Dr Pol : « Les animaux ne cessent de m’émerveiller »
À l’occasion de la diffusion de la nouvelle saison de L’Incroyable Dr Pol sur National Geographic Wild, nous avons échangé avec le vétérinaire le plus célèbre du petit écran sur le bien-être animal, l’élevage et l'avenir des vétérinaires de campagne.
Dr. Jan Pol, photographié durant le tournage de l'émission L'Incroyable Dr Pol.
La popularité et la longévité extraordinaires de l’émission L’Incroyable Dr Pol diffusée sur National Geographic Wild tous les jeudis à 20h45 monteraient à la tête de la majorité d’entre nous. Pourtant, cela n’a rien changé pour Dr Pol, dont la passion pour les animaux est à la fois contagieuse et inspirante. Cinquante ans de pratique plus tard, sa mission est restée la même : s’assurer que les animaux qu’il rencontre sont en bonne santé et bien pris en charge.
À l’occasion du début de la nouvelle saison inédite de L’Incroyable Dr Pol, et entre deux consultations, il a pris le temps de répondre à nos questions « parfois très difficiles » par téléphone.
Commençons par une question à un million de dollars ! De plus en plus d’études suggèrent que les animaux ont des processus de pensées, des émotions, des connections sociales qui sont pour eux tout aussi importantes que pour nous. Êtes-vous d’accord avec ces conclusions et si tel est le cas, en avez-vous souvent la preuve au jour le jour ?
Oui, complètement. La seule chose, c’est que les animaux n’analysent pas… Ils pensent et ressentent mais quand ils font quelque chose, ils n’anticipent pas toujours les conséquences de leurs actes. Mais ils savent beaucoup de choses. Ils savent quand c’est l’heure de manger, à quelle heure vous avez l’habitude de rentrer chez vous – les connections avec les Hommes sont d’ailleurs un des meilleurs moyens de constater que les animaux ont des émotions.
Et puis, plus je travaille avec des animaux, plus je les trouve intelligents. Ils ne cessent de m’émerveiller. C’est évident qu’ils ont des émotions et des connections sociales. Les uns avec les autres évidemment mais aussi avec les humains. Nous avons une voisine qui est diabétique. Quand son mari, qui avait l’habitude de s’occuper d’elle, est décédé, son petit chien qui dormait avec elle a commencé à la réveiller au beau milieu de la nuit quand son taux glycémique était trop bas. Comment est-ce possible ? Eh bien en regardant son mari prendre soin d’elle, il s’est en quelque sorte formé tout seul à réveiller sa maîtresse dès que celle-ci voyait son taux glycémique baisser. Les animaux ont cette sorte de sixième sens que nous avons perdu… parce que nous avons évolué en déconnexion avec la nature.
Avez-vous déjà vu des animaux faire le deuil de leur congénères, de leurs petits ou de leurs maîtres ?
Quand ils perdent leurs maîtres, oui, le deuil est significatif. Mais si par exemple vous avez chez vous quatre chiens, ils n’exprimeront pas nécessairement de peine si l’un d’eux venait à mourir… parce que les animaux acceptent la mort comme faisant partie de la vie. Et ce que je répète sans cesse à leurs maîtres : « les animaux n’ont pas peur de mourir ». Pour nous, c’est déchirant de devoir les laisser s’en aller, mais quand un animal se sent mourir, il peut tout simplement partir et ne jamais revenir. Il s’étend loin des regards quand il sait que son heure est venue.
D’après votre expérience, quels effets physiques et émotionnels peuvent avoir les différents types d’élevage sur les animaux (par exemple l’élevage en plein air comparé à l’élevage en batterie) ?
Les animaux, et surtout les gros animaux au sommet de la chaine alimentaire, comme les vaches, n’ont plus pour ainsi dire de prédateurs. Quand on laisse les vaches dans une étable ou dans un petit pré, ou dans un environnement fermé, elles sont heureuses parce qu’elles se sentent en sécurité. À l’état naturel, ces types d’animaux ont d’ailleurs tendance à rester en groupe pour assurer leur sécurité.
