À Madagascar, le sifaka soyeux est en grave danger d'extinction

Inscrite depuis des années sur la liste rouge de l'UICN des espèces en danger critique d'extinction, notamment en raison de la déforestation, cette espèce de lémurien, l'une des plus grande de l'île rouge, est de plus en plus menacée par la chasse.

De Marie Zekri
Publication 16 oct. 2023, 12:16 CEST
Des sifakas soyeux, une mère et son petit, photographiés dans le Parc National de Marojejy, à ...

Des sifakas soyeux, une mère et son petit, photographiés dans le Parc National de Marojejy, à Madagascar 

PHOTOGRAPHIE DE Jeff Gibbs

Madagascar est le berceau d’une biodiversité luxuriante. Des mangroves aux forêts sèches, jusqu’aux forêts tropicales qui côtoient d’imposantes montagnes, l’île rouge offre tout un panorama de paysages changeants et majestueux qui abritent des espèces pour certaines endémiques.

C’est le cas d’un lémurien à l’épais pelage blanc, l’un des plus grands de l’île, le Sifaka Soyeux (Propithecus candidus). Il vit principalement en groupes disséminés dans les hauteurs de la forêt tropicale du nord de Madagascar. Cette espèce figure sur la liste rouge des « espèces en danger critique » de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN). Elle  fait partie des espèces qui encourent un risque majeur d’extinction.

 

UNE ESPÈCE ENDÉMIQUE ET SINGULIÈRE

Le primatologue Erik R. Patel, directeur de recherches et de conservation à la Fondation de Conservation des Lémuriens implantée en Floride, aux État-Unis, travaille depuis l’an 2000 dans le Parc National de Marojejy, et dans la Réserve Spéciale Anjanaharibe-Sud (ASSR) au nord-est de Madagascar. Il est l’un des principaux spécialistes du sifaka soyeux pour l'IUCN. Ces vingt-trois dernières années, il a étudié de près les populations de sifaka soyeux, plus largement concentrées dans ce parc, et en a observé le déclin, largement imputable aux activités humaines. 

« Près de 80 % de la population restante de cette espèce se trouve dans ces deux zones protégées », explique le primatologue. Mais certains groupes épars se retrouvent également dans des zones un peu plus « dérangées par l’activité humaine », notamment dans le corridor de Comatsa qui lie ces deux ères protégées, ou encore dans la réserve naturelle de Makira, plus proche des villages. « Ces deux zones abritent probablement 10 % de la population mais sont exposées à une vulnérabilité bien plus élevée », explique-t-il.

Zone de répartition géographique du Sifaka Soyeux en 2014, au Nord de Madagascar.
Emplacements des sites connus où évoluent les sifaka soyeux (marqués d'une étoile) dans le parc national ...
Gauche: Supérieur:

Zone de répartition géographique du Sifaka Soyeux en 2014, au Nord de Madagascar. 

PHOTOGRAPHIE DE The IUCN Red List of Threatened Species
Droite: Fond:

Emplacements des sites connus où évoluent les sifaka soyeux (marqués d'une étoile) dans le parc national de Marojejy et le parc naturel de Makira. Les villages étudiés sont étiquetés : A = Manantenina, B = Mandena, C = Antsahaberaoka, D = Ambalanaomby.

PHOTOGRAPHIE DE Paul Atkinson

Le sifaka soyeux est l’une des neuf espèces de sifakas vivant à Madagascar. Contrairement à ses congénères ainsi qu’à la majorité des cent treize autres espèces de lémuriens qui peuplent l’île, le sifaka soyeux a une préférence pour les hautes altitudes. « On les trouve généralement au-dessus de 600 mètres dans la forêt tropicale montagneuse du nord de l’île », explique Patel. Bien que la majorité des arbres nourriciers se trouvent à des altitudes moins importantes, ces lémuriens protégés du froid par leur pelage duveteux préfèrent les températures plus fraîches. 

« Et c’est une bonne chose pour eux », se réjouit le primatologue. Cette espèce se tient à bonne distance de l’Homme en choisissant un habitat dispersé en altitude, et en se concentrant dans des aires protégées de longue date. « Les anciennes réserves bénéficient d’une meilleure protection que les nouvelles », fait remarquer Patel. Mais malgré cet emplacement de vie a priori idéal, le sifaka a une population totale estimée entre 100 et 2 000 individus. « En dessous de 2 000 représentants, une espèce peut s’éteindre à tout moment », explique-t-il. « De plus, les sifakas soyeux sont très difficiles à maintenir en vie en captivité »

La difficulté d’estimer correctement la démographie des sifakas soyeux est problématique pour les primatologues, car ils ne peuvent estimer précisément la menace d’extinction qui pèse sur l’espèce. Si les études n’ont commencé qu’en l’an 2000, il existe des témoignages de la progressive disparition de la population des sifakas soyeux. Certains sont datés de la fin du 19e siècle. Les travaux du primatologue français Guillaume Grandidier et de son collègue cartographe Jules A.A. Hansen, donnent en effet des informations cartographiées relativement précises de leur aire de répartition, qui était alors beaucoup plus étendue qu’aujourd’hui. 

Figurant parmi les primates les plus rares au monde selon l’IUCN, ces lémuriens longtemps menacés par la déforestation frénétique qui a lieu à Madagascar, notamment avec la coupe du bois de rose malgache, se retrouvent également de plus en plus chassés, une pratique plus ou moins taboue pour les locaux en fonction des espèces de lémuriens. Or, en supprimant ne serait-ce que quelques individus, des femelles par exemple, l’équilibre reproductif, déjà très lent, peut être mis à mal, conduisant à des essoufflements démographiques localisés.

