En Californie, des otaries empoisonnées par une neurotoxine attaquent des baigneurs

Face à la prolifération d’algues nuisibles qui libèrent une dangereuse neurotoxine dans l’eau, certaines otaries de Californie, d’habitude très amicales, se montrent plus agressives envers les humains.

De Bethany Augliere
Publication 10 avr. 2025, 10:16 CEST
Des sauveteurs capturent une otarie malade à Santa Barbara, en Californie. Des centaines d’animaux sont tombés malades ...

Des sauveteurs capturent une otarie malade à Santa Barbara, en Californie. Des centaines d’animaux sont tombés malades sous l’effet d’une neurotoxine produite par des algues en pleine prolifération et qui provoque des changements de comportement inquiétants. À ce jour, deux baigneurs ont été mordus.

PHOTOGRAPHIE DE David Swanson, AFP, Getty Images

Le mois dernier, RJ LaMendola, un photographe de 40 ans, surfait tranquillement au nord de Los Angeles lorsqu’il a été attaqué par une otarie, qui lui a violemment mordu la fesse gauche à travers sa combinaison de plongée. L’animal a ensuite poursuivi le surfeur, qui tentait désespérément de rejoindre le rivage en utilisant sa planche comme un bouclier.

« Je ne sais pas comment décrire la peur qui m’a saisi à ce moment-là, en regardant le visage de cette créature qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu voir auparavant : son expression était féroce, presque démoniaque, dépourvue de la curiosité ou de la joie que j’avais toujours associées aux otaries », raconte LaMendola.

Le photographe a eu beaucoup de chance : bien que profonde et douloureuse, la morsure n’a pas touché « une artère, mon visage, ou pire encore ».

C’est en appelant l’Institut de la faune marine des îles Anglo-Normandes pour signaler l’attaque que LaMendola a appris que la prolifération d’algues nuisibles dans les eaux de la région rendait malades des centaines d’animaux marins, notamment des otaries de Californie et des dauphins communs à long bec, en entraînant des lésions cérébrales permanentes, voire la mort. Les neurotoxines contenues dans les algues, qui peuvent provoquer des changements de comportement, sont probablement à l’origine de la férocité de l’otarie rencontrée par LaMendola.

« Par-dessus tout, je me soucie sincèrement de l’océan et de ses animaux », a écrit LaMendola à National Geographic alors qu’il était assis aux urgences. « J’ai passé ma vie à défendre l’océan à travers mes photographies. En ce moment, je suis terrifié… pour l’océan et ceux qui l’habitent. Quelque chose ne va pas », a-t-il ajouté sur ses réseaux sociaux.

Les inquiétudes du photographe rejoignent les rapports des autorités californiennes, qui révèlent recevoir jusqu’à 100 appels par jour de la part de citoyens inquiets au sujet d’otaries et de dauphins malades. Fin mars, une jeune fille de 15 ans a également été mordue par une otarie dans la ville de Long Beach, en Californie, mais est désormais en rétablissement.

 

L’ORIGINE DU MAL

La présence des otaries de Californie est le fruit de la réussite du Marine Mammal Protection Act, une loi américaine de 1972 relative à la protection des mammifères marins. À la fin des années 1920, la côte californienne ne comptait pas plus de 1 500 individus, mais aujourd’hui, ils sont environ 250 000 à vivre dans la région et ils sont généralement parfaitement amicaux. Les attaques, notamment celles qui ne découlent d’aucune provocation de la part des humains, comme dans les deux cas rapportés récemment, sont extrêmement rares.

La côte de la Californie du Sud est le théâtre d’une prolifération d’algues nuisibles alimentée par la présence d’un organisme appelé Pseudo-nitzschia, un type de diatomée, des micro-algues unicellulaires qui flotte dans l’eau. Les diatomées sont importantes pour les écosystèmes marins car elles sont à la base de la chaîne alimentaire : elles servent à nourrir les petites créatures marines comme le plancton, qui sont ensuite mangées par les poissons et d’autres animaux, et ainsi de suite.

