La Nouvelle-Zélande a sauvé de l’extinction ce perroquet incapable de voler

Les Maoris ont joué un rôle majeur dans des initiatives visant à rétablir les populations d’une espèce d’oiseau emblématique : le kākāpō. Ces oiseaux, incapables de voler et lents, étaient à la merci des espèces envahissantes.

De Pete McKenzie
Publication 13 déc. 2023, 09:51 CET
Un kākāpō répondant au nom de Yasmine photographié sur l’île d’Anchor (Pukenui), l’un des trois sanctuaires ...

Un kākāpō répondant au nom de Yasmine photographié sur l’île d’Anchor (Pukenui), l’un des trois sanctuaires qui ont permis de rétablir les populations de cette espèce en danger critique d’extinction. Une centaine de kākāpōs sont nés depuis 2019, ce qui a permis à une petite population d’être réintroduite en Nouvelle-Zélande continentale.

PHOTOGRAPHIE DE Jake Osborne

Dans l’épaisse végétation du sommet de Sanctuary Mountain, un frimousse verte à l’air interrogateur émerge d’un sac. Ce kākāpō, une boule de plumes couleur de mousse répondant au nom de Motupōhue, commence aussitôt à scruter les environs.

« Il va s’enfuir », chuchote l’écologue Andrew Digby en posant un genou à terre non loin de là, à l’affût du moindre geste. Comme pour lui répondre, Motupōhue saute alors hors du sac et disparaît dans la forêt voisine, devenant ainsi le premier kākāpō depuis un demi-siècle à poser ses pattes sur l’une des deux îles principales de la Nouvelle-Zélande.

Tandis qu’Andrew Digby le surveillait, un kōkako, une espèce d’oiseau indigène à la couleur anthracite appartenant au genre Callaeas, sifflait dans un arbre voisin. Des rayons de lumière dorés perçaient à travers des amas denses de kareaos (Ripogonum scandens) et de rimus (Dacrydium cupressinum). Voilà une scène qui aurait pu prendre place il y a mille ans, avant même que les premiers Maoris n’arrivent en Nouvelle-Zélande. « Ça a été comme ça un jour », a plus tard fait remarquer Andrew Digby, qui a consacré cette dernière décennie à la protection des kākāpōs. « Et ça pourrait être comme ça de nouveau ».

Le kākāpō était autrefois chez lui partout sur l’ensemble des territoires d’Aotearoa, nom maori de la Nouvelle-Zélande. Espèce endémique, le kākāpō, avec sa tête ahurie et ses comportements souvent loufoques, est devenu un emblème national. En 2009, un kākāpō répondant au nom de Sirocco avait fait les gros titres de la presse pour avoir tenté de s’accoupler avec un zoologue dans un documentaire de la BBC.

Mais ces oiseaux, qu’on appelle parfois perroquets-hiboux, sont incapables de voler et sont lents. Au bord de l’extinction à cause de prédateurs importés, quelques-uns des derniers kākāpōs avait été évacués vers trois minuscules îlots au large de la Nouvelle-Zélande pour vivre à l’abri de nuisibles tels que les chats et les hermines. Là, ils bénéficient également de la protection constante de rangers spécialisés dans la défense environnementale qui opèrent sous l’œil vigilant de Ngāi Tahu, principale tribu maorie de l’Île du Sud de la Nouvelle-Zélande. 

Le soleil se couche derrière une station de surveillance des kākāpōs près du sommet l’île d’Anchor.

PHOTOGRAPHIE DE Jake Osborne

Cette collaboration a produit un miracle : la population de kākāpōs a quadruplé. Pour résoudre le problème de surpopulation qui s’en est suivi, dix oiseaux ont été transportés par les airs à Sanctuary Mountain entre les mois de juillet et de septembre.

Leur histoire met en lumière les succès du programme néo-zélandais de sauvegarde des oiseaux et constitue un bel exemple d'inititiative mêlant les approches de conservation occidentales et les approches maories. Le programme a par ailleurs montré qu’il est possible de rétablir les effectifs d’espèces menacées et de réintroduire celles-ci sur leur territoire d’origine.

