France : sur les traces du lynx boréal, félin discret en danger d’extinction
Pour trouver le lynx boréal dans le massif du Jura en France, il faut s’armer de patience. Les rencontres sont rares, d’autant plus que l’animal protégé est menacé de disparition dans l’Hexagone.
Jeune mâle âgé de 2 mois et demi qui a passé 5 années (plus de 1 000 jours d'affût) à suivre sa mère dans son territoire. Il s'agit de l'une des premières images du lynx boréal à l'état sauvage.
Dans cette forêt du département du Jura, un promeneur lambda ne remarquerait rien de particulier. Le soleil printanier fait briller les mousses touffues accrochées aux hêtres et aux épicéas, les branches mortes craquent sous les chaussures de randonnée, les oiseaux chantent. Mais pour Guillaume François, photographe naturaliste de 27 ans, la forêt n’est pas tout à fait la même aujourd’hui.
Il a aperçu des rayures d’une dizaine de centimètres sur un tronc d’arbre. Pour lui, ce sont des traces de griffes toutes fraîches d’un lynx boréal. « Comme je suis l’animal depuis plus d’une dizaine d’années, j’arrive à me mettre dans sa peau. J’ai vu que ce tronc était idéal pour faire ses griffes. »
Bonnet vissé sur la tête et jumelles pendues autour du cou, le photographe est habitué à détecter les moindres signaux du vivant.
Autoportrait de Guillaume François, photographe naturaliste.
Plus loin, une dizaine de poils accrochés à une roche blanchâtre frissonnent dans le vent. Là où un œil profane n’aurait rien remarqué, le naturaliste voit une zone de marquage. « Le lynx y frotte sa joue pour marquer son territoire, comme le fait un chat sur une porte. Il y laisse quelques poils à l’occasion. En période de rut, c’est très important pour permettre aux différents partenaires de se géolocaliser». Une sorte de Tinder pour lynx qui fait aussi le bonheur des naturalistes : ces poils constituent un indice de plus pour comprendre comment vit la bête.
Un travail de longue haleine, puisque les lynx s’épanouissent sur des territoires qui vont de 150 à 450 km2. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin, mais qu’importe : le félin menacé de disparition en France obsède le photographe.
UN TRAVAIL DE PATIENCE
« À 13 ans, j’ai découvert ma première empreinte de lynx boréal à cinquante mètres de la maison familiale. Elles étaient aussi grandes que ma main d'alors. Cela m'a fasciné » rembobine celui qui a grandi en face des bois, à Lons-le-Saunier dans le Jura.
Depuis, l’auteur d’un plaidoyer pour la nature passe près de la moitié de sa vie dans la forêt : 170 jours par an en moyenne emmitouflé sous des couches de vêtements, appareil photo à la main. « Je suis comme un moine dans sa cellule. Il y a une forme de méditation dans l’affût. Cela permet de supporter l’attente d’un moment qui ne viendra peut-être jamais » souffle-t-il.
Autoportrait dans le domaine vital du Lynx Boréal.
Sa voix posée atteste d’une existence passée en retrait d’un monde ivre de vitesse. Les rencontres avec le félin restent une exception : il en aperçoit moins de quatre fois par an mais chaque moment reste gravé dans sa mémoire. Ainsi, cette rencontre en 2013. « J’ai pu voir une femelle que je suivais depuis plusieurs années avec ses petits. Après un millier de jours de frustration, de désillusion, d’affût dans le froid, c’était extraordinaire. J’en pleurais d’émotion derrière mon appareil ».
UN TERRITOIRE FRAGMENTÉ
Sur le chemin du retour vers Lons-le-Saunier, Guillaume François soupire. À travers la vitre de sa voiture, il aperçoit une parcelle de forêt découpée. « Aujourd'hui, on a une fragmentation du milieu sauvage. Cela ne laisse plus de place au vivant qui a besoin d'espace ».
