Chez cette espèce, les femelles ont des "pénis" et les mâles des "vagins"
Au cours d'ébats sexuels qui peuvent durer de 40 à 70 heures, la femelle de cette espèce pénètre le mâle et utilise ses organes génitaux non pas pour délivrer du sperme, mais pour le recueillir.
Cette photo de deux insectes en train de s'accoupler a quelque chose d'inattendu. L'insecte du haut est une femelle, et elle a un « pénis ». Celui du bas est un mâle, et il a l'équivalent d'un vagin. Au cours d'ébats sexuels qui peuvent durer de 40 à 70 heures, elle le pénètre et utilise ses organes génitaux non pas pour délivrer du sperme, mais pour le recueillir.
L'espèce de 3 millimètres de long s'appelle Neotrogla curvata et vit dans les grottes brésiliennes. Il existe quatre espèces de Neotrogla et les femelles ont toutes un appendice sexuel. Elles appartiennent au groupe d'insectes des psocoptères, étroitement apparentés aux poux et aux punaises, et seulement de loin aux mouches proprement dites.
Le spéléologue Rodrigo Ferreira a découvert ces insectes il y a plusieurs années et les a envoyés à Charles Lienhard, un spécialiste des psocoptères, pour qu'il les étudie. Ce dernier leur a donné un nom et a également remarqué que leurs organes génitaux étaient inversés, ce qui est inhabituel. En collaboration avec Lienhard et Ferreira, Kazunori Yoshizawa a démontré que l'organe sexuel de la femelle ne se contente pas de ressembler à un pénis, mais qu'il agit également comme tel.
À titre de comparaison, la femelle hyène tachetée possède également ce qui ressemble à un pénis. En réalité, il s'agit d'un clitoris fortement hypertrophié, ou « pseudopenis », qui peut atteindre jusqu'à 10 cm de long. Elle ne l'utilise pas pour pénétrer un mâle ; en fait, le mâle doit pénétrer son pseudopenis. Plus tard, c'est par ce pseudopenis qu'elle met bas.
La configuration de Neotrogla est très différente. La femelle possède une excroissance ressemblant à un pénis, appelée gynosome, qui est érectile et incurvée. Le mâle n'a pas d'organe de ce type, mais une chambre interne. Lorsque la femelle le pénètre au cours d'un rapport sexuel, il envoie le sperme dans un canal situé dans le gynosome de la femelle, qui mène à un organe de stockage. Il éjacule toujours, mais il le fait à l'intérieur de son propre corps, pas dans celui de la femelle.
Coupe transversale montrant le sexe de Neotrogla.
Les rapports sexuels entre Néotrogla peuvent durer plusieurs jours, il est donc important que le duo se stabilise. La femelle le fait en gonflant la base de son gynosome à l'intérieur du mâle. Elle est recouverte de minuscules épines qui l'aident à s'ancrer pour son marathon sexuel. On trouve des épines similaires sur le pénis de nombreux animaux mâles. Elles apportent une stimulation supplémentaire pendant l'acte sexuel (comme chez les chats, les souris et les chimpanzés) ou infligent d'horribles blessures aux femelles (comme chez le charançon des grains).
Chez les Neotrogla, les épines sont de si bons points d'ancrage qu'il est impossible de séparer un couple en train de copuler, sans tuer le mâle. Comme l'écrit Yoshizawa, « la séparation des spécimens accouplés (N. curvata ; n = 1) a conduit à la séparation de l'abdomen du mâle du thorax sans rompre l'accouplement génital ». En d'autres termes : nous avons essayé de séparer deux spécimens, cela n'a pas fonctionné et le mâle s'est en quelque sorte déchiré.
« Il s'agit d'un élément fascinant de l'histoire naturelle », déclare Michael Jennions, de l'Australian National University. « Les biologistes de l'évolution sont depuis longtemps fascinés par les raisons pour lesquelles les organes génitaux masculins, y compris les pénis, sont si variables d'une espèce à l'autre. Les organes génitaux féminins font l'objet de beaucoup moins d'attention, en partie à cause de la difficulté technique de mesurer une cavité plutôt qu'une protubérance. »
Le pénis (gynosome) de la femelle Neotrogla.