 

ATTITUDES OCCIDENTALES, VALEURS AUTOCHTONES

Enfant, Tāne Davis se rendait souvent à Whenua Hou, la plus importante des trois îles-refuges des kākāpōs. Celle-ci fait partie du territoire (ou rohe) de sa tribu maorie, Ngāi Tahu. Pendant les vacances, le père de Tāne Davis, pêcheur de langoustes, l’emmenait pêcher, lui et ses frères et sœurs, dans l’océan glacial qui garantit l’isolement et la sécurité de Whenua Hou.

Depuis le bateau, alors que Tāne Davis fixait du regard les côtes escarpées de l’île, son père lui expliquait que c’était l’un des endroits où Ngāi Tahu avait pour la première fois rencontré des Européens : des chasseurs de phoques arrivés en 1810 ; un augure de la vague de colons qui arriverait.

Plus tard, ces colons se sont emparés de l’île. En 1986, le Service de protection de la faune et de la flore (désormais ministère de la Conservation) en a fait une réserve naturelle et avait interdit aux membres de la tribu d’y entrer sans permission.

Mais le gouvernement néo-zélandais a fini par se confronter à son passé et a rencontré les iwi (les tribus) du pays pour discuter de la dépossession coloniale de leurs terres. En 1996, Ngāi Tahu a signé un accord lui conférant un rôle particulier dans la gestion de Whenua Hou et, en guise de reconnaissance de la relation pluriséculaire entre la tribu et ces oiseaux, dans la conservation des kākāpōs.

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    Un kākāpō juvénile dort à Whenua Hou. Il faut soixante-dix jours environ à cette espèce pour que poussent toutes ses plumes, qui ont initialement une teinte verte et terne.

    PHOTOGRAPHIE DE Jake Osborne

    Un Groupe pour le rétablissement des kākāpōs composé de représentants de Ngāi Tahu, de la communauté scientifique et du ministère de la Conservation a ensuite été créé pour superviser la survie de l’espèce. Tāne Davis est le représentant de la tribu depuis 2006, année où sa mère, importante cheffe au sein de Ngāi Tahu, l’a incité à assumer cette fonction.

    La nouvelle position de Ngāi Tahu a représenté un basculement spectaculaire des rapports de pouvoir pour le ministère de la Conservation. Plusieurs années ont été nécessaires pour réconcilier les attitudes majoritairement occidentales du ministère avec les valeurs des tribus, et vice-versa. 

    Le jour où des rangers du ministère de la Conservation sont venus à la rencontre du Groupe pour le rétablissement des kākāpōs en 2008 avec une nouvelle proposition a été l'un des moments difficiles de cette réconciliation, se souvient Tāne Davis. Pour mieux gérer la reproduction des oiseaux, ils proposaient d'inséminer artificiellement les femelles avec du sperme recueilli manuellement.

    D’après Tāne Davis, les membres les plus conservateurs de la tribu Ngāi Tahu ont « naturellement vu [cette idée] d’un mauvais œil ». De nombreux membres, y compris sa mère, s’inquiétaient de ce que la procédure soit contre nature et qu’elle puisse nuire aux oiseaux.

    Mais il y avait un bon argument en faveur de cette intervention : la consanguinité devenait était telle que « les œufs ne voulaient tout simplement plus éclore », se rappelle Tāne Davis. L’insémination artificielle devait permettre une plus grande diversité génétique. Pour la tribu, cela mettait en relation une idée étrange avec le concept familier de whakapapa (la généalogie), une valeur cruciale pour les Maoris. « Nous avons su profiter d’une chose liée à la science occidentale, mais qui avait à la fois une signification pour nous en tant que valeur culturelle », explique Tāne Davis.

    Un panneau prévient les visiteurs que des kākāpōs sont en train d’être étudiés près de la pointe méridionale de Tin Range sur l’île Stewart.

    PHOTOGRAPHIE DE Jake Osborne

    Au cours des deux décennies passées, la relation entre Ngāi Tahu et le ministère de la Conservation s’est considérablement approfondie. Selon Tāne Davis, les membres de la tribu se portent désormais fréquemment volontaires sur les îles aux côtés des rangers, en particulier lors des saisons de reproduction qui sont pour le moins chargées.

