En Australie, la chasse aux kangourous bat son plein
Le gouvernement australien autorise des professionnels à abattre l’animal emblématique du pays, qui a tendance à proliférer. Reportage.
Quand le soleil se couche sur le Queensland, État du nord-ouest de l’Australie, Brad Cooper se met au travail. L’homme, au physique imposant, est chasseur de kangourous. Il est autorisé par le gouvernement à abattre ces animaux, symboles du pays, pour en réguler la population. Il quitte la route avec son camion, pour se rendre dans un enclos situé à environ 30 km à l’est de Mitchell.
« Ce soir, on va s’en faire autant qu’on peut, dit-il. Mais je n’aime pas ce vent. Et eux non plus. » « Eux », ce sont les kangourous géants. Quand soufflent des rafales, ils deviennent méfiants et se ressemblent en petits groupes appelés mobs. Il est alors plus difficile pour les chasseurs de viser les adultes, seuls individus qu’ils ont droit de tuer.
La chasse aux kangourous est très réglementée. Avant de pouvoir œuvrer sur le terrain, un chasseur professionnel doit passer un test de tir et recevoir une formation touchant à l’hygiène et à la protection des animaux. Chaque mois, il est tenu de communiquer des informations détaillées sur son travail, afin de s’assurer qu’aucun abattage ne dépasse le quota. Seule la chasse commerciale de quatre espèces non menacées (kangourou géant, kangourou gris, kangourou roux et wallaroo) est autorisée par le gouvernement.
Que deviennent ensuite ces marsupiaux ? Des marques de sport achètent le cuir, souple et solide, pour fabriquer du matériel. Et la viande de kangourou se fraie doucement un chemin dans les supermarchés et les restaurants chics. Quatre des huit États et territoires australiens gèrent des abattages fondés sur ces quotas annuels, qui approvisionnent le secteur. Selon ses partisans, la viande de kangourou, faible en matières grasses et riche en protéines, a moins de conséquences sur l'environnement, que celles de mouton ou de bœuf, émetteurs de gaz à effet de serre.
Cooper a 41 ans. Il a tué son premier kangourou à l’âge de 5 ans. Actuellement, il travaille trois nuits par semaine, pendant six à huit heures. Son objectif du soir est de tuer 30 kangourous. Son record en une seule nuit s’élève à 104.
Une demi-lune joue à cache-cache au milieu des nuages effilochés qui courent dans le ciel. L’odeur des buissons d’arroche imprègne l’air. Cooper balaie les parages avec les projecteurs du toit du camion. Au bout d’une minute, il repère un mâle adulte de près de 2 m, à une centaine de mètres de là.
Le kangourou fixe les phares du véhicule, comme hypnotisé. Boom ! La détonation de la carabine déchire la nuit. L’animal s’effondre. Brad Cooper roule jusqu’au kangourou mort. Il hisse le corps sur la plateforme du camion et le suspend par une patte postérieure. Œuvrant avec l’efficacité que donne l’expérience, il saigne le marsupial, puis l’éviscère.
Cooper inspecte ensuite la carcasse, à la recherche de lésions ou de parasites qui pourraient en compromettre la valeur marchande. Puis il sectionne les pattes antérieures, la tête et la queue.
Vient ensuite la paperasse : tout chasseur doit noter la date et l’heure de mise à mort, le nom de la propriété, l’espèce et tout renseignement exigé par la société de transformation alimentaire et par les autorités de l’État.
Les formalités sont parfois pénibles, admet Cooper, mais en valent la peine. Il reçoit 70 cents par kilo pour une carcasse apprêtée sur le terrain. Certaines nuits, il peut gagner environ 850 euros.
Peu avant minuit, le vent forcit pour de bon. Le chasseur s’arrête là pour cette fois. Son score final : dix kangourous. « Ce travail n’a rien de normal », admet-il sur le chemin de retour vers Roma (là où se situe l’entrepôt réfrigéré où sont stockées les carcasses avant leur traitement). Les horaires sont décalés, le travail est brutal et les citadins méprisent sa profession.
Pourtant, il considère que son action est utile à la société australienne, car l’animal a tendance à proliférer (lire notre reportage). « Pour [les citadins], nous sommes des moins-que-rien, observe Brad Cooper. Mais les habitants des villes sont coupés des animaux, dans leur vie. S’il faut faire piquer un chien ou un chat, un vétérinaire s’en charge. Ils n’ont pas de responsabilité directe. Contrairement à nous. »
Extrait du reportage « Un emblème adoré devient gênant » de Jeremy Berlin et Stefano Unterthiner, publié dans le numéro 233 du magazine National Geographic, daté de février 2019.