Le vrai problème, c’est que les fermes familiales disparaissent, parce que l’élevage à petite échelle ne paye plus. Quand Diane et moi avons commencé à travailler il y a cinquante ans, il y avait des exploitations familiales tous les trois à quatre kilomètres. Quand j’étais jeune vétérinaire je me souviens avoir fait des tournées de vingt-deux arrêts pour surveiller l’état de santé de vaches en gestation. Ces fermes ont disparu, il ne reste qu’une douzaine de familles et ce que vous voyez maintenant, ce sont d’immenses fermes sous contrats avec des industriels qui les poussent à produire toujours plus de lait, toujours plus de viande. Mais même dans cette forme d’élevage industriel, on prend bien soin des animaux…
Je ne suis pas d’accord avec cela… mon tout premier petit boulot avant d’aller à l’université était dans une usine d’œufs. Je m’occupais de mettre les étiquettes sur les boîtes d’œufs, en toute fin de chaîne. Et ce que j’ai pu observer m’a horrifiée. Des poules parquées dans des toutes petites cages par centaines, sans jamais voir la lumière du jour, se marchant dessus et sur les cadavres retirés une fois par jour. Pour tromper leur métabolisme, on allumait et éteignait la lumière plusieurs fois par jour pour leur faire croire qu’une nouvelle journée commençait et qu’il était déjà l’heure de pondre un autre œuf. La plupart mourraient d’épuisement après quelques semaines… Je ne pense pas que l’on puisse dire qu’on prenait bien soin d’elles, encore moins qu’elles étaient heureuses.
Je dois dire que je ne suis pas d’animaux dans ce type d’élevage qui ont en général leur propre équipe de vétérinaires. Plus les exploitations sont grandes, moins les petits cabinets vétérinaires comme le mien sont sollicités.
Je ne sais pas comment cela se passe en France aujourd’hui mais aux États-Unis, je crois que les éleveurs ont compris que ce type d’élevages ne paie pas sur le long terme et d’ailleurs d’un point de vue sanitaire c’est le meilleur moyen que des épidémies se propagent. Quand les animaux sont bien traités, ils sont pour ainsi dire plus « productifs ». Je me souviens que, jeune vétérinaire, je suis allé voir un fermier et l’ai surpris en train de frapper une de ses vaches. Je lui ai dit « Si vous n’arrêtez pas de la frapper, je vais m’occuper de vous ! ». Il a fait faillite six mois plus tard, en grande partie parce que ses vaches avaient tellement peur de lui et étaient tellement stressées qu’elles n’avaient plus de lait. C’est ce que je voulais dire quand je vous disais que la première préoccupation que doit avoir un éleveur est de donner un environnement sain et sûr à ses animaux.
Comment faites-vous pour qu’un animal vous fasse confiance et vous laisse le soigner ?
D’abord, vous les regardez dans les yeux, sans avoir l’air menaçant. Ils sauront tout de suite si vous avez peur ou non, et comprendront dans quel état d’esprit vous êtes. Ne foncez pas sur eux. Attendez qu’ils viennent à vous et vous sentent. Ils n’ont besoin que d’une dizaine de secondes pour savoir si vous êtes bien intentionné. Laissez l’animal vous connaître avant de vouloir le toucher. C’est vrai pour les chats et les chiens mais aussi pour les chevaux et les vaches. Ne vous dirigez jamais vers un cheval ou une vache avec un air menaçant. Gardez vos mains le long du corps, avancez calmement vers eux et laissez-les vous sentir. Ensuite, peu importe que vous soyez là pour les caresser ou leur faire une injection aussi douloureuse que nécessaire : ils savent que vous leur voulez du bien.
