Cette femelle gorille de cinquante ans est toujours capable d’allaiter des orphelins

À cinquante ans, Fredrika, une femelle gorille du Cleveland Metroparks Zoo, a dépassé de treize ans la durée de vie moyenne de son espèce et continue de recueillir et d'élever des juvéniles orphelins.

De Elisse Gabriel
Publication 28 juin 2024, 16:46 CEST

Freddy, une femelle gorille, avec un bébé.

PHOTOGRAPHIE DE Tim Long

CLEVELAND, OHIO — Dans l’espace consacré aux gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) du Cleveland Metroparks Zoo se trouve un groupe familial de sept membres, dont une femelle nommée Fredrika. Elle berce doucement un tout petit bébé tandis qu’un autre petit monte sur son dos, avant de descendre pour jouer avec un tas de foin frais.

Fredrika, surnommée « Freddy » par le personnel du zoo, a fêté ses cinquante ans le 5 juin, soit treize ans de plus que la durée de vie moyenne d’un gorille en captivité. Elle est mère de douze enfants, grand-mère et arrière-grand-mère. C’est également elle qui prend essentiellement soin de deux jeunes gorilles rejetés par leur mère à la naissance, Kayembe et Jameela. 

Ce qui est réellement extraordinaire, c’est que Freddy les allaite malgré son âge avancé et l’absence de lien biologique, s’enthousiasme Kristen Lukas, directrice sciences et conservation du zoo. 

« Freddy a pris Jameela presque immédiatement, exactement comme elle l’a fait avec Kayembe [lorsqu’il était bébé], sauf que cette fois-ci, il était sur son dos tandis qu’elle prenait Jameela devant. » 

Le comportement de Freddy est un exemple inspirant de l’adaptabilité et de la plasticité des primates, déclare Rich Bergl, directeur du département conservation, éducation et sciences du zoo de Caroline du Nord. Il est également explorateur pour National Geographic et étudie, dans la nature et en captivité, les gorilles des plaines de l’Ouest, une sous-espèce de gorille de l’Ouest (Gorilla gorilla) en danger critique d’extinction.

Elle « nous montre ce dont les animaux sont capables, qu’ils ne sont pas simplement des automates qui consomment de la nourriture, donnent la vie et meurent », poursuit-il.

« Ce sont des êtres dotés d’une grande individualité, tout comme les humains, et ils ont la capacité de s’adapter à des changements inattendus. »

 

COMMENT LA LACTATION EST-ELLE POSSIBLE ?

Laura Klutts, conservatrice animalière adjointe au Cleveland Metroparks Zoo, a d’abord remarqué que Kayembe ne se contentait pas seulement de téter, mais qu’il avalait également. Des gouttelettes blanches sur la poitrine de Freddy ont permis de confirmer qu’elle produisait bien du lait : la succion fréquente de Kayembe avait apparemment stimulé la production de prolactine, hormone responsable de la lactation. Appelé lactation induite, ce phénomène existe également chez les êtres humains, notamment chez les personnes qui prennent des hormones dans le but de produire du lait.

Freddy, une femelle gorille, avec un bébé et un autre juvénile.

PHOTOGRAPHIE DE Dan Veloski

Nourrissant des craintes quant à la qualité de celui de Freddy, notamment qu’il ne soit pas assez nutritif pour la subsistance, l’équipe qui s’occupe des primates a contacté Michael Power. Ce dernier, qui étudie la composition du lait animal à la Smithsonian Institution de Washington, D.C., a accepté de l’analyser.

Il s’est avéré que son lait répondait à toutes les exigences en termes de calories et de nutriments.

« À notre connaissance, c’était la première fois qu’une femelle de cet âge se substituait à une mère biologique en matière d’allaitement », indique Kristen Lukas. 

Michael Power attribue cette faculté d’induire la lactation à ses années d’expérience en tant que mère. « Elle a eu plusieurs bébés et sait ce qu’il faut faire. Tout comme un athlète expérimenté a une mémoire musculaire, son cerveau et son corps savent comment repasser au mode parental. L’ocytocine est libérée pour nourrir le lien, puis la prolactine [pour produire du lait] ». 

« Je pense que Freddy est une mère. Je crois que c’est ce qu’elle est », ajoute-t-il. 

Craig Stanford, professeur de sciences biologiques à l’université de Californie du Sud, fait remarquer que les gorilles ne connaissent pas de ménopause prononcée comme les humains, ce qui pourrait expliquer la capacité de Freddy à allaiter à un âge aussi avancé.

« Si l’Homme a été soumis à ce changement évolutif majeur qu’est la ménopause, ce n’est pas vraiment le cas des espèces parentes. Les grands singes ne vivent pas aussi longtemps que les humains, mais leur système reproducteur vieillit au même rythme que le reste de leur corps. »

 

« C’EST UNE EXPÉRIENCE QUI VOUS CHANGE »

Le rôle de Freddy dans son groupe familial met également en évidence l’importance des aînés.

« D’une certaine manière, [son comportement] est le reflet de notre société dans son ensemble, renforçant la valeur des femelles plus âgées dans les familles élargies », constate Kristen Lukas.

« Ce que quelqu’un comme Freddy nous montre et nous enseigne, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer une femme plus âgée », poursuit-elle.

Le mot « sagesse » est en effet celui que Kristen Lukas utilise le plus volontiers pour décrire Freddy.

« Avec Koko, [le gorille qui parlait la langue des signes], nous avons appris à connaître et à apprécier les gorilles à notre façon. Avec Freddy, nous apprenons à [les] connaître et à [les] apprécier à leur manière et nous avons beaucoup appris sur [leur] comportement grâce à elle. »

L’équipe a par exemple observé que Freddy portait ses bébés sur son dos bien plus tôt que les autres mères gorilles, ce qui lui permettait de se déplacer librement tout en offrant à ses petits un endroit sûr pour prendre confiance en eux.

« Notre mission consiste non seulement à nous assurer que nous prenons bien soin des animaux ici au zoo, mais aussi à mettre en relation leurs expériences avec ce qui se passe en Afrique en ce moment même », explique Kristen Lukas, qui supervise la conservation des gorilles à l’état sauvage et dans les zoos accrédités par l’Association des zoos et aquariums en Amérique du Nord. 

« Nous sommes reconnaissants de pouvoir raconter certaines de ces histoires à travers [celles] de gorilles comme Freddy ».

Même si les personnes qui visitent le zoo « se focalisent souvent sur les bébés parce qu’ils sont si adorables... je dis à tout le monde de regarder Freddy », ajoute-t-elle.

« Ses yeux sont parmi les plus beaux et les plus expressifs que j’aie jamais vus parmi les gorilles, et j’[en] connais beaucoup. Chaque fois que j’en ai la chance, je la regarde dans les yeux. [C’est une expérience qui] vous change. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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