 

PERTE D'HABITAT ET BRACONNAGE

« Depuis 2001, les crises politiques causées par les élections présidentielles ont engendré de nombreuses problématiques à Madagascar », souligne Patel. La succession d’événements violents et l’absence d’un gouvernement stable pendant plusieurs années ont été des vecteurs essentiels de la fragilisation de la biodiversité de l’île, amplifiée par une pauvreté et une profonde souffrance sociale durables, notamment dans certaines zones du centre et du sud de Madagascar. 

« De 2009 à 2013, il n’y a pas eu d’élections démocratiques. Toute l’aide internationale a été rejetée, les ambassades partaient, il n’y avait plus d’argent dans les banques, plus de professeurs dans les écoles, plus d’argent pour les gardiens des réserves naturelles », déplore Patel. La difficulté de se nourrir, mais également de cultiver la terre, a conduit à une déforestation incontrôlée. Les habitants, manquant de parcelles cultivables, problématique amplifiée par un phénomène de désertification causé par le réchauffement climatique, ont donc pratiqué une agriculture sur brûlis

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    Photographie de Sifaka Soyeux prise dans le Parc National de Marojejy, Madagascar

    Photographie de Sifaka Soyeux prise dans le Parc National de Marojejy, Madagascar 

    PHOTOGRAPHIE DE Jeff Gibbs

    « Plus récemment, avec les confinements liés à la pandémie de COVID-19, il y a eu une drastique diminution de la fréquentation touristique des parcs », ajoute le primatologue. Or le tourisme est une activité essentielle pour l'île, qui implique en temps normal une surveillance soutenue des ères protégées. La diminution du nombre de touristes a eu pour effet un manque de fonds nécessaires au maintien de cette surveillance. 

    C’est durant cette période qu’un nouveau fléau s’est abattu sur les sifakas soyeux, comme sur de nombreuses espèces menacées. La chasse s’est largement intensifiée. « On ne s’inquiète pas tant que ça des familles locales qui tuent un ou deux animaux pour des occasions spéciales », fait remarquer Patel. Avec les crises politiques répétées, des armes ont été introduites sur l’île et les activités de contrebande et de braconnage se sont multipliées. 

    Cette violence se répercute également sur les populations locales. « Il n’y a pas plus de deux ou trois ans, pour la première fois, un garde forestier a été tué dans notre parc de Marojejy par un tir de braconnier », se souvient Patel. « Ce n’était encore jamais arrivé, et nous ne pensions pas que cela pourrait arriver un jour ».  Le garde, en entendant des coups de feu est sorti de sa maison en courant et a confronté le chasseur. « Ce n’était pas une personne qui faisait cela pour se nourrir », explique Patel. « Les braconniers sont payés pour tuer des lémuriens en masse et menacent directement la sécurité des Malgaches. »

    Les sacs « remplis de lémuriens » sont vendus à proximité des villes et villages. « Augmenter le nombre de patrouilles est aujourd’hui notre principale stratégie pour lutter contre cette minorité de la population qui est engagée dans ce type d’activités illégales ». 

     

    PEUT-ON ENCORE SAUVER CETTE ESPÈCE ?

    « Les sifakas soyeux sont une espèce étendard dans toute la région ». Ils attirent des touristes, notamment au parc de Marojejy, riche d’un héritage écologique exceptionnel inscrit au patrimoine Mondial de l’UNESCO. C'est pratiquement le seul endroit où il est possible de les voir. Les fonds récoltés permettent de les protéger, eux et toute la biodiversité environnante. 

    Lémurien de l'espèce Sifaka Soyeux (Propithecus candidus). Ce primate vit dispersé en altitude dans les forêts ...

    Lémurien de l'espèce Sifaka Soyeux (Propithecus candidus). Ce primate vit dispersé en altitude dans les forêts tropicales des régions montagneuses du Nord de Madagascar. 

    PHOTOGRAPHIE DE Nick Garbutt, IUCN

    Le travail d’Erik Patel et de ses équipes repose entre autres sur une amélioration du recensement des individus restants, afin de mieux définir les lieux d’intervention et de protection, pour dissuader toute activité de chasse. Pour la première fois, les primatologues vont tester un tout nouveau dispositif de caméra arboricole, généralement utilisée au sol, qui sera installée dans la région dès le mois de décembre 2023. 

    Il s’agit de placer ce dispositif en hauteur dans le couvert végétal pendant plus de quatre mois. « Nous avons besoin d’environ un centaine de caméras et de nombreuses personnes volontaires pour nous aider à grimper dans ces arbres dans la forêt tropicale ». Si cette expérience fonctionne, les équipes pourront continuer dans d’autres zones afin de préciser la répartition de cette espèce sur l’île, et potentiellement mettre ainsi en place un certain nombre de dispositifs de protection. 

    De plus, des patrouilles de vingt à trente personnes sont régulièrement mobilisées pour enrayer les activités de braconnage. Endiguer les problématiques économiques et sociales permettrait de répondre en partie à la problématique écologique. De nombreux projets d’éducation environnementale, ainsi que des projets de reforestation, sont ainsi mis en place dans les villages.

    « C’est le rôle d’associations et d’organisations comme la nôtre. Nous soutenons les parcs nationaux de Madagascar, qui ne reçoivent pas assez d’argent du gouvernement ». Le tourisme apporte une source de revenus et les recherches démographiques sur les sifakas soyeux créent des emplois. De quoi, peut-être, transformer un problème social et écologique de fond en solution pour l’Homme et l’environnement.

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