La mort de loutres de mer de Californie alarme les scientifiques
Une souche particulièrement virulente du parasite Toxoplasma gondii, qui est à l'origine de la mort de ces quatre loutres, pourrait selon les experts constituer une menace pour d'autres mammifères, y compris les humains.
Une loutre de mer de Californie, une sous-espèce menacée, se nourrit d'une palourde dans la baie de Monterey, en Californie.
Les autorités chargées de la protection de la faune en Californie ont lancé une alerte publique après la mort de quatre loutres de mer sauvages infectées par un parasite extrêmement rare.
Cette souche de Toxoplasma gondii, organisme unicellulaire responsable de la toxoplasmose, n’avait encore jamais été observée aux États-Unis. Particulièrement virulente, elle pourrait constituer une menace pour d’autres mammifères, y compris les humains.
Les loutres, retrouvées mortes sur la côte centrale de la Californie entre 2020 et 2022, présentaient « des niveaux astronomiques de parasites, dont des quantités massives dans leur graisse, qui était gravement enflammée », explique Melissa Miller, spécialiste vétérinaire de la faune sauvage au département californien de la pêche et de la faune sauvage. Ces cas ne suivent pas le modèle des autres types de toxoplasmose, qui affectent généralement le cerveau et le système nerveux central.
« Ces loutres semblaient plus malades, et sont mortes plus rapidement que les loutres infectées par d’autres souches : on parle ici de semaines, et non plus de mois ou d’années », poursuit Miller, coautrice d’une nouvelle étude publiée dans la revue Frontiers in Marine Science.
Au moins un tiers de la population humaine mondiale est infectée une fois par le toxoplasme, qui ne peut se reproduire que dans les intestins des chats aussi bien domestiques que sauvages, raison pour laquelle il est recommandé aux femmes enceintes de ne pas nettoyer les litières de leurs chats. Bien que généralement bénin, le parasite est très répandu dans la nature, et affecte tous les mammifères à sang chaud ; selon Miller, 60 % des loutres de mer adultes présentent des infections actives. Avec seulement 300 individus restants, la loutre de mer de Californie (Enhydra lutris nereis) est en voie de disparition dans l’État.
« Nous avons été complètement sidérés de voir ces résultats », confie Karen Shapiro, professeure associée à l’école de médecine vétérinaire de l’Université de Californie à Davis.
« Nous observons d’autres types de toxoplasmose chez les loutres de mer depuis vingt ans, mais il s’agit là d’une souche tout à fait surprenante, liée à une forme très grave de la maladie que nous n’avions jamais vue auparavant. Nous devions le faire savoir », affirme Shapiro, également coautrice de l’étude.
L’analyse génétique a révélé une autre surprise : la souche du parasite correspondait à des échantillons prélevés sur deux cougars il y a près de trente ans. Baptisée COUG en raison de son origine, cette souche avait été détectée et identifiée lorsque des habitants de Victoria en Colombie-Britannique ont contracté la toxoplasmose à la suite d’une contamination de l’eau potable.
Les humains peuvent être exposés au parasite par l’intermédiaire de leur chat, mais aussi de certains aliments, tels que la viande mal cuite et les crustacés crus. Les symptômes, lorsqu’il y en a, