Huit loups rouges relâchés dans la nature : nouvel espoir pour cette espèce en danger critique d’extinction
Cette annonce est une bonne nouvelle pour les conservationnistes qui œuvrent au rétablissement des loups rouges, l’espèce de loups la plus menacée d’Amérique.
Ruby, une louve rouge au Reflection Riding Arboretum and Nature Center, dans le Tennessee. Chaque année, à l’approche de la saison de reproduction, les biologistes se rassemblent pour discuter des accouplements possibles entre les loups. Avec un pool génétique limité à quatorze individus, il est essentiel de diversifier la génétique de l’espèce.
L’unique population de loups rouges (Canis rufus) du monde vient d'accueillir huit individus. Quatre loups rouges adultes et quatre louveteaux nés en captivité viennent d’être relâchés dans un refuge en Caroline du Nord. Cette nouvelle laisse entrevoir l’espoir d’un deuxième sauvetage de l’extinction pour l’espèce.
Les loups rouges sont une espèce en danger critique d’extinction. Ils sont endémiques de la Caroline du Nord. Ils peuplent deux refuges de la faune sauvage et quelques terres fédérales, domaniales et privées. Au total, la population sauvage est estimée entre vingt et vingt-cinq individus, en comptant les huit derniers loups rouges tout juste relâchés.
La libération de ces loups à l'état sauvage fait suite à une ordonnance judiciaire. À l’automne 2020, le Southern Environmental Law Center (SELC) a traduit le U.S. Fish and Wildlife Service en justice au nom de plusieurs groupes de conservation de la nature pour ne pas avoir relâché davantage de loups rouges à l'état sauvage. La défense du SELC s’est appuyée sur le fait que ce manque d’action violait le Endangered Species Act. En janvier, un juge d’une cour de district des États-Unis a ordonné au service de préparer un plan révisé pour les remises en liberté à venir.
Ron Sutherland, du groupe environnemental Wildlands Network, a estimé que ces libérations étaient « un pas dans la bonne direction », bien que son organisation ait lutté pour que plus de loups soient relâchés. Il espère que le U.S. Fish and Wildlife Service « recommencera à défendre son propre programme [et] s’engagera de nouveau à travailler sur le terrain avec les habitants de la Caroline du Nord pour sauver cette population de loups rouges ».
« Notre but, c’est de travailler main dans la main pour mettre en place un plan d’exécution … afin d’atteindre ensemble les objectifs de rétablissement du loup rouge », a déclaré John Tirpak, directeur régional associé des services environnementaux du Fish and Wildlife Service.
DES ANIMAUX DÉVOUÉS
Les quatre louveteaux rouges, nés au zoo d’Akron, ont été placés dans la tanière d’une femelle sauvage début mai au Pocosin Lakes Wildlife Refuge en Caroline du Nord. Cette stratégie s’est avérée extrêmement efficace pour l’espèce. Son taux de réussite avoisine les 100 % selon Chris Lasher, du zoo de Caroline du Nord. Il a été le coordinateur du Red Wolf Species Survival Plan, un ensemble de mesures de conservation visant à s’assurer de la pérennisation et de la sécurité de ces animaux en tant qu’espèce.
Toutefois, ces actions demandent beaucoup d’efforts. Les juvéniles doivent être déplacés avant qu’ils atteignent deux semaines, lorsque leurs yeux sont encore fermés. Les soigneurs doivent s’assurer que leur odeur est similaire à celle de leurs compagnons sauvages afin de faciliter l’accueil par leur mère adoptive. Dans le cas présent, les louveteaux ont été envoyés de Caroline du Nord à l’Ohio, une manœuvre qui a demandé de la coordination et un grand travail d’équipe de la part des soigneurs, des biologistes de l’État et d’autres membres, notamment un pilote volontaire.
Joe Madison, directeur du programme pour les loups rouges de Caroline du Nord pour le Fish and Wildlife Service, a indiqué que peu de temps après le placement des petits dans la tanière, la mère sauvage a déplacé la portée dans un tout autre lieu. Ce comportement est typique lorsque des perturbations surviennent dans la tanière. Les scientifiques chargés de suivre ses déplacements grâce à un collier GPS ont remarqué qu’elle continue de vagabonder autour de la tanière, un signe encourageant.
Un loup rouge en Caroline du Nord.
« Toutes les indications prouvent que les louveteaux nés en captivité ont été adoptés avec succès », a annoncé M. Madison.
Le placement des juvéniles fonctionne bien pour cette espèce, en partie car « ce sont des familles d’espèces très emphatiques et dévouées », a assuré M. Lasher. « Les louves rouges sont très engagées dans l’élevage des portées, peu importe leur taille ou leur composition ». Ce procédé s’avère utile car il permet d’augmenter le nombre d’individus dans la nature et d’améliorer la diversité génétique de la population grâce à l’introduction de nouveaux gènes.
UN LOUP ENDÉMIQUE AUX ÉTATS-UNIS
Plus petits que leurs cousins les loups gris (Canis lupus) mais un peu plus grands que les coyotes (Canis latrans), les loups rouges parcouraient autrefois les terres du Sud-Est. Les campagnes d’extermination à grande échelle couplées avec la perte de leur habitat ont engendré le déclin de la plupart de ces grands prédateurs.
En 1980, les loups rouges ont été déclarés officiellement disparus à l'état sauvage. Peu de temps avant, quelques loups avaient été capturés et transportés au zoo et aquarium de Point Defiance à Wahsington afin de les élever en captivité pour tenter de préserver l’espèce. En 1987, quatre couples reproducteurs issus des quatorze individus d’origine ont été relâchés dans le refuge faunique national d’Alligator River en Caroline du Nord. Il s’agissait de la première expérience de réensauvagement.