En parlant d’injections… Quelles conséquences la crise liée au COVID-19 a-t-elle eu sur votre clinique ?
Maintenant les gens viennent à la clinique et restent sur le parking et nous appellent depuis leur voiture. Ils nous disent pourquoi ils sont là. Si c’est un contrôle de routine, on vient chercher l’animal et on l’examine avant de lui administrer ses vaccins etc. Si l’animal est malade, une personne est autorisée à nous accompagner pour nous donner toutes les informations nécessaires, mais nous ne sommes plus autorisés à laisser des gens attendre en salle d’attente. Pour nous, c’est beaucoup plus de travail, ne serait-ce que les allers-retours pour aller chercher les animaux et les ramener auprès de leurs maîtres, réunir tous les documents et les informations requises avant de faire des tests…
Et avez-vous constaté des changements chez les animaux et leurs maîtres justement ? Une étude récente a montré que si la présence d’un animal de compagnie pouvait aider à traverser cette étrange période, on notait des changements de comportement chez certains animaux…
Encore une fois, un animal ressent tout ce que son maître ressent. Et cette crise, avec son lot de restrictions et de confinements, a créé beaucoup de frustrations. Ces personnes frustrées restent donc chez elles. À la campagne c’est plus facile, vous pouvez sortir pour marcher et vous détendre, mais c’est impossible en ville. Les animaux ressentent cette frustration mais peuvent néanmoins apprécier la plus grande présence de leurs maîtres. Ce que j’anticipe, c’est que dès que les bureaux rouvriront, nous allons voir chez beaucoup d’animaux de compagnie des angoisses de séparation. Quand pendant des mois ces animaux ont été habitués à la présence de leurs compagnons humains et qu’ils se retrouvent à nouveaux seuls… Nous verrons bien comment cela évolue.
La production de l’Incroyable Dr Pol a elle aussi évolué pour se conformer aux nouvelles règles sanitaires. Pendant le tournage des précédentes saisons, vous saviez toujours quand vous étiez filmé, mais pour respecter les mesures de distanciation sociale, la production a installé plusieurs caméras dans votre clinique. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
D’abord et avant tout, je suis vétérinaire. L’émission est secondaire. Ma mission première est de prendre soin des animaux. On me demande souvent « Quel est votre animal préféré ? ». Les animaux que je préfère sont les animaux en bonne santé. C’est la raison pour laquelle Charles [le fils du Dr Pol, ndlr] est venu me chercher pour faire l’émission, parce qu’il connaissait ma philosophie et ma volonté d’aider les animaux.
Donc oui, vous avez raison, nous ne sommes plus filmés par des cameramen et avons maintenant soixante caméras dans la clinique, que l’équipe de production oriente comme elle le souhaite pour capturer ce qui l’intéresse. Nous n’avons donc absolument aucune idée de ce qui a été filmé ou de comment ça va être monté [rires] !
L’absence de cameramen a-t-elle été déstabilisante ou libératrice pour vous ?
Ça ne fait aucune différence pour moi. Ma seule préoccupation, ce sont les animaux et rien d’autre. Si la production veut filmer un cas en particulier, elle m’en informe et je fais en sorte de leur faciliter la tâche pour bien le filmer mais c’est tout.
En parlant de l’émission, comment vivez-vous cette popularité aussi incroyable que durable et son revers - que vos gestes soient à ce point scrutés et parfois critiqués par vos pairs ?
Tout ce que vous voyez dans l’émission est vrai, rien n’est simulé. On voit Charles, Diane et moi, aussi vrais qu’on peut l’être. Je me rappelle d’un producteur qui travaillait sur l’émission il y a quelques années et qui m’avait dit un jour « Est-ce que Charles et toi vous pourriez vous disputer ? Les gens vont adorer ! » et je lui ai dit « Quoi ?? J’aime mon fils. Pourquoi est-ce que je me disputerais avec lui ? Je ne le ferai pas. » Je pense au contraire que de voir à l’écran une famille qui s’aime est bien plus important.