Le territoire du lynx est traversé par des villes et des routes. Ces dernières représentent un vrai danger pour l’animal : 60 pour cent des lynx environ meurent du fait d'une collision routière, selon une étude. Le braconnage s'occupe d’une partie du reste. Aujourd’hui, seulement 150 individus environ parcourent encore le territoire français. Le lynx boréal a ainsi sa place dans la liste des espèces en danger établi par l’UICN, l’organisme de conservation de la nature, en France.
Mâle adulte après plus de huit années de suivi. Blessé sur son flanc gauche après avoir subi une collision routière, ses fonctions de grand prédateur sont réduites. Atteignant l'espérance de vie moyenne de son espèce, il ne s'éteindra pas de sélection naturelle mais de causes anthropiques.
Pour tenter de venir en aide au félin, des habitants de la région se sont organisés. Depuis 1987, le centre Athénas, niché dans les hauteurs du Jura, récupère les animaux blessés des alentours pour les soigner. L’un des objectifs : empêcher une nouvelle extinction de ce grand félin sauvage. Le lynx avait déjà disparu totalement de France au XIXe siècle. Il était réapparu dans les années 1970, à la faveur d’une réintroduction en Suisse. Les lynx s’étaient alors peu à peu répandus dans les territoires voisins.
En près de trente ans, 69 lynx sont passés sur la table d’examen en inox de l’infirmerie du centre. Beaucoup arrivent très mal en point, la colonne vertébrale réduite en miette par les chocs routiers. En moyenne, un tiers des lynx récupérés survivent.Pour eux, le centre dispose de salles de repos pour félin en convalescence. « Il faut y aller en chuchotant » prévient Gilles Moyne, l’un des fondateurs du centre Athénas. « La femelle que l’on a recueillie en octobre est farouche. Elle déteste les bruits ».
Gilles Moyne, un des fondateurs du centre Athénas.
Dans son enclos, elle s’est perchée sur l’une des poutres, la tête à moitié cachée par le colombage. Elle est nourrie par des proies vivantes, notamment des lapins. « Cela lui permet de travailler sa musculature et son cœur pour mieux se préparer au retour à la vie sauvage ».
Cette femelle devrait être relâchée très prochainement. Ce sera la 22e fois que le centre Athénas procède à une telle action.
DES PISTES POUR LA SAUVEGARDE DU LYNX
Les défenseurs du lynx plaident aussi pour agir en amont des blessures. D’abord, mettre de vrais panneaux d’affichage pour enjoindre les automobilistes à réduire leur vitesse pendant certaines périodes de l’année. « En automne, les mères se déplacent beaucoup avec les jeunes. C'est aussi l'ouverture de la chasse. Les proies sont plus mobiles donc les lynx se déplacent plus.
Il y également le moment du rut de février à mars. Pendant ces mois-ci, on voudrait une signalétique nouvelle créée pour marquer les esprits et non pas simplement des panneaux avec des chevreuils bondissants, car plus personne ne les remarque. Dès qu'on diminue la vitesse de 10 km/h, les conséquences de collision sont beaucoup moins graves. Cela fonctionne de manière exponentielle».
Ils demandent aussi plus de moyens pour lutter contre le braconnage. « Le nombre d'agents de terrain en charge de combattre le braconnage ne fait que diminuer depuis plusieurs décennies. C'est pourtant une solution importante au problème » estime le défenseur du félin.
Les yeux dans les yeux avec un lynx boréal. Ce mâle, Guillaume François le suit depuis plus de huit ans sur le terrain.
Masque et veste floqués du symbole de l’association - une tête de lynx - Gilles Moyne sait pourquoi il déploie tant d’énergie dans ce combat-là.
« Si on n’est pas capable de protéger le lynx, autant se tirer une balle tout de suite, s’anime-t-il soudainement. Cela veut dire que l’on est incapable de préserver notre environnement. Le lynx fait partie d’un écosystème dont nous dépendons, nous aussi. Sans lui, la forêt n’est plus la même ».
Les défenseurs du lynx comptent bien tout mettre en œuvre pour empêcher une nouvelle extinction dans l’Hexagone.