France : comment mieux coexister avec les loups ?
Comment trouver l'équilibre délicat entre protection des élevages et protection des loups ? Cette question a fait l’objet d’un nouveau Plan National d’Actions, loin d'être parfait.
Un loup gris (Canis lupus), photographié ici au Rolling Hills Wildlife Adventure.
Pendant cinquante ans, le loup a disparu du territoire français. Son extermination a été motivée par les victimes que pouvait faire l’animal parmi les bêtes d'élevage. Au Moyen Âge, les seigneurs en faisaient déjà une cible de choix durant les parties de chasse. À la moitié du 20e siècle, l’espèce a fini par être exterminée.
Ce n’est que dans les années 1990 que le loup a de nouveau été aperçu dans les Alpes du sud. Dès lors, la France a ratifié la Convention de Berne qui permet la protection de l'espèce. L'enjeu depuis est de trouver l'équilibre permettant d'empêcher l’attaque des élevages tout en protégeant les loups. L’État y travaille depuis 2004, notamment via des Plans Nationaux d’Actions (PNA) en collaboration avec les acteurs concernés.
LE NOUVEAU PNA
Dans le cadre du nouveau PNA loup 2024/2029, de nombreuses associations telles que Meuse Nature Environnement et Encore Éleveurs Demain ont collaboré pour trouver des solutions concrètes et efficaces sur le terrain. Franck Müller, secrétaire de l’association Encore Éleveurs Demain, souligne que ce nouveau plan national d'actions « prend en compte le traumatisme subi par les éleveurs et leur famille en cas de prédation. [...] Cela nous a pris dix ans pour obtenir une meilleure prise en considération, mais nous sommes dans une démarche résolument optimiste », souligne Franck Müller.
Des initiatives vont aussi être soutenues par le gouvernement. Sébastien Lartique, chargé de mission faune, prédateurs et ruralités pour Meuse Nature Environnement, parle de création de nouveaux outils comme le CAL, le collier anti-loups à ultra-son, un objet complémentaire aux méthodes d'effarouchement des loups, ces derniers étant sensibles à la fréquence émise par le dispositif. Le collier est indemnisé dans le cadre du nouveau PNA. « Dans le précédent [PNA], cette indemnisation n'existait pas », témoigne Sébastien Lartique. Pour autant, « le CAL ne fait pas partie des éléments de protection reconnus. Aujourd'hui, nous avons encore certaines réserves sur cet outil », nuance Franck Müller.
SIMPLIFICATION DES MODALITÉS DE TIRS
Les associations Meuse Nature Environnement et Encore Éleveurs Demain dénoncent d’un commun accord la simplification des autorisations et des modalités de certains tirs dans le nouveau PNA.
Le tir de défense, deuxième niveau de réponse graduée au risque de prédation, a pour but d’empêcher l'attaque d'un troupeau par un loup. Le tir de défense simple se traduisait initialement par la possibilité de tirer pour un ou deux tireurs. Avec le nouveau PNA, un troisième tireur est autorisé à en faire de même. « Cela multiplie les chances d’issue létale pour le loup alors qu’on est encore qu’au premier [niveau de réponse]», s’alarme Sébastien Lartique.
Le tir de défense renforcé « autorise à présent des moyens plus techniques pour arriver à l’abattage du loup », ajoute-t-il. « Il est maintenant possible d’utiliser des lunettes thermiques qui permettent de faire fi des modes d’effarouchement, auparavant obligatoires avant le tir, tels que l’utilisation de sources lumineuses ou sonores », qui permettaient au loup de fuir avant qu'on ne lui porte un coup fatal.
Au-delà du tir de défense, il existe un troisième et un quatrième niveaux de réponse qui ne peuvent être appliqués que dans un second temps. Le tir de prélèvement et le tir de prélèvement renforcé permet après autorisation préfectorale, d’organiser une opération de chasse collective « mais ne cible pas forcément le loup qui pose problème ». Pour Sébastien Lartique, « c’est comme donner l’autorisation de faire une battue pour tuer le premier loup venu ».
Une thèse d’Oksana Grente portant sur le phénomène de déprédation chez le loup gris démontre que les résultats de ces moyens d’actions « sont hautement variables selon le contexte d’application ». Sa recherche tend à démontrer que même si « en majorité, une réduction de l’intensité de la prédation a été constatée suite aux tirs, il a aussi été observé une absence d’effet, ou même une augmentation » en fonction des circonstances.
L’étude indique que « les loups d’une meute quittent leur territoire dans 38 % des cas seulement lorsque meurent l’un ou les deux reproducteurs de la meute. Ce phénomène pourrait expliquer la baisse de la déprédation sur le lieu du tir, mais une augmentation dans le voisinage de ce lieu ».
LE « TIR D’ÉDUCATION »
Franck Müller a soumis une idée pour résoudre ce problème. « Ce qui nous manque, c’est le tir d’éducation, c’est-à-dire un tir suffisamment douloureux, sans qu'il soit létal, pour que le loup comprenne et puisse transmettre l’information ». D’autres éleveurs partagent son idée et parlent de réciprocité. « L’idée est que si le loup fait du mal à nos élevages, nous avons le droit de lui faire du mal en retour ».
La question éthique a immédiatement été soulevée lorsque l’idée a été proposée, car il ne peut ici être question de maltraiter des animaux. « Le premier retour que j’ai eu sur cette question était de faire attention parce que le loup est une espèce protégée », témoigne Franck Müller. «"Vous ne pouvez pas faire tout et n’importe quoi", m’a-t-on dit ». Il justifie son idée en incitant les acteurs concernés à se poser les bonnes questions. « Est-ce qu’on veut, quitte à éduquer le loup un petit peu, réduire les chiffres de prédation, ou est-ce qu’on accepte l’animal avec tous ses défauts, et auquel cas, nous partons perdants d’emblée ? ».
Mais comment éduquer des loups ? Les tirs non létaux sont une option, mais la solution privilégiée serait le choc électrique. Le choc, certes douloureux, ne blesserait ni ne tuerait l'animal. Les clôtures sont construites de manière à éviter que les animaux ne s'approchent trop des fils. Cela signifie que « si le loup se rapproche trop, il se prend une décharge mais garde sa capacité à reculer pour arrêter la douleur. Cette dernière reste donc momentanée », explique Franck Müller. Cependant, le loup est une espèce naturellement isolée par son pelage et sa peau. Seule sa truffe est sensible à l’électricité. « Cette méthode est déjà pratiquée par des organismes suisses comme l’AGRIDEA, qui travaillent sur ces questions de protection et avec qui nous sommes en relation », affirme l’éleveur. Pour lui, « il ne s’agit pas de maltraitance animale mais d’éducation durable ».
L'association Encore Éleveurs Demain voit régulièrement ses propositions reportées par les autorités. Pour Franck Müller, « l’approche du terrain est un outil précieux à l’innovation, même sans formation scientifique ou subventions suffisantes ». Il estime qu'« une meilleure collaboration avec les scientifiques et les services de l’État » serait nécessaire. Pour Sébastien Lartique, « les financements sont suffisants mais doivent être réalloués de manière à pouvoir subventionner et indemniser les bonnes techniques. [...] Ce serait un gain financier important sur le long terme », affirme-t-il.