Dès le départ, certains problèmes se sont posés. « Nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir aux aspects techniques, à comment relâcher un prédateur dans la nature, nous avons même pensé à des choses comme des enclos d’acclimatation », révèle M. Tirpak. Heureusement, la population a augmenté chaque année. En 2012, ils étaient près de cent-vingt. De 2004 à 2014, le nombre d’individus s’est stabilisé à une centaine de loups répartis dans plusieurs meutes.
La réintroduction de loups rouges était considérée comme « rien de moins qu’un miracle biologique, politique et sociologique », selon les écrits de T. DeLene Beeland dans son livre The Secret World of Red Wolves (Le monde secret des loups rouges). Elle a servi de modèle pour la future réintroduction des loups gris à Yellowstone et en Idaho ainsi que pour celle d’autres prédateurs dans le monde entier.
Malheureusement, les populations grandissantes de coyotes en Caroline du Nord, les relations tumultueuses avec les locaux ainsi qu’un changement dans les stratégies de gestion pourtant efficaces ont, cumulés, mené à une chute vertigineuse des populations de loups rouges.
Dans les années 1990, un groupe restreint, mais influent, de chasseurs et de propriétaires terriens a commencé à s’opposer vivement aux programmes de rétablissement des loups rouges. Il était dirigé par Jett Ferebee, un promoteur immobilier qui détient plusieurs hectares de terres jouxtés au Pocosin Lakes Refuge. Sur les sites Internet, les banderoles d’avion et les panneaux d’autoroute, M. Ferebee le décrivait comme un « scandale », un excès fédéral empiétant sur les droits fonciers de la population, qui allait coûter des millions de dollars aux contribuables. Les loups rouges étaient également accusés d’être les principaux responsables du déclin des populations de cerfs locales, bien qu’aucune étude ne le confirme.
Les cinq comtés au sein de la région de réintroduction comptent parmi les plus pauvres de l’État. Leur économie repose sur la chasse, la pêche et les activités en plein air. Toutefois, un ressentiment contre le gouvernement a pris de l’ampleur dans cette région. En 2014, un règlement judiciaire a interdit la chasse des coyotes nocturne afin de contrer les taux de mortalité des loups rouges, une décision qui a alimenté la haine contre ces animaux. Les jeunes loups rouges peuvent facilement être confondus avec des coyotes et certaines personnes estimaient qu’il fallait imposer des limites sur la chasse aux coyotes.
Sur les forums de chasseurs, les loups rouges étaient qualifiés « d’hybrides » ou de « mutants ». Or, les zoos font reproduire ces animaux avec beaucoup de précautions afin de préserver la diversité génétique. Bien que les loups rouges s’accouplent parfois avec les coyotes, ce phénomène ne survient que lorsque leurs partenaires manquent à l'appel. Pendant un certain temps, la taxonomie du loup rouge a fait l’objet de débats scientifiques. En 2019, l’Académie nationale des sciences a déclaré qu’ils étaient une espèce à part entière, Canis rufus, et qu’ils méritaient une protection fédérale.
En 2015, la North Carolina Wildlife Resources Commission a adopté plusieurs résolutions qui entravaient les efforts du gouvernement fédéral pour maintenir la population en vie. L’agence avait cessé le placement des juvéniles à cette époque et mis la stérilisation des coyotes sur pause, une méthode efficace pour contrôler leur nombre.
Submergé par les demandes de retrait des loups, le Fish and Wildlife Service a également accordé quelques permis de chasse au sein de propriétés privées. Pourtant, les loups rouges n’avaient tué que sept animaux domestiques au cours des trente dernières années et tous les propriétaires avaient été compensés. Après 2014, leur nombre a chuté de cent individus à tout juste vingt fin 2020.
Sierra Weave, avocate pour le SELC, a expliqué qu’avant que le Fish and Wildlife Service ne cède à la pression et changent leurs mesures, « ils disposaient d’un plan de gestion vraiment efficace ». Pour elle, l’application des lois doit être renforcée, bien qu’elle soit consciente que les relations avec les locaux doivent l’être également. Malgré le nombre élevé de loups rouges tués par balle ces dix dernières années, les responsables n’ont jamais été poursuivis.
UNE LUEUR D’ESPOIR
Le placement des louveteaux demande beaucoup de préparation et de coordination avec les différents partenaires. Le travail d’équipe va s’avérer primordial pour que les loups rouges regagnent leurs droits dans la nature. Le Fish and Wildlife Service espère accroître la sensibilisation et renforcer la tolérance envers ces animaux, notamment grâce à un programme d’incitation des propriétaires fonciers lancé récemment. Surnommé « Prey for the Pack », il aidera les propriétaires à améliorer leur habitat s’ils autorisent les loups rouges à vivre sur leur territoire.
« C’est un premier pas encourageant », se réjouit Ramona McGee, avocate pour le SELC. « Mais il faut continuer à faire des efforts [puisque] la population est encore restreinte. » En 2019 et 2020, aucune portée sauvage n’a été déclarée. « C’est essentiel de protéger et de faciliter [cette] reproduction », a-t-elle ajouté.
Conformément à l’ordonnance du tribunal, le service fournira des mises à jour régulières au sujet de son travail et de ses plans pour les futures mises en liberté. Cet été, il participera à la réunion du Red Wolf Species Survival Plan. Elle réunit près de quarante hauts dirigeants d’organisations qui protègent et élèvent environ deux-cent-cinquante loups rouges actuellement en captivité.
« Nous nous réjouissons de la poursuite de ces efforts », a déclaré Joe Madison. « [Nous avons hâte] de coopérer avec les communautés locales pour mobiliser les efforts [essentiels] à notre travail et à la survie de cette espèce remarquable. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.