Kirghizistan : un sanctuaire pour sauver le léopard des neiges

Le président du Kirghizistan prend des mesures audacieuses pour protéger une population de félins originaires d’Asie centrale, longtemps considérés comme sacrés par les habitants de la région.

De Adam Cruise
La sauvegarde des léopards des neiges du Kirghizistan est une priorité pour l’espèce. En mars, le ...
La sauvegarde des léopards des neiges du Kirghizistan est une priorité pour l’espèce. En mars, le président du pays a fait d’une ancienne concession de chasse un espace naturel protégé pour les animaux.
PHOTOGRAPHIE DE Axel Gomille, Nature Picture Library

Pour le léopard des neiges du Kirghizistan, un repas rassasiant se compose d’un bouquetin ou d’un argali. Problème : ces animaux sauvages apparentés aux chèvres et aux moutons—avec des cornes incurvées spectaculaires—sont aussi la cible des chasseurs de trophée.

Un système de quotas réglemente ce type de pratique au Kirghizistan. Mais selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, la chasse illégale a réduit gravement les populations d’ongulés. Et comme leurs principales proies se sont raréfiées, le nombre de léopards des neiges, en voie de disparition partout dans le monde, a également diminué.

En mars 2016, le président kirghize, Almazbek Atambayev, a pris une décision radicale pour sauvegarder l’espèce : il a réquisitionné Shamshy, une ancienne concession de chasse au trophée de 260 kilomètres carrés située dans le nord des Monts Tian, pour être transformée en réserve naturelle entièrement protégée pour les félins.

Selon le Snow Leopard Trust, un organisme à but non lucratif basé aux États-Unis qui travaille avec les populations locales pour protéger les animaux, cette région montagneuse —qui offre un habitat idéal pour les léopards— n’abriterait pour l’heure que 500 individus. Soit environ 10% du total mondial, estimé entre 4 000 et 6 500 sur une zone couvrant plus de deux millions de kilomètres carrés et comprenant la Russie et onze pays d’Asie centrale.

Le Kirghizistan se trouve en plein milieu du territoire des populations de léopards des neiges du nord et du sud, entre la Russie, le Kazakhstan, la Mongolie ainsi que les régions de Karakoram et d’Hindou Kouch. Une position stratégique : pour ces animaux migrateurs connus pour faire de longs déplacements hors de leur habitat, le Kirghizistan sert de couloir entre les deux populations. Or, leur mélange renforce leur patrimoine génétique global.

« Celui qui tire sur un léopard des neiges, tire sur son propre peuple »

Pendant les deux décennies et demie qui ont suivi son accession à l’indépendance en 1991, le Kirghizistan, comme toutes les nations de l’ancienne Union soviétique, a connu des difficultés à opérer la transition du communisme. De nombreux organismes nationaux ont souffert d’un manque de subventions et selon Eric W. Sievers, analyste politique associé au Centre Davis d’études russes et eurasiennes de l’Université d’Harvard qui a dirigé divers programmes de développement en Asie centrale dans les années 1990, les permis de chasse et la conservation sont deux concepts qui ne vont pas toujours de pair : « les observateurs locaux affirment que les subventions ne vont pas plus loin que dans les poches des fonctionnaires corrompus. »

Dans ces conditions, les parcs nationaux et les réserves ont été quelque peu ignorés. Les rangers ont été sous-payés, sous-entraînés et sous-équipés, et les lois concernant les espèces sauvages n’ont été que faiblement appliquées, ou pas du tout. Les léopards des neiges en ont subi les conséquences. Le gouvernement kirghize estime que la population de léopards des neiges a été divisée par deux au cours des 20 dernières années. Et en seulement trois ans, entre 2003 et 2006, la population d’argalis a chuté, passant d’environ 26 000 espèces à moins de 16 000.

Selon Sievers, la principale raison de cette diminution réside dans le fait que « plus de permis de chasse à l’argali ont été délivrés aux chasseurs américains que ne l’autorise la législation nationale. » Sievers fait référence à une année en particulier, 1996, lorsque 27 trophées d’argalis ont été exportés du Kirghizistan aux États-Unis. Mais seulement 18 permis ont été délivrés « en conformité avec la loi kirghize », d’après les archives du gouvernement, ce qui signifie qu’au moins neuf permis supplémentaires ont été délivrés officieusement.

« Depuis la nuit des temps, le peuple kirghize considère le léopard des neiges comme un animal sacré et comme le gardien des guerriers kirghizes, » a déclaré Atambayev après son arrivée au pouvoir. « Ce n’est pas un hasard si le premier chef kirghize a reçu le nom de Barsbek, ou Maître des Léopards. »

Il est incompréhensible, a continué Atambayev, « que des hommes kirghizes, descendants des léopards des neiges, tuent ces félins et vendent leur fourrure en vue de la fabrication de chapeaux et de manteaux. Ces hommes peuvent difficilement être qualifiés “d’humains. ” Celui qui tire sur un léopard des neiges tire sur son propre peuple. Celui qui vend des peaux de léopards des neiges vend son propre pays. »

Le léopard des neiges, un chasseur aux techniques de chasse bien rôdées

Protéger la proie pour sauvegarder le prédateur

Le nouveau site protégé devrait grandement contribuer au bien-être des félins, déclare Charudutt Mishra, directeur général intérimaire de Snow Leopard Trust : « Les ongulés sauvages sont la principale proie du léopard des neiges (…). Nous tentons donc de protéger la proie pour sauver le prédateur. » Selon lui, la population d’ongulés sauvages « pourrait doubler voire tripler dans les 10 prochaines années. »

Le projet de Shamshy est géré conjointement par le gouvernement kirghize et des ONG locales et internationales de conservation, comme la Fondation pour la Protection du Léopard des Neiges du Kirghizistan, le Snow Leopard Trust ou la David Shepherd Wildlife Foundation, un organisme de bienfaisance britannique qui verse des fonds et aide à la réalisation de projets internationaux liés à la faune en voie de disparition.

La réserve n’est pas loin de Bichkek, la capitale du pays, ce qui permet aux chercheurs internationaux d’y accéder facilement. C’est aussi intéressant pour l’écotourisme : il s’agit d’un territoire d’exception pour quiconque espère apercevoir l’un des grands félins menacés de disparition.

« Les partenaires de Shamshy travailleront également avec la population locale pour lancer des programmes communautaires et renforcer leur soutien à la conservation, » explique Siri Okamoto, directeur du développement pour le Snow Leopard Trust.

Une volonté politique de préservation de l’espèce

Le résultat d’un processus amorcé il y a 4 ans. En 2013, le président kirghize avait organisé une conférence dans la capitale pour les douze États de l’aire de répartition du léopard des neiges, qui, dans le cadre de la Déclaration de Bichkek, s’est traduit par le lancement du Global Snow Leopard and Ecosystem Protection Program (le programme mondial de protection des léopards des neiges et des écosystèmes).

Un an plus tard, le gouvernement kirghize signait un protocole d’entente avec la Fondation pour la Protection du Léopard des Neiges du Kirghizistan, le Snow Leopard Trust et la David Shepherd Wildlife Foundation afin d’encourager la sauvegarde des léopards au cours des dix prochaines années.

L’un des points de ce protocole est le Citizen Ranger Wildlife Protection Program qui vise à encourager les rangers et les membres de la communauté locale à appréhender les braconniers et les criminels. Le programme a déjà contribué à limiter la chasse abusive d’ongulés sauvages et a joué un rôle dans le projet d’Atambayev de transformer la concession de chasse de Shamshy en réserve naturelle.

Sally Case, qui dirige la David Shepherd Wildlife Foundation, indique que si le projet aboutit, « le gouvernement souhaiterait que l’équipe gère une autre réserve adjacente à Shamshy, une parcelle majeure de l’habitat des léopards des neiges, disponible pour un nouveau projet d’expansion. »

« Le concept même de prise en charge d’une concession de chasse est novateur, tant pour le Snow Leopard Trust que pour le gouvernement du Kirghizistan. La concession n’a jamais été utilisée ni surveillée à des fins de préservation des espèces sauvages. C’est une initiative très intéressante, » conclut Case.

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