis que le zoologiste George Henry Hamilton Tate l’avait découverte en 1922.

« Cette découverte nous remplit d’espoir », s’enthousiasme la biologiste María del Carmen Vizcaíno Barba, directrice générale et présidente de Jambato Alliance, organisation non gouvernementale (ONG) à but non lucratif qui rassemble une équipe interdisciplinaire de professionnels et plus de vingt-six institutions nationales et internationales travaillant à la préservation des amphibiens d’Équateur. Cette biologiste, qui n’a pas participé à la nouvelle étude, pense que Pristimantis ruidus pourrait devenir un porte-drapeau de la bataille juridique pour la protection des Andes du sud, l’écosystème le plus dégradé d’Équateur en raison de l’exploitation minière et forestière illégale.

Juan C. Sánchez-Nivicela, ici en train d’analyser un spécimen de musée en laboratoire, et ses collègues ont comparé Pristimantis ruidus à d’autres espèces afin de confirmer leur redécouverte.

PHOTOGRAPHIE DE Jaime Culebras

 

SORTIR DE L’OMBRE

Dans les années 1970, l’herpétologue John Douglas Lynch a recherché et décrit plusieurs espèces du sud de l’Équateur mais n’a jamais croisé le chemin de Pristimantis ruidus. À défaut, afin de pouvoir décrire l’espèce, il s’est appuyé sur les spécimens conservés de George Henry Hamilton Tate, collectés près de cinquante ans plus tôt. Dans le laboratoire de Juan C. Sánchez-Nivicela, à l’Universidad San Francisco de Quito, l’équipe a comparé les grenouilles sauvages qu’elle avait collectées avec les descriptions de John D. Lynch. 

Elles apparaissaient telles que ce dernier les avait décrites et dessinées : une peau rugueuse, de nombreuses bosses et des stries singuliers en forme de W sur le dos. Le tympan de certaines grenouilles peut se distinguer au niveau de leur tête mais pas celui de Pristimantis ruidus, à l’instar des individus qui ont été trouvés. « Nous sommes devenus fous », révèle Juan C. Sánchez-Nivicela. « C’était parfait. La description correspondait parfaitement. »

Les chercheurs de l’Université technique particulière de Loja ont également comparé l’ADN des deux femelles avec celui de trente-cinq autres espèces de Pristimantis conservé dans une banque de gènes. L’empreinte génétique des grenouilles ne correspondait à celle d’aucune autre espèce, ce qui a confirmé la redécouverte. « Elle ne correspondait à rien parce qu’il n’y a jamais eu de matériel génétique provenant de cet animal », explique Juan C. Sánchez-Nivicela.

La redécouverte de Pristimantis ruidus est « une seconde chance de préserver ce qui pourrait potentiellement être la seule région où l’on peut la trouver, non seulement en Équateur, mais aussi dans le monde entier », déclare Diego Armijos-Ojeda, herpétologue à l’Université technique particulière de Loja. Ce dernier a également fait partie d’un groupe de l’UICN qui a mis à jour la Liste rouge des amphibiens de l’Équateur en 2019, montrant que 363 de ces individus étaient menacés, soit 57 % du total des espèces du pays.

 

SE BATTRE POUR LA PRÉSERVATION

Les herpétologues et les militants équatoriens ont tiré parti des redécouvertes d’amphibiens dans leur lutte contre les importantes menaces pesant sur la biodiversité du pays. En 2019, par exemple, plusieurs ONG de protection de la nature, ainsi que des communautés du nord de l’Équateur, ont fait d’Atelopus longirostris, une espèce de grenouille arlequin redécouverte après trente ans, leur cheval de bataille contre les concessions minières accordées par l’État à la société chilienne Codelco et à la société minière publique du pays ENAMI EP.

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    En novembre 2022, des chercheurs ont entrepris de recenser les espèces d’amphibiens de la Quitahuaycu Conservation Reserve à Molleturo, en Équateur. Ici, Ernesto Arbeláez Ortiz, un autre coauteur de l’étude, cherche des têtards d’une autre espèce de grenouille considérée comme éteinte.

    PHOTOGRAPHIE DE Jaime Culebras

    Des activistes et des scientifiques ont averti que les opérations minières dans le nord du pays violaient les droits de la nature et contaminaient les habitats proches de l’endroit où les chercheurs ont trouvé l’Atelopus longirostris. Les défenseurs de l’environnement ont intenté des poursuites judiciaires, arguant que les études d’impact sur l’environnement donnant approbation aux sociétés minières ne tenaient pas compte de cette espèce qui habite la vallée de l’Intag, dans le nord du pays. En outre, celles-ci ne proposaient aucune mesure pour protéger les espèces menacées telles que l’Atelopus longirostris. Après près de cinq ans de bataille juridique contre les compagnies minières, un juge a prononcé un jugement en faveur des communautés et des ONG début 2024, annulant le permis d’exploitation du projet minier Llurimagua.

    « Nous avons gagné une bataille », déclare la biologiste Andrea Terán-Valdez, manager de biobanque pour le centre Jambatu, dédié à la recherche et à la préservation des amphibiens, à Quito. « Le problème c’est que, tant que la législation restera la même, rien ne changera », poursuit-elle.

    Les forêts des contreforts andins de l’ouest de l’Équateur, y compris celles de Molleturo où Pristimantis ruidus est réapparue, ne s’étendent désormais plus que sur 30 % de leur territoire d’origine après deux décennies de déforestation intense, de changements d’usage des sols et d’exploitation minière. Juan C. Sánchez-Nivicela et son équipe sont convaincus que chaque espèce qu’ils découvrent et ajoutent à la liste des amphibiens renforce leur cause en faveur de la protection de la forêt. En laboratoire, ils se serviront du matériel génétique de Pristimantis ruidus pour confirmer le fait que d’autres grenouilles appartiennent à des espèces nouvelles ou redécouvertes. En attendant, les chercheurs restent déterminés à trouver d’autres amphibiens présumés disparus. « Nous sommes confiants », affirme Juan C. Sánchez-Nivicela. « Nous pensons qu’ils sont là quelque part. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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