Le trafic de tigres, un business florissant et particulièrement cruel
Il ne reste actuellement que 4 000 tigres à l’état sauvage dans le monde, soit moins que le nombre total de tigres vivant en captivité aux États-Unis. Pourtant, le trafic de cette espèce est florissant et répond à une demande toujours plus importante.
« Si j’avais pu avoir la moindre idée il y a 20 ans de ce que l’on éprouve lorsque l’on est forcé de vivre à l’intérieur d’une cage, jamais je n’aurais décidé d’ouvrir un zoo » déclare Joseph Maldonado-Passage, alias « Joe Exotic », figure tristement célèbre du progamme Tiger King diffusé sur Netflix, qui a récemment été condamné à 22 ans de prison. Jusqu'à son arrestation en septembre 2018, il dirigeait l'un des plus grands établissements d'élevage de tigres aux États-Unis, où il proposait notamment de caresser des tigreaux ou de se prendre en photo à leurs côtés. Joe Exotic a dénoncé la brutalité son ancien business depuis sa prison fédérale, en réponse aux questions de la journaliste d'investigation Mariana Van Zeller, qui a enquêté sur la cruauté du commerce illégal de tigres à l'échelle mondiale dans le cadre de la série « Face au crime », diffusée tous les mardis à 21h sur National Geographic.
UN BUSINESS PARTICULIÈREMENT PORTEUR
Selon un rapport de TRAFFIC datant de 2019, Panthera tigris occupe aujourd’hui moins de 6 % de son aire de répartition historique. On dénombre moins de 4 000 spécimens recensés à l’état sauvage, répartis dans 13 pays. L’Inde est le territoire qui en compte le plus, avec soit 2 226 spécimens, soit 56 %. La Russie, qui n’en abrite que 433, soit 11 % du total, arrive en seconde position.
Pourtant, plus de 2 300 tigres vivant en captivé, destinés au trafic animal, ont été saisis depuis le début des années 2010. Ce chiffre, comparé au nombre de spécimens vivant en liberté, met en exergue les graves menaces qui pèsent sur les différentes espèces de tigres.
Avec seulement 9 spécimens à l'état sauvage, soit 0,2 % du nombre de tigres recensés, la Chine est pourtant à l’avant-poste mondial de ce trafic illégal : on compte 126 saisies de tigres en Chine ces dernières années. Et s’il est un business qui profite aux criminels, celui de Panthera tigris est l’un des plus florissants au monde puisqu’il répond à une demande toujours très forte. En Thaïlande par exemple, le nombre de saisies moyennes annuelles est passé de 10 à plus de 50 entre 2015 et 2018.
La Chine est un gros importateur de tigres. La plupart d'entre eux viennent d’une zone de non-droits appelée le « Triangle d’or », une région située entre la Thaïlande, le Laos et le Myanmar. De nombreux zoos y dissimulent des élevages de tigres illégaux gérés par des organisations criminelles. (À lire : Exclusif : les fermes de tigres continuent d'alimenter le commerce illégal)
En décembre 2020, en Thaïlande, une saisie de 5 tigres vivants a eu lieu dans un faux zoo du nord-est de la Thaïlande, dans la province de Mukdahan. Ce lieu servant de parc de rétention pour des tigres destinés au commerce illégal, où une dizaine de spécimens auraient transité ces dernières années, a fait l’erreur d’annoncer sur son site internet la naissance de cinq tigreaux dans ses locaux. Des tests ADN ont par la suite prouvé qu’aucun des juvéniles n’était apparenté à d’autres animaux du parc.
En Asie, malgré l’ampleur de ce trafic, seules 14,4 % des personnes arrêtées pour trafic de tigres sont emprisonnées. La Chine est le pays qui compte le plus de condamnations, avec 50 peines prononcées depuis les années 2000.
LES FERMES DE TIGRES : SUCCURSALLES D'UN ÉLEVAGE INTENSIF ET CRUEL
Les croyances de la médecine traditionnelle chinoise sont à l’origine d’un important trafic d’animaux sauvages, et si le gouvernement chinois a tenté de mieux protéger les espèces sauvages en interdisant, en 1993, le commerce de produits issus de tigres sauvages, cet animal reste une denrée particulièrement recherchée en Asie. Certaines parties de leur corps se revendent à prix d’or sur le marché parallèle asiatique et alimentent une demande toujours aussi importante en remèdes contre l’impuissance, en médicaments contre les migraines ou pour soigner diverses pathologies. Les statistiques issues du rapport de TRAFFIC montrent d’ailleurs que les os, ingrédients de base de nombreux remèdes traditionnels, et les peaux de tigres sont les produits les plus prisés en Chine, en Inde et en Indonésie.
Le vin de tigre est lui aissi une spécialité convoitée par les locaux, mais surtout par les touristes. Ce breuvage, fabriqué à partir d’alcool de riz dans lequel massèrent des os de tigres, pendant parfois plusieurs années, s’arrache à prix d’or sur les marchés parallèles asiatiques et sa rareté en fait un produit extrêmement prisé.