    Cette collaboration est une réussite remarquable : les kākāpōs, qui sont désormais au nombre 247, ont atteint la capacité maximale de leurs trois sanctuaires.

     

    QUEL AVENIR POUR LE KĀKĀPŌ ?

    Ces dernières décennies, Aotearoa a poursuivi l’objectif ambitieux d’éradiquer la plupart des prédateurs (rats, souris, hermines et opossums, mais pas chats et chiens) du pays d’ici à 2050. Tāne Davis, également acteur du projet Predator Free Rakiura, espère qu’un jour, l’initiative permettra aux kākāpōs de vagabonder librement dans le reste des terres historiques de Ngāi Tahu dans l’Île du Sud.

    Dans certaines parties du pays, cette initiative de contrôle des populations de prédateurs a permis au ministère de la Conservation de libérer dans la nature d’autres oiseaux menacés : à la fin de l’année dernière, celui-ci a relâché un emblématique kiwi (Apteryx australis) dans les collines surplombant de la capitale du pays, et plus tôt cette année, le ministère a relogé un takahē (Porphyrio hochstetteri) dans les montagnes de l’Île du Sud.

    Les kākāpōs sont encore trop vulnérables pour que l’on prenne de tels risques. Mais la campagne Predator Free a également permis la création d’immenses sanctuaires clôturés, dont celui de Maungatautari (ou Sanctuary Mountain).

    Stefan est en train d’être remis en liberté à la pointe méridionale de l’île Stewart (Rakiura).

    PHOTOGRAPHIE DE Jake Osborne

    À la recherche d’un lieu sûr pour tester la capacité des kākāpōs à survivre sur le continent et souhaitant désengorger les trois îles côtières, le ministère de la Conservation et Ngāi Tahu se sont tournés vers Ngāti Korokī Kahukura, un des iwis du Maungatautari, afin de jauger leur intérêt potentiel pour l’accueil de kākāpōs.

    À la suite de cela, Bodie Taylor, membre de Ngāti Korokī Kahukura et directeur du sanctuaire de Maungatautari, s’est rendu à Whenua Hou. « Ils disaient : "C’est comme nos enfants", se souvient-il. Si vous étiez sur le point de whangai [une forme d’adoption] vos enfants à une autre famille, vous chercheriez à connaître les valeurs de celle-ci. »

    Pendant une semaine, Bodie Taylor et Tāne Davis ont parcouru l’île ensemble, ont comparé ses arbres à ceux du Maungatautari, ont observé des rangers inspecter les oiseaux, et ont étudié les processus de reproduction. « En apprenant à se connaître, on apprend à connaître l’iwi, et en apprenant à connaître l’iwi, on découvre si l’on est prêt ou non à adopter l’enfant, enfin l’oiseau dans ce cas », explique Bodie Taylor.

    Au cours des sept mois suivants, l’équipe de Bodie Taylor a modifié 45 km de clôtures au Maungatautari afin que les kākāpōs ne l’escaladent pas, tandis que des scientifiques et des représentants de Ngāi Tahu sélectionnaient dix oiseaux à réintroduire dans leur aire historique.

    « On ne savait presque rien, se souvient Bodie Taylor. Mais les gens se sont unis, car ils savaient que l’oiseau était plus grand que tout. » 

    Finalement, des représentants des divers iwis et des défenseurs de l’environnement comme Andrew Digby se sont réunis le mois dernier à Maungatautari, où ils ont réalisé la première remise en liberté. « Nous venons de libérer des kākāpōs à un endroit où ils n’ont pas été depuis des centaines d’années », se souvient avoir pensé Andrew Digby en regardant Motupōhue se précipiter dans la broussaille.

    Cet épisode a suscité un regain d’espoir quant à leur avenir. « Je pensais qu’il faudrait beaucoup de temps avant que nous ne relâchions des kākāpōs dans des parties non protégées du continent, indique Andrew Digby. Mais désormais, j’ai l’impression que ce moment n’est peut-être pas si loin qu’on le pensait. »

    Alison se prépare à aller sur un autre arbre de l’île d’Anchor (Pukenui).

    PHOTOGRAPHIE DE Jake Osborne

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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