Le problème, c’est que ces diatomées peuvent libérer une puissante neurotoxine connue sous le nom d’acide domoïque. Tout comme les autres types d’algues, Pseudo-nitzschia est toujours dans l’eau ; cependant, dans des conditions favorables, elle peut se développer rapidement et libérer la toxine, explique Clarissa Anderson, océanographe biologique à la Institut océanographique Scripps de La Jolla, en Californie.

« Ces espèces végétales sont alimentées par le phénomène des remontées d’eaux profondes », ou upwelling, révèle Anderson, en référence au processus océanique naturel par lequel les eaux profondes et froides, qui sont riches en nutriments, remontent à la surface le long des côtes sous l’effet des courants océaniques et des vents, en particulier au printemps et en été. « C’est une recette parfaite pour stimuler la prolifération de ces algues. »

Il est néanmoins difficile de déterminer pourquoi ce phénomène a un tel impact sur leur développement, admet Anderson. L’une des hypothèses est liée à la composition des nutriments contenus dans l’eau remontée, qui est pauvre en silice et riche en azote. Pseudo-nitzschia ne reçoit ainsi peut-être pas suffisamment de silice pour fabriquer ses coquilles (des enveloppes extérieures semblables à du verre), ce qui augmente son stress et le pousse à produire de l’acide domoïque, suggère Anderson. « Les raisons de ce phénomène sont complexes, mais ce qui ne fait aucun doute pour nous, c’est que la proportion de ces deux nutriments joue un rôle. »

En plus de la remontée des eaux profondes, les scientifiques étudient d’autres causes potentielles de cette prolifération, comme les feux de forêt qui ont frappé la côte californienne en janvier, qui ont réchauffé l’océan et y ont ajouté des nutriments.

Depuis 1991, la côte ouest des États-Unis connaissait déjà une prolifération occasionnelle de ces algues nuisibles, mais 2025 marque la quatrième année consécutive, ce qui laisse entendre qu’elle pourrait devenir une phénomène régulier. Par ailleurs, l’algue toxique est apparue plus tôt que les années précédentes et, à l’heure actuelle, s’est étendue sur près de 600 km, du comté de San Diego au comté de Santa Barbara.

 

UN DANGER POUR LES ANIMAUX

Les otaries de Californie (ou lion de mer de Californie) affectées par l’acide domoïque souffrent de certains symptômes, tels que des tremblements idiopathiques de la tête ou des crises d’épilepsie. Selon Kathi Lefebvre, chercheuse en biologie à la NOAA Fisheries qui étudie les effets de l’acide domoïque chez les mammifères marins depuis 1998, la toxine surstimule les nerfs des animaux touchés.

L’acide domoïque présente une structure similaire au glutamate, un neurotransmetteur qui transmet naturellement des signaux entre les cellules nerveuses du système nerveux central, aidant ainsi les nerfs à s’activer, décrit Lefebvre. Lorsque l’acide domoïque se lie aux récepteurs, il y reste plus longtemps que le glutamate, et déclenche le comportement en question.

La neurotoxine pénètre dans l’organisme des mammifères marins au travers de la chaîne alimentaire. Certains poissons, comme les anchois et les crustacés, qui se nourrissent en filtrant des organismes de très petite taille dans l’eau, ingèrent les algues en cause et, ainsi, absorbent la neurotoxine. Lorsque des animaux plus grands, comme les otaries de Californie, les dauphins et même les humains, mangent ces poissons ou crustacés contaminés, ils ingèrent donc à leur tour la toxine (qui, à fortes doses, peut s’avérer mortelle chez les humains).

