Pourquoi les pieuvres frappent-elles les poissons avec lesquels elles chassent ?

Les pieuvres de la mer Rouge chassent souvent avec des poissons prédateurs et, parfois... elles les frappent. De nouvelles vidéos suggèrent que c'est pour mieux les garder sous contrôle.

De Melissa Hobson
Publication 30 sept. 2024, 18:29 CEST

Les pieuvres diurnes de la mer Rouge font équipe avec des poissons pour chasser. Il s'agit d'une stratégie efficace.

PHOTOGRAPHIE DE Simon Gingins

La chasse se passait bien jusqu'à ce que l'un des poissons sorte des rangs. Dans un éclair noir et blanc, une pieuvre a dégainé son tentacule et, paf, l'a frappé de plein fouet. Le poisson, une loche rouge (Epinephelus fasciatus), est retourné à sa place dans le groupe de prédateurs à la recherche d'un repas.

Les scientifiques ont d'abord observé ce comportement pour le moins déroutant parmi les pieuvres diurnes (Octopus cyanea) en 2018 et 2019 dans la mer Rouge, ce qui a intrigué l'explorateur National Geographic Eduardo Sampaio.

« L'une des principales questions était : "S'agit-il vraiment d'une collaboration ou les poissons ne font-ils que suivre les pieuvres ?" »

Les pieuvres qui recherchent de la nourriture sont « comme des bulldozers » : elles « troublent la zone » et font fuir les animaux dans toutes les directions, d'après Jennifer Mather.

PHOTOGRAPHIE DE Simon Gingins

Pour mieux comprendre, Sampaio et ses collègues ont récemment installé deux caméras pièges pour suivre et filmer ces chasses dans la mer Rouge, qu'ils ont ensuite reconstituées à l'aide d'un logiciel. Après avoir visionné plus d'une centaine d'heures d'images, l'équipe est convaincue que les pieuvres diurnes imposent effectivement un travail d'équipe entre les prédateurs, qui sont souvent composés d'une seule pieuvre et de deux à dix poissons.

« Les prédateurs actifs, comme Mullidae, sont ceux qui trouvent la nourriture », alors que les pieuvres « rapportent la nourriture à tout le monde », déclare Eduardo Sampaio, chercheur post-doctorant à l'université de Lisbonne et au Max Planck Institute of Animal Behavior.

« Si le groupe bouge, tout le monde est content. Et tout va bien », dit-il. Mais, parfois, des fauteurs de troubles, comme les loches rouges, jouent les dissidents. Comme les prédateurs embusqués attendent généralement que leurs proies viennent à eux, leur absence de mouvement peut ralentir la chasse.

« Dans la moitié des cas, si une loche est présente, elle se fait frapper », explique Sampaio, dont l'étude a été publiée dans la revue Nature Ecology & Evolution. « Il s'agit donc clairement d'un animal qui, de l'avis de la pieuvre, ne collabore pas. »

 

"BULLDOZER" DES RÉCIFS

Mais tous les experts ne sont pas convaincus par cette nouvelle théorie.

« Est-ce qu'Eduardo a vu quelque chose que l'on aurait manqué ? », s'interroge Jennifer Mather, spécialiste de la cognition des pieuvres à l'université canadienne de Lethbridge, qui n'a pas participé à l'étude.

Jennifer Mather décrit les pieuvres chasseuses « comme des bulldozers » : elles bougent et font fuir les animaux dans toutes les directions.

Des études antérieures, dont la sienne, suggèrent que les autres poissons prédateurs sont des « suiveurs qui profitent du désordre initié par la pieuvre », explique-t-elle. Par exemple, « les poissons vont souvent devant et attendent de voir ce qui tente d'échapper à la pieuvre ».

Pendant ses travaux de recherche, Jennifer Mather a vu une pieuvre commune (Octopus vulgaris) frapper un poisson du genre Pterygoplichthys quand il s'est approché d'un peu trop près. Elle a également observé un poisson-demoiselle attaquer une pieuvre.

De plus, elle pense que les chercheurs devraient s'intéresser à la direction vers laquelle les poissons se tournent, et non à leur position dans le groupe. Les meneurs d'une chasse coopérative « auraient pointé à l'opposé de la pieuvre et les charognards auraient pointé vers elle », explique-t-elle.

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    COMPRENDRE : les pieuvres

    Alexandra Schnell, une exploratrice National Geographic et chercheuse associée à l'université de Cambridge au Royaume-Uni, affirme que ce n'est peut-être pas si simple : « La capacité de la pieuvre à débusquer ses proies influence la manière dont les autres poissons interagissent avec le groupe, même si elle n'est pas toujours à l'avant ».

    Bien que de plus amples recherches soient nécessaires, on peut raisonnablement supposer que les poissons et les pieuvres ont appris à chasser ensemble par bénéfice mutuel.

    Dans les vidéos, certaines pieuvres étendent leurs bras au-dessus d'un rocher ou d'un récif corallien pendant de longues périodes, signe qu'elles ont piégé des proies, telles que des poissons plus petits, indiquent les auteurs de l'étude.

     

    LE TRAVAIL D'ÉQUIPE PAIE

    Si l'hypothèse de Sampaio était vérifiée, une pieuvre économiserait de l'énergie en travaillant avec des poissons : ensemble, les prédateurs peuvent explorer une zone plus vaste plus rapidement que s'ils étaient seuls. Pour la pieuvre, cela lui permettrait de consacrer plus de temps à d'autres activités, telles que la reproduction, les interactions sociales, le jeu et la construction ou l'entretien d'une tanière.

    Il existe d'autres exemples d'animaux qui imposent leur comportement dans des situations de coopération.

    « Chez les espèces de poissons nettoyeurs, comme le labre nettoyeur commun, les mâles peuvent punir les femelles si elles prennent des bouchées de ce qu'ils sont en train de nettoyer », explique Alexandra Schnell.

    L'étude révèle la « capacité des pieuvres à avoir des interactions sociales complexes et à différencier les rôles au sein d'un groupe », pointe-elle.

     

    DES QUESTIONS SANS RÉPONSE

    De nombreuses questions restent en suspens. Ces animaux collaborent-ils ou, comme le suggère Jennifer Marther, sont-ils « simplement au même endroit au même moment » ?

    Sampaio est curieux de savoir si la coloration noire et blanche des pieuvres est un signe d'avertissement pour les poissons, une façon de leur dire : « Tu m'ennuies déjà ! » Il souhaite également savoir si les poissons comprennent ce signal et se comportent alors différemment.

    Un autre mystère réside dans la capacité d'une pieuvre à distinguer les poissons les uns des autres, dont beaucoup vivent des dizaines d'années. « Savent-elles que c'est... Steve ou Martha, et qu'elles aiment vraiment chasser avec eux ? »

    Même si les chercheurs ne sont pas tous d'accord sur ces résultats, ils s'accordent sur un point : ils veulent en savoir plus.

    Comme le dit Jennifer Mather, « c'est une énigme et les scientifiques sont curieux, c'est notre travail. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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