L'organisation de Neotrogla ne ressemble à aucune autre dans le règne animal. Chez certains acariens et coléoptères, les femelles possèdent un organe protubérant qui recueille le sperme, mais aucun d'entre eux n'a d'adaptation particulière pour s'ancrer à l'intérieur des mâles. La femelle hippocampe utilise une structure saillante pour placer des œufs dans la poche du mâle - c'est le mâle qui assure la gestation et qui nourrit les œufs - mais il s'agit d'un dispositif de ponte, pas d'un pénis. Et la hyène tachetée a un pseudopenis élargi, mais c'est toujours le mâle qui pénètre la femelle.
De plus, le pénis de Neotrogla est une structure entièrement nouvelle, avec un ensemble complexe de membranes, de muscles et de conduits qui l'accompagnent. Son évolution n'a pas été un simple cas d'allongement d'une partie du corps existante, comme le clitoris d'une hyène. Elle n'a pas d'équivalent.
Le « vagin » du mâle, quant à lui, a évolué en tandem afin d'avoir la forme adéquate pour accueillir le « pénis » de la femelle. Il est facile de comprendre pourquoi de telles structures sont extrêmement rares : il n'est pas facile d'inverser le schéma habituel des organes génitaux. Alors pourquoi cela s'est-il produit chez Neotrogla, et seulement chez Neotrogla ?
Yoshizawa pense que la réponse se trouve dans l'environnement et le mode de vie de ces insectes. Ils vivent dans des grottes extrêmement sèches et leur nourriture principale - les excréments et les carcasses de chauves-souris - est difficile à trouver. La faim n'est jamais loin, mais les femelles peuvent s'en prémunir en s'accouplant. En effet, les mâles emballent leurs spermatozoïdes dans des paquets appelés spermatophores, qui sont également chargés de nutriments.
Cela renverse la dynamique habituelle entre mâles et femelles. En général, les mâles ont intérêt à s'accoupler le plus possible, afin d'engendrer le plus grand nombre de descendants. Ils rivalisent entre eux pour parvenir à s'accoupler, tandis que les femelles, qui ont la charge d'élever leur progéniture, choisissent leurs partenaires avec parcimonie. Mais chez les Neotrogla, ce sont les femelles qui recherchent des partenaires multiples, afin de recueillir le plus grand nombre possible de spermatophores. Ce sont elles qui sont en compétition, et ce sont les mâles qui choisissent leur partenaire.
Yoshizawa pense que cette tension sexuelle inversée a conduit à l'évolution des organes génitaux inversés. Le gynosome de la femelle lui permet de s'ancrer à son partenaire, même s'il est réticent, afin qu'elle puisse saisir le plus grand nombre possible de spermatophores. « Il est très probable que l'ensemble du processus d'accouplement soit activement contrôlé par les femelles afin d'obtenir plus de dons séminaux de la part des mâles, alors que ces derniers sont plutôt passifs », explique-t-il. Cela pourrait également expliquer pourquoi les rapports sexuels chez les Neotrogla durent si longtemps.
« C'est peut-être vrai, mais nous savons qu'il existe d'autres espèces où les femelles bénéficient de dons similaires mais n'ont pas de "pénis", comme plusieurs espèces de grillons, de silvains et de Bruchinae », explique Jennions. « Malheureusement, lorsqu'on ne dispose que d'un seul exemple d'une caractéristique, il devient difficile d'attribuer son évolution à une force spécifique. Tant que nous n'aurons pas trouvé d'autres exemples de pénis féminins, on ne pourra pas se prononcer sur une explication. »
En attendant, Yoshizawa s'emploie à vérifier son hypothèse. Il travaille sur le comportement des insectes qui s'accouplent, les caractéristiques des spermatophores, la croissance du gynosome et les préadaptations chez d'autres espèces apparentées qui ont pu permettre à Neotrogla d'évoluer vers une espèce femelle.
« Cette étude montre que la plupart des éléments que nous utilisons pour définir les mâles et les femelles ne sont pas gravés dans la pierre », explique Goran Arnqvist, de l'université d'Uppsala. « Ce sont des résultats réversibles et évolutifs des coûts et avantages relatifs de l'accouplement. En ce qui concerne les caractéristiques qui distinguent les mâles et les femelles, il ne reste plus que le type de gamètes [spermatozoïdes ou ovules] qu'ils possèdent. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise, en 2014.