Pour ce qui est des critiques…Est-ce que certaines personnes n’aiment pas la manière dont je viens en aide aux animaux ? Oui, et c’est leur droit. Mais s’ils savaient combien de clients nous avons… c’est même difficile aujourd’hui d’accepter de nouveaux clients. Et ils reviennent tous nous voir parce qu’ils sont satisfaits de la manière dont nous traitons leurs animaux. On voit même des gens venir de très loin, faire des heures de voiture pour faire soigner leur coq parce qu’ils n’arrivent pas à trouver de vétérinaire proche de chez eux. Ma mission est d’aider les animaux, d’une manière ou d’une autre... Il y a bien sûr des vétérinaires qui vont systématiquement faire la promotion des traitements les plus chers. Mais si les personnes que je rencontre ne peuvent pas s’offrir de Cadillac, quel mal y a-t-il à leur proposer une Ford ? Le plus important, c’est de s’assurer que l’animal aille mieux grâce au traitement, quel qu’il soit.
Bien sûr que vous pouvez traiter ce coq pour 300 dollars. Mais pourquoi ne pas le traiter pour un prix plus raisonnable, plus juste pour les personnes qui viennent vous voir ?
Nous avons récemment publié un grand reportage sur les vétérinaires de campagne français sur le site. Ils sont passionnés, dédiés jour et nuit aux animaux et aux éleveurs mais expliquent qu’il est de plus en plus difficile d’exercer en tant que vétérinaire de campagne. Ils ne comptent pas leurs heures, sont d’astreinte 365 jours par an, la désertification des campagnes et la détresse de certains éleveurs découragent beaucoup de jeunes vétérinaires à s’engager dans cette voie…
C’est vrai. C’est un phénomène que nous constatons ici aussi. Être vétérinaire de campagne ne paie plus assez. À moins de travailler comme je vous le disais avec de grosses exploitations qui ont des contrats avec des géants de l’industrie agroalimentaire. Les fermes familiales disparaissent les unes après les autres… Et je dois dire que c’est pour ça que je n’ai jamais voulu travailler seul : parce que c’est se condamner au burn out. 365 jours par an, 24 heures sur 24… les animaux - et surtout les gros animaux - ne connaissent pas le concept de weekends. La surcharge de travail est inévitable, à moins de se limiter à une toute petite clientèle. Mais si ça ne paie pas assez, vous finissez par abandonner.
Mais quand on est passionné et qu’on décide de dédier sa vie aux animaux, on ne peut pas abandonner. C’est un vrai dilemme pour eux, parce que c’est toute leur vie, mais qu’ils n’arrivent plus à la gagner correctement malgré de longues heures de travail.
Vous avez tout à fait raison. Si le fermier n’arrive pas à s'en sortir, il ne peut pas non plus payer le vétérinaire. Et en tant que vétérinaire, vous ne pouvez pas dire « Si vous ne payez pas, je ne viens pas » alors qu’un animal a besoin de votre aide… parfois on est obligés d’accepter de perdre de l’argent.
L’émission est maintenant une vraie entreprise familiale avec votre femme Diane et votre fils Charles. Est-ce que, finalement, le secret de votre longévité ne se trouverait pas dans le fait de créer des souvenirs ensemble ?
Si ! Vous savez, je viens d’une famille de six enfants, et je suis le seul encore en vie. Mon dernier frère, qui vivait aux Pays-Bas, est mort en décembre dernier. Mais ce qui est beau, c’est qu’ils ont été filmés dans le cadre de l’émission. De cette manière, nous pouvons remonter le temps et les revoir… C’est aussi cela qui rend pour nous l’émission si belle et si singulière.
Retrouvez le Dr Pol dans L'Incroyable Dr Pol, tous les jeudis à 20h45 sur National Geographic Wild.
Cet entretien a été édité dans un souci de concision et de clarté.