L’Homme est-il le seul à avoir domestiqué d’autres espèces ?

Si certaines espèces vivantes entretiennent des liens mutuels avec d'autres espèces, la domestication stricte d'autres animaux semble être une caractéristique bien humaine.

De Morgane Joulin
Publication 14 mars 2024, 10:10 CET
Le premier animal à avoir été domestiqué par l’Homme est le chien, il y a plus ...

Le premier animal à avoir été domestiqué par l’Homme est le chien, il y a plus de 15 000 ans. 

PHOTOGRAPHIE DE Lakeview Images / Alamy Banque D'Images

Selon le Musée national d’Histoire Naturelle (MNHN), est considéré comme domestique « un être vivant dont on contrôle le cycle de reproduction et que l'on considère, à cet égard, comme dépendant d'un humain ou d'un groupe d'humains. » 

Pour Jean-Pierre Digard, Directeur de recherche honoraire du CNRS et Membre de l’Académie d’Agriculture de France, la « vraie » domestication est « une action prolongée qui peut conduire à ce que l’espèce domestique soit différente de l’espèce d’origine. » De fait, les animaux que nous appelons aujourd’hui « domestiques », tels que le chien, le chat ou même d’autres animaux de la ferme, ont été créés par la domestication humaine. « On a domestiqué le loup, ça a donné le chien, on a domestiqué le mouflon, ça a donné le mouton », résume l’ethnologue. 

Les espèces devenues domestiques étaient souvent les plus simples à approcher et à capturer. Par exemple pour le chien, ancêtre du loup, l’Homme a vu un intérêt à ne pas le chasser, car il s’est aperçu qu’il l’aidait à chasser le gibier. « Le loup court plus vite que l’Homme, donc les Hommes de cette époque ont appris à l’embusquer sur les trajets où les loups chassaient, et les loups leur apportaient les animaux à chasser. » L’odorat extrêmement bien développé de l’animal a aussi contribué à l’intérêt humain. Des petits loups ont été ramenés sur le campement des Hommes de l’époque, et ont été nourris. C’est comme cela qu’a commencé la domestication de cette espèce qui a donné le chien que l’on connaît aujourd’hui. 

Cette domestication ne s’est pas faite intentionnellement au départ : « L’Homme ne pouvait pas savoir ce que ça donnerait avant d’avoir terminé la domestication. Il n’y avait pas de projet préconçu. Quand l’Homme a domestiqué le cheval, jamais il n'aurait pu imaginer qu’il pourrait le chevaucher et lui faire tirer des charrettes », précise Jean-Pierre Digard.

Apparue il y a plus de 15 000 ans au Proche-Orient et en divers points de la planète, la domestication a été un tournant dans l’évolution de l’humanité. À cette époque de temps glaciaires, les Hommes étaient encore des chasseurs-cueilleurs. Il n’existait ni élevage, ni agriculture. C’est justement la domestication des plantes qui a donné naissance à l’agriculture, et celle des animaux à la naissance de l’élevage. La domestication fut étendue aux techniques et aux objets mis au service des besoins humains. C’est aussi à partir de ce moment que l’Homme a commencé à se sédentariser, et à faire croître sa population. 

Tous les animaux n’ont pas été domestiqués au même moment. Jean-Pierre Digard en dresse la liste, et explique que premier animal à l’avoir été est « le chien, 13 000 ans avant notre ère. S'ensuivent les animaux herbivores comme le porc, les animaux ruminants tels que le bœuf, le mouton ou la chèvre entre 8 000 et 5 000 ans avant notre ère. Enfin, la troisième vague arrive aux alentours de 3 000 ans avant notre ère, le cheval, l’âne, le chameau et le dromadaire. »

La domestication est ainsi au socle de nos sociétés actuelles. Ce fut un grand bouleversement dans les modes de vie humains, à tel point que l’archéologue australien Vere Gordon Childe parle d'une « révolution néolithique », dont le point de bascule serait lié à la domestication.  « Quand on passe d’une économie de prédation à une économie de production, ça change tout », résume Jean-Pierre Digard. Et aujourd’hui, 1,3 milliard de personnes vivent de l’élevage des animaux, qui représentent 40 % de la production agricole totale dans les pays développés et 20 % dans les pays en développement, comme le souligne un article du MNHN. 

 

LE MUTUALISME

Ce qui est important dans la domestication, c’est la notion d’intentionnalité. C’est cela qui en fait une pratique uniquement humaine. 

Pour autant, il existe dans la nature des relations de mutualisme entre deux espèces. Des insectes sociaux peuvent entrer dans une relation de mutualisme avec des champignons ou d’autres insectes. Les fourmis, par exemple, protègent certaines espèces de pucerons contre leurs antagonistes prédateurs et parasitoïdes. Ces pucerons sont considérés comme myrmécophiles, c’est-à-dire qu’ils vivent en association symbiotique externe avec les fourmis. Ces dernières récoltent le miellat sécrété par certaines espèces de pucerons, un complément alimentaire riche en sucre. Mais dans ce cas, on ne peut pas parler de domestication, car il n’y a pas de réelle intentionnalité de la part des fourmis. 

Les fourmis sont friandes de ce miellat, et viennent le récupérer directement au bout de l’abdomen ...

Les fourmis sont friandes de ce miellat, et viennent le récupérer directement au bout de l’abdomen des pucerons. C’est ce que l’on nomme la trophobiose.

PHOTOGRAPHIE DE liam marsh / Alamy Banque D'Images

Parfois, les interactions ne sont pas toujours bénéfiques pour les deux espèces, c’est ce que l’on appelle le commensalisme. Le commensal se nourrit aux dépens de son hôte, sans que celui-ci obtienne de contrepartie. C’est par exemple le cas des rémoras, des petits poissons qui se nourrissent sur la peau des requins. Ce cas diffère du parasitisme, où la relation est nuisible pour l’hôte. 

Il est important de noter que même au niveau des animaux domestiqués par l’Homme, il n’y a pas d’un côté les espèces domestiques, et de l’autre les espèces sauvages. Il existe des cas intermédiaires. « Il y a des espèces dans lesquelles il y à la fois des animaux domestiques et des animaux sauvages, par exemple l’éléphant d’Asie (Elephas maximus) », explique Jean-Pierre Digard. Et il en va de même pour le chameau et le dromadaire. De fait, tous les animaux dits « de compagnie » ne sont pas non plus toujours des espèces domestiquées par l’Homme, à l’image des reptiles ou des poissons. 

La frontière entre l’animal sauvage et domestique reste donc floue dans certains cas. Ainsi, pour mieux mesurer l’évolution des espèces domestiques, un concept a été proposé il y a une dizaine d’années : le niveau des domestications. Cette classification comprend cinq niveaux. Le niveau zéro correspond à la capture d’animaux sauvages dans le milieu naturel, le niveau 1 aux premiers essais d’élevage, le niveau 2 à la maîtrise d’une partie du cycle de vie en captivité, le niveau 3 à la maîtrise de l’ensemble du cycle de vie en captivité avec apports d’animaux sauvages, le niveau 4 à la maîtrise de l’ensemble du cycle de vie sans apport d’animaux sauvages, et le niveau 5 à la mise en place de programmes de sélection. 

En conclusion, l’Homme est le seul animal à avoir domestiqué d’autres espèces, et cela a non seulement bouleversé l’évolution des espèces domestiquées, mais aussi sa propre évolution. 

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