Ces frelons peuvent boire de grandes quantités d'alcool... sans être saouls

Grâce à un échange de bons procédés avec la levure de bière, les frelons orientaux sont des champions de la résistance à l'alcool.

De Jason Bittel
Publication 24 oct. 2024, 15:36 CEST
Selon une étude récente, le frelon oriental peut absorber des concentrations d'alcool allant jusqu'à 80 %.

Selon une étude récente, le frelon oriental peut absorber des concentrations d'alcool allant jusqu'à 80 %.

PHOTOGRAPHIE DE Nitzan Cohen

Bourré comme un coing, rond comme une queue de pelle ou beurré comme une biscotte, aussi fleurie soit l'expression qui retient vos faveurs, quand un humain boit de l'alcool (avec modération), c'est généralement pour s'amuser et évacuer le stress. Du côté des animaux, l'activité a un tout autre intérêt : faire le plein de calories.  

Dans la nature, les fruits, le nectar et d'autres substances végétales sont capables de produire de l'éthanol à mesure qu'ils se décomposent et fermentent. Bon nombre d'animaux ont découvert que les aliments fermentés offraient une source redoutable de nutriments, c'est notamment le cas des éléphants d'Afrique et de quelque cinquante-cinq espèces d'oiseaux. L'éthanol contient effectivement près de deux fois plus de calories que le sucre. En revanche, une consommation excessive peut avoir certains effets indésirables, comme tout le monde le sait.  

Tout le monde, sauf Vespa orientalis, le frelon oriental. De récentes expériences menées en laboratoire ont révélé que l'espèce, présente en Asie, en Afrique et Europe, pouvait résister à des concentrations d'alcool avoisinant les 80 %.

À titre de comparaison, la plupart des vertébrés souffrent d'effets indésirables liés à la consommation d'éthanol dès que la concentration dépasse les 4 %.  

Mais alors, pourquoi ces frelons présentent-ils une tolérance aussi élevée ? Peut-être parce qu'ils jouissent d'une relation mutuellement bénéfique avec la levure de bière, celle qui est utilisée en brasserie et en boulangerie.

Les levures sont incapables de survivre aux basses températures, c'est pourquoi elles vivent et se reproduisent dans le ventre des guêpes et des frelons pendant l'hiver. En retour, la levure fournit de l'énergie aux frelons en fermentant les fruits dont ils se nourrissent. Afin de compenser les talents de fermentation de la levure, les frelons pourraient avoir évolué de manière à porter plusieurs copies d'un gène connu pour favoriser la tolérance à l'alcool, selon une étude publiée le 21 octobre dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

Trois ouvrières adultes de l'espèce Vespa orientalis dévorent une figue arrivée à maturité, source potentielle d'éthanol naturel.

Trois ouvrières adultes de l'espèce Vespa orientalis dévorent une figue arrivée à maturité, source potentielle d'éthanol naturel.

PHOTOGRAPHIE DE Eran Levin

Même si l'idée de servir un verre à des insectes peut sembler triviale, plusieurs motifs poussent les scientifiques à étudier ce phénomène : comme les insectes, les primates aussi ont probablement consommé des fruits fermentés pendant des millions d'années.

D'ailleurs, la bien nommée « hypothèse du singe ivre » suggère que le régime riche en éthanol de nos ancêtres serait, encore à ce jour, lié à notre relation délicate avec la substance. 

Ainsi, en comprenant les mécanismes génétiques à l'origine de la tolérance du frelon oriental vis-à-vis de l'éthanol, les scientifiques pourraient développer de meilleurs traitements contre la dépendance à l'alcool, un phénomène qui toucherait environ 1,5 million de personnes en France.

 

JUSQU'À PLUS SOIF 

Lorsque la directrice de l'étude, Sofia Bouchebti, écoéthologiste à l'université Ben Gurion d'Israël, et ses collègues ont abreuvé plus de 2000 frelons orientaux de ce breuvage à 80 % d'éthanol semblable à l'absinthe, « les insectes étaient incapables de voler correctement et de marcher droit », raconte-t-elle.   

Et qui pourrait leur jeter la pierre ? En revanche, ce qui a surpris les chercheurs, c'est bien la capacité des insectes à se remettre sur pattes.  

« À un moment, j'ai vu plusieurs individus couchés sur le dos. J'étais presque sûre qu'ils allaient mourir, mais lorsque je suis repassée les voir quelques minutes plus tard, ils étaient complètement rétablis », indique la scientifique.  

Autre fait remarquable, alors que les frelons alcoolisés sont parvenus à métaboliser l'éthanol et à reprendre la construction de leur nid comme si rien ne s'était passé, les abeilles européennes ayant reçu le même régime alcoolique ont cessé toute activité et sont mortes dans les vingt-quatre heures. 

De faibles concentrations d'éthanol sont bénéfiques pour les animaux, indique le professeur Bouchebti, mais l'alcool devient toxique à des concentrations plus élevées, comme le montrent les abeilles.  

Pour cette raison, les scientifiques ont uniquement utilisé de l'éthanol concentré à 20 % lors des premières expériences, soit la limite pouvant être naturellement produite par la levure de bière.  

« Nous étions si étonnés par l'absence d'effets indésirables à cette concentration que nous avons décidé d'augmenter la dose afin de déterminer le seuil maximal toléré par les frelons », d'où ce chiffre de 80 %.

« À présent, j'aimerais comprendre pourquoi les frelons orientaux sont adaptés à des concentrations aussi élevées », poursuit-elle.

Par exemple, l'éthanol étant connu pour ses propriétés antimicrobiennes, il est possible que son absorption permette aux insectes de rester propres et en bonne santé, car les frelons orientaux ont la fâcheuse tendance à récolter des morceaux de chair en décomposition pour nourrir leurs larves. 

 

« UN COUP DANS L'AILE » 

« Quelle étude formidable ! » exulte l'entomologiste Chris Alice Kratzer, aucunement surprise par la capacité des frelons à métaboliser l'éthanol.

« De nombreux fruits arrivent à maturité à l'automne, ce qui coïncide avec le pic d'activité des colonies de frelons dans les climats tempérés », indique Kratzer, autrice du livre The Social Wasps of North America, dans un e-mail. « La capacité à ingérer les fluides provenant de fruits en décomposition est critique pour leur survie. »

« D'après mes observations personnelles, la plupart des espèces de guêpes sociales sont incapables d'ingérer de l'éthanol sans avoir "un coup dans l'aile" », raconte Kratzer. 

Les guêpes du genre Vespula sont des alcooliques notoires. Inconditionnelles des vergers, elles font la tournée des arbres pour consommer leurs fruits pourris jusqu'à ne plus savoir voler, ce qui entraîne parfois des collisions avec leurs compères.   

Le fait que la pratique n'ait aucun effet sur les frelons orientaux est tout à fait fascinant, ajoute-t-elle. 

« Cette étude ne fait que commencer », reprend Bouchebti. « Il y a encore beaucoup à découvrir ! »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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