Une exposition chronique de faible intensité peut suffire à rendre un animal malade. « Si vous stimulez une otarie de Californie qui a été exposée à de faibles doses sur du long terme, ses réactions seront exacerbées. »

L’otarie impliquée dans l’attaque de LaMendola a peut-être été surprise par la présence de l’homme dans l’eau et, sous l’effet de la neurotoxine, a eu une réaction excessive. Lefebvre souligne que, si la toxine provoque bel et bien des réactions excessives chez les otaries, la plupart de ces comportements sont déclenchés par des stimuli externes : les animaux ne cherchent pas activement à mordre quelque chose, un élément vient les provoquer et ils ne savent plus réagir normalement. « Si l’on y réfléchit, c’est assez triste », admet la chercheuse en se rappelant que les surfeurs pouvaient autrefois coexister en toute sécurité avec ces animaux dans l’océan.

La plupart des experts s’accordent toutefois à dire que les attaques menant à des morsures sont très rares, et que les plagistes ne doivent donc pas s’inquiéter. 

« Nous ne disposons pas d’une bonne méthode de suivi [des morsures d’otaries de Californie] », affirme Michael Milstein, chargé de relations publiques pour la NOAA Fisheries. Il est également difficile de déterminer si les morsures sont plus fréquentes lors des épisodes de contamination à l’acide domoïque. « Nous avons eu vent de davantage d’incidents de ce type, qui restent néanmoins encore très rares, mais nous ne disposons pas de statistiques suffisamment fiables d’une année sur l’autre pour identifier une tendance cohérente. »

La jeune fille de 15 ans attaquée à la fin du mois de mars était en train de passer un test de natation dans le cadre d’un programme de formation de maîtres-nageurs lorsqu’elle a senti quelque chose lui attraper le bras dans l’eau. Malgré une morsure, elle s’en est sortie sans blessures graves.

 

POUVONS-NOUS SAUVER LES ANIMAUX CONCERNÉS ?

Selon Lefebvre, une otarie qui a absorbé suffisamment de toxines pour subir des crises d’épilepsie et des lésions cérébrales ne se rétablira jamais complètement, même si elle est traitée. « Elles sont affectées pour toujours », déplore-t-elle, car la toxine altère la mémoire ; elles ont donc plus de difficultés à naviguer ou à trouver de la nourriture. En revanche, dans le cas d’une exposition de faible intensité, c’est-à-dire lorsque l’animal n’a encore subi aucune crise d’épilepsie, des déficits de mémoire peuvent apparaître au fil du temps, mais disparaître après la fin de l’exposition, ajoute-t-elle, en se basant sur des tests effectués sur des souris de laboratoire.

Pour Sharon Melin, biologiste à la NOAA Fisheries, bien qu’il soit difficile d’en mesurer l’impact exact, l’acide domoïque peut provoquer des fausses couches chez les otaries enceintes et entraîner des décès en mer. Une potentielle baisse de la natalité pourrait découler des effets de l’acide domoïque, mais d’autres facteurs entrent également en jeu.

La deuxième espèce la plus touchée par ce phénomène est le dauphin commun à long bec, mais les scientifiques ne s’attendent pas à des répercussions majeures sur la population de l’espèce, même s’ils ne peuvent pas faire grand-chose pour les dauphins échoués.

Certains centres de réhabilitation agréés par la NOAA, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, reçoivent des dizaines d’appels par jour relatifs à des otaries de Californie échouées à cause de la toxine. L’agence s’efforce de sauver autant d’animaux que possible, tout en recueillant des données précieuses pour les recherches en cours sur les effets de l’acide domoïque et son impact sur la vie marine. Cependant, même si les animaux sont rendus à la vie sauvage, leur mémoire est encore affectée et beaucoup ne peuvent plus s’orienter correctement dans leur environnement.

D’après Jeff Bohem, du Marine Mammal Center, s’il est naturel d’être curieux, les baigneurs devraient tout de même garder leurs distances : les animaux sur la plage peuvent être malades et les interactions avec des humains ne font qu’ajouter à leur détresse, c’est pourquoi il conseille vivement de rester à au moins 50 mètres de distance. Essayer de forcer l’animal à retourner dans l’eau pourrait aggraver son état et compliquer les efforts de sauvetage. « Les animaux malades sont encore plus imprévisibles, probablement parce que la maladie est d’origine neurologique. Leurs actions ne sont pas faciles à prévoir. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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