La frappe de la squille multicolore est l'une des plus rapides du monde
Cette espèce fascinante a une frappe d'une rare force, similaire à celle d'une balle de fusil.
Une squille multicolore.
En avril 1998, une créature agressive nommée Tyson a défoncé un mur de verre de plus de 6 millimètres d'épaisseur dans sa cellule. Contrairement à son homonyme humain, Tyson ne mesurait que 10 centimètres de long. Les scientifiques ont découvert que Tyson, comme tous ses congénères, était capable d'asséner l'un des coups de poing les plus rapides et les plus puissants de la nature. Tyson, en l'occurence, était une squille multicolore.
Les squilles multicolores sont des parents agressifs des crabes et des homards et s'attaquent aux autres animaux en leur assénant des coups de poing dévastateurs. Leurs armes secrètes sont une paire de bras articulés repliés sous leur tête, qu'elles peuvent déployer à des vitesses incroyables.
Les bras des espèces « harponneuses » se terminent en une pointe qu'elles utilisent pour empaler les proies à corps mou comme des poissons. Les espèces plus grandes, dites « smasheuses », ont au bout de leurs bras de lourdes massues, qu'elles utilisent pour porter des coups d'une force équivalente à celle d'une balle de fusil.
Lorsque Sheila Patek, chercheuse à l'université de Berkeley, a commencé à d'étudier ces singulières créatures à partir de vidéos, elle a rencontré un problème de taille. « Aucun de nos systèmes vidéo à haute vitesse n'était assez rapide pour capturer le mouvement avec précision », se souvient-elle. « Heureusement, une équipe de la BBC nous a proposé de louer une caméra super rapide dans le cadre de sa série "Animal Camera" ».
Avec cet équipement de pointe, Patek a réussi à capturer des images de la frappe d'une espèce smasheuse, ralenties plus de 800 fois. Ce qu'elle a découvert était stupéfiant. À chaque coup de « poing », le bras de la squille se déplaçait à environ 50 mph, soit plus de deux fois plus vite que ce que les scientifiques avaient estimé auparavant.
« Cette frappe est l'un des mouvements les plus rapides observés dans le règne animal », explique Patek. « C'est particulièrement impressionnant compte tenu de la traînée substantielle imposée par l'eau. »
L'eau est beaucoup plus dense que l'air et beaucoup de créatures rencontrent des difficultés considérables à frapper dans l'eau, a fortiori à cette vitesse. Pourtant, la squille multicolore termine sa frappe en moins de trois millièmes de seconde, battant même son homonyme terrestre.
Si l'animal se contentait d'étendre son bras, comme un humain, il n'atteindrait jamais des vitesses aussi fulgurantes. Au lieu de cela, les squilles multicolores utilisent un système de stockage d'énergie aussi simple qu'ingénieux. Une fois l'attaque décidée, une sorte de cliquet verrouille le bras pour le maintenir fermement en place. Les grands muscles de la partie supérieure du bras se contractent alors et accumulent de l'énergie. Lorsque le cliquet est relâché, toute cette énergie est libérée en une seule fois et le bras inférieur est lancé vers l'avant.
Mais pour les scientifiques, même ce système ne peut pas expliquer la vitesse de frappe de la squille multicolore.
Lorsque le bras est armé, une petite structure semblable à une sellette se comprime et agit comme un ressort de traction, emmagasinant encore plus d'énergie. Lorsque le loquet est relâché, le ressort se détend et fournit une poussée supplémentaire, contribuant à accélérer la vitesse du coup porté jusqu'à 10 000 fois.
UNE VÉRITABLE PRÉDATRICE
« Les ressorts de traction sont bien connus des ingénieurs et des architectes », explique Patek, « mais ils sont inhabituels dans les systèmes biologiques. Il est intéressant de noter qu'un article scientifique a montré qu'un ressort de forme similaire existe chez le piège à mouches de Vénus. »
Grâce aux caméras louées, Patek a pu observer que chacune des frappes des espèces smasheuses produisait de petits éclairs de lumière au moment de l'impact. Le bras se déplace si rapidement qu'il fait baisser la pression de l'eau devant lui, la faisant bouillir.
Cela libère de petites bulles qui s'effondrent lorsque la pression de l'eau se normalise, libérant d'énormes quantités d'énergie. Ce processus, appelé cavitation, est si destructeur qu'il peut endommager l'acier inoxydable des hélices des bateaux. Combiné à la force de la frappe elle-même, aucun animal marin ne peut rivaliser.
Les plus grosses espèces de squilles multicolores peuvent même se nourrir de crabes, en déformant leur épaisse armure aussi facilement que le verre d'un aquarium. Et on les voit souvent frapper de malheureux poissons et pieuvres beaucoup plus gros qu'elles.
Certains scientifiques pensent que la nature belliqueuse des squilles multicolores a évolué parce que les crevasses rocheuses qu'elles habitent font l'objet d'une concurrence féroce. Cette compétition a également rendu ces animaux plus intelligents que les crevettes communes.
Ce sont les seuls invertébrés capables de reconnaître les autres individus de leur espèce et de se souvenir pendant un mois de l'issue d'un combat contre un rival.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.