La morsure de ces petits animaux serait renforcée... par des métaux lourds
La solidité des dards, des griffes et des mandibules de certaines espèces serait due à un alliage d’éléments, tels que le zinc ou le cuivre, et de protéines naturelles.
Une araignée de l’espèce Phiddipus regius, élevée en captivité, arbore des mandibules iridescentes.
Pour s’agripper à un cerf, les tiques doivent d’abord transpercer leur fourrure épaisse. Les fourmis coupe-feuille n’ont aucun mal à ronger des feuilles tropicales robustes. Et les scorpions utilisent leur queue pour injecter du venin à des proies qui font plusieurs fois leur taille.
Cela fait longtemps que ces merveilles de la nature intriguent Robert Schofield, physicien à l’Université de l’Oregon. Comment se fait-il que ces minuscules créatures soient capables d’une force démesurée.
D’après un article paru dans Scientific Reports, la réponse se trouve dans la structure atomique même de leurs instruments.
Les chercheurs savaient déjà que les mandibules, les crocs et les dards de plusieurs espèces invertébrées contiennent de grandes quantités de métaux lourds comme le zinc, le cuivre et le manganèse (ceux-ci représentent jusqu’à 20 % du poids de certaines espèces). Mais ils ignoraient la relation entre ces métaux et les protéines résistantes également présentes dans les organes de ces invertébrés.
En analysant ces protéines et métaux lourds à l’échelle moléculaire, Robert Schofield et ses collègues ont découvert que des atomes de métal isolés s’intriquent avec des protéines pour créer des matériaux composites solides et durables qu’ils appellent « biomatériaux à éléments lourds ».
« C’est vraiment sympa de voir que l’ajout de ces métaux renforce l’instrument », commente Stephanie Crofts, biologiste au College of the Holy Cross, dans le Massachussets. « Cette étude permet de bien voir comment cela se produit chez divers organismes, et ça pourrait être plus fréquent que ce qu’on pensait », poursuit celle qui n’a par ailleurs pas pris part à la publication de l’article.
Et selon elle, il est également probable que ces biomatériaux inspirent les ingénieurs pour la conception de nouveaux produits : des téléphones plus petits et des appareils médicaux plus résistants par exemple.
ENCORE MIEUX QUE LES BIOMINÉRAUX
Bien entendu, les animaux n’ont pas eu besoin de l’homme pour développer des matériaux naturels robustes avec une méthode bien à eux. C’est un processus répandu qu’on appelle « biominéralisation » et qui se produit lorsque les protéines s’enroulent autour de gros cristaux dans le corps d’un animal. On le retrouve dans les os ou dans certains coquillages par exemple. Les os sont en réalité un mélange étonnant de minéraux (principalement du carbonate de calcium) et de protéines qui offrent au squelette de l’animal la flexibilité, l’élasticité et la souplesse dont il a besoin, et bien davantage que si les matériaux opéraient de manière isolée.
La biominéralisation connaît toutefois certaines limites : les coquillages peuvent par exemple se briser. « Créer quelque chose de tranchant avec un biominéral, ce serait comme fabriquer un couteau avec des briques », explique Robert Schofield, qui étudie les mandibules et les griffes des invertébrés depuis qu’il a vu une fourmi ramper sur le sol de son bureau à la fin des années 1980 (bureau qu’il occupe toujours d’ailleurs).
Pour de nombreux invertébrés les biominéraux ne conviennent pas, car ces bêtes ont besoin de parties du corps qui soient tranchantes, solides et capables de supporter un usage répété. D’après Robert Schofield, pour un scorpion, un dard brisé serait par exemple synonyme de condamnation à mort.
UN ALLIAGE REDOUTABLE DE MÉTAUX ET DE PROTÉINES
Lors de ses dernières recherches en date, Robert Schofield et ses collègues du laboratoire national Pacific Northwest et de l’Université d’État de l’Oregon ont scruté les membres de fourmis, d’araignées, de scorpions, de mollusques et d’une espèce de vers marin. L’équipe a construit des sondes miniatures afin de tester les propriétés mécaniques de ces membres et de les disséquer atome par atome.
Ils ont découvert que des métaux lourds, tels que le zinc et le manganèse, étaient distribués uniformément dans toutes les parties du corps de l’invertébré, contrairement à la matière dans les os et à d’autres biominéraux. Cette structure atomique permet à aux parties de leur corps d’être plus tranchantes et de subir davantage d’usure que si les protéines opéraient sans l’intervention des métaux.
Les biomatériaux à éléments lourds comportent un autre bénéfice précieux : d’après les calculs de l’équipe, une fourmi dépense 60 % d’énergie en moins pour découper des feuilles que si elle ne bénéficiait pas de cette structure atomique.
Cependant, Robert Schofield a encore des questions. Ces matériaux naturels ont-ils par exemple évolué une seule fois ? Ou bien plusieurs fois, de manière isolée, chez différents invertébrés comme les crustacés et les myriapodes ?
À en croire Stephanie Crofts, cette découverte pourrait mener à l’invention de nouvelles technologies pour les humains.
Par exemple, les ingénieurs sont constamment à la recherche de stratégies optimales pour concevoir des objets de petite taille qui ne cassent pas facilement, comme les smartphones ou certains dispositifs médiaux portables tels que les pompes à insuline.
Pour elle, cette disposition atomique de protéines et de métaux lourds pourrait ouvrir la voie à des produits légers, solides, et résistants à l’usage quotidien. Encore un exemple s’il en fallait qui prouve que la nature est mieux placée que nous pour savoir.