La mémoire du moustique déjoue tous les pronostics

Mauvaise nouvelle dans la lutte contre les moustiques : les insectes apprennent à éviter les pesticides.

De Marie-Amélie Carpio, National Geographic
Publication 1 avr. 2022, 10:30 CEST
Aedes aegypti, le moustique de la fièvre jaune.

Aedes aegypti, le moustique de la fièvre jaune.

PHOTOGRAPHIE DE Joachim Pelikan, Swiss TPH

Le moustique n’en finit pas de faire de la résistance. Ennemi numéro un de l’humanité, à l’origine de plus de 700 000 décès par an selon l’Organisation mondiale de la santé, la minuscule créature ne cesse de déjouer les stratégies mises en œuvre pour la combattre. On savait déjà que les insectes développaient des résistances aux pesticides au fil du temps, à la faveur de mutations génétiques. Dans une étude parue dans la revue Nature Scientifis Reports, des chercheurs de l’université de Keele (Royaume-Uni) et de l’université de Sains Malaysia à George Town (Malaisie) révèlent un autre de leurs atouts : les moustiques sont capables de se souvenir de l’odeur des pesticides après une seule exposition non létale, si bien qu’ils gardent ensuite leurs distances avec les objets ou les lieux qui en sont imprégnés.

Les scientifiques avaient déjà pu constater les capacités cognitives des moustiques quelques années plus tôt. « La plupart des animaux, insectes compris, peuvent apprendre. En 2012, nous avons montré que les moustiques du genre anophèle, vecteurs du paludisme, pouvaient associer des indices visuels ou olfactifs à des expériences positives ou négatives », explique Frederic Tripet, directeur du Centre d’Entomologie et de Parasitologie appliquées de l’Université de Keele, et co-auteur de la présente étude. Avec celle-ci, les scientifiques ont voulu déterminer comment les moustiques faisaient usage de leurs capacités d’apprentissage face aux pesticides.

Pour mettre à l’épreuve leur mémoire olfactive, ils ont ciblé des femelles d’Aedes aegypti et de Culex quinquefasciatus. Les premières véhiculent entre autres calamités la dengue, la fièvre jaune, zika et le chikungunya, et les secondes, la fièvre du Nil occidental. En laboratoire, les insectes ont été exposés à des doses non létales de cinq types de pesticides couramment utilisés, avant d’être soumis à deux tests.

Placés dans une boîte, les moustiques devaient traverser une moustiquaire trouée, imprégnée des pesticides auxquels ils avaient été sensibilisés, pour pouvoir aller piquer un rongeur. L’écrasante majorité des insectes qui avaient été exposés aux pesticides ont dédaigné l’appât, seulement 15,4 % des moustiques Aedes aegypti et 12,1 % des moustiques Culex quinquefasciatus choisissant de traverser la moustiquaire. A l’inverse, quand est venu le tour du groupe d’insectes témoin, qui n’avait été en contact avec aucune substance chimique, 57,7% d’Aedes aegypti et 54,4% de Culex quinquefasciatus ont franchi le filet pour se gorger du sang de l’animal. 

Cette figure montre la préférence très significative chez les moustiques femelles préalablement exposées à une dose ...

Cette figure montre la préférence très significative chez les moustiques femelles préalablement exposées à une dose sublétale de pesticide (groupe de traitement de droite sur chacun des diagrammes en bâtons) pour le repos dans un compartiment éloigné de l'odeur du pesticide. L'étude a été publiée dans la revue Nature Scientific Reports

PHOTOGRAPHIE DE Nature Scientific Reports

Dans une autre expérience, les insectes étaient placés devant deux compartiments, l’un contenant l’odeur des pesticides, l’autre une odeur différente. Résultat : 75,7% des Aedes aegypti et 83,1% des Culex quinquefasciatus conditionnés ont gagné ce dernier compartiment, tandis que les autres se sont repartis équitablement entre les deux espaces.  

Conclusion : les moustiques associent les effets désagréables produits par les pesticides à leur odeur et ils mémorisent ce lien, évitant ensuite tout contact avec eux. Il est probable qu’ils mettent régulièrement en œuvre de telles stratégies d’évitement dans la nature, car la sous-exposition aux pesticides est un phénomène fréquent. « Malgré des dosages accrus de pesticides et certaines modifications dans leurs compositions chimiques, l’efficacité des moustiquaires et des murs imprégnés de ces substances, comme celle de toute autre mesure de contrôle chimique, diminue en général avec le temps, note Frederic Tripet. Et cette baisse est rapide, alors que les populations de moustiques sont devenus résistantes à la plupart des pesticides utilisés. En quelques mois, beaucoup de pesticides ne vont plus tuer les moustiques mais à l’inverse leur fournir l’occasion d’expositions non-mortelles, qui vont ensuite leur donner l’opportunité de se repérer très efficacement dans des zones traitées. »

Cette mémoire olfactive du moustique pourrait aussi contribuer à expliquer que la mortalité liée au paludisme remonte dans certains pays africains, même si les causes exactes de ce rebond restent mal comprises. « On a pu observer dans ces régions que les moustiques sont ou deviennent résistants à beaucoup des pesticides utilisés. Avec les phénomènes de résistance croisée, il arrive même qu’ils s’adaptent rapidement à de nouveaux produits élaborés à partir de composés chimiques proches de ceux qui existent déjà. Outre ce phénomène, on remarque aussi des changements dans leurs comportements », explique le chercheur. Les heures où ils piquent évoluent et les attaques à l’extérieur se multiplient. Certains travaux montrent aussi que les moustiques s’en prennent davantage au bétail dans les zones où l’habitat humain est traité.

L’étude anglo-malaisienne amène surtout à repenser les méthodes traditionnelles de lutte contre les moustiques. Parmi les options, Frederic Tripet suggère « l’emploi de pesticides ou d’autres agents de contrôle qui ont des effets à retardement, pour que les moustiques ne puissent pas facilement associer leur odeur à leur toxicité. Une autre piste pourrait consister à ajouter aux pesticides des molécules bon marché attrayantes, reproduisant l’odeur des hôtes des insectes. Ces odeurs étant fondamentales dans leur alimentation, ils ne pourront pas apprendre à les associer si aisément à une expérience négative. Surtout, nos travaux incitent à développer de nouvelles stratégies qui ne s’appuient pas sur les pesticides », conclut le chercheur. Un nouveau chapitre à écrire dans la longue histoire de la lutte contre les moustiques.

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