Ce trafic, cruel, est alimenté par les fermes de tigres, apparues en 1993 à travers la Chine notamment pour contrer les mesures gouvernementales avec une brutalité efficace. Ces lieux d’élevage permettent à des acheteurs potentiels d’acquérir des produits issus de tigres vivants, retenus captifs dans des cages exiguës et des pièces insalubres.
Ces têtes de tigres saisies par les autorités américaines sont désormais entreposées au National Wildlife Property Repository (entrepôt national d'animaux naturalisés), situé dans le Colorado. La plupart du commerce international illégal de tigres est à destination de la Chine et du Vietnam.
Le prix des bêtes est fixé au kilo, auquel il faut ajouter des frais supplémentaires pour le traitement de la peau de l'animal. La livraison est incluse dans le prix de base et les acheteurs peuvent également récupérer les os, les dents, les organes génitaux et les griffes de l'animal. La revente d’un tigre peut générer un profit d’environ 6 000 dollars selon l’ONG Wildlife Friends Foundation Thailand. Disposer d’une ferme de tigres en Asie est aujourd'hui synonyme d’un immense pouvoir.
LES ZOOS ET PARCS ANIMALIERS
Que deviennent les tigreaux devenus trop grands et trop forts pour être laissés en toute sécurité sur les genoux des touristes faisant la queue pour leur donner un biberon ? Nombre de tigres élevés en captivité dans des centres similaires à ceux créés par Joe Exotic ou Doc Antle, son ancien mentor, sont acheminés vers des zoos et des parcs animaliers une fois adultes, notamment Samut Prakan, à Bangkok.
Dans la série d'investigation « Face au crime », on voit la journaliste d’investigation Marianna van Zeller visiter le zoo de Samut Prakan, en se faisant passer pour une touriste. Ce centre est décrit dans la série par Doc Antle lui-même comme étant « d’une qualité supérieure aux plus grands parcs spécialisés américains ». Mais la réalité est tout autre... Des tigreaux âgés de seulement cinq semaines y sont enfermés dans de minuscules cages, des tigres enchaînés au sol dans le but d’être pris en photo avec des touristes à longueur de journée, ou encore divers spécimens tournant en rond, entassés dans des enclos en plein soleil, sans arbres pour les protéger de leur ombre. Le tableau présenté par ce zoo réputé à travers le monde est une preuve supplémentaire apportée par Mariana van Zeller que le trafic d'espèces sauvages, et de tigres en particulier, peut prendre des formes très variées et que le bien être des « marchandises » passe au second plan. Contacté après la visite du zoo de Samut Prakan, Doc Antle n'a pas souhaité répondre aux questions de National Geographic.
En France, toujours selon TRAFFIC, si les importations de produits dérivés du tigre sont quasi-inexistantes, d'aucuns peuvent se poser la question de la provenance des spécimens visibles dans nos zoos et parcs français.
Certains félins présents dans nos parcs sont issus de sauvetages d'animaux en détention ou en transit à destination du commerce illégal. Début 2017, une portée de trois tigreaux a été saisie par la police à l’aéroport de Beyrouth, au Liban. Ils étaient transportés par un trafiquant dans une petite caisse en bois insalubre et non conforme au transport d’animaux, dans laquelle ils sont restés près d’une semaine. Ils ont été trouvés dans un état de santé inquiétant, très affaiblis et déshydratés. Ces animaux sont arrivés d’Ukraine et devaient vraisemblablement rejoindre un zoo en Syrie qui avait fermé ses portes. Ils ont depuis été recueillis dans un parc français.
En Île de France, depuis 2019, une brigade spécialisée s'est d’ailleurs formée pour lutter contre la détention illégale d’animaux sauvages, pour la plupart des petits félins.
L'évolution de tigres dans les parcs animaliers en France se fait le plus souvent dans un grand respect des animaux et part d’une intention louable, mais ne semble pas participer à la sauvegarde des espèces de tigres sauvages menacées d'extinction. L’autre argument des parcs zoologiques pour élever des animaux en captivité est de pouvoir les étudier de plus près. Pourtant, il est prouvé que les animaux de parcs affichent des habitudes et des comportements différents de leurs congénères en liberté, qui peuvent parcourir chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres dans la nature.
Une remise en liberté des spécimens captifs est, de plus, à proscrire. Jean-Claude Nouët, médecin spécialisé en histologie et embryologie, affirme que jamais l’Homme ne pourra être l’éducateur d’un animal sauvage, et rappelle l’erreur commise il y a quelques années de relâcher en Afrique plusieurs dizaines de jeunes lions nés en captivité, élevés aux cadavres de poules et incapables de survivre seuls. Il en va de même pour les tigres, ou pour tout autre animal né en captivité.
En ce sens, la question de la sauvegarde de l’espèce demande d’autres solutions. Selon les experts animaliers, recueillir les tigres victimes du commerce illégal ne suffira en effet pas pour éviter l'extinction de la population sauvage. Les solutions pour sauver cette espèce emblématique sont d’ailleurs tout aussi évidentes que difficiles à mettre en place : il est impératif de préserver leur habitat, de mettre les tigres à l’abri des braconniers et surtout de fermer les aires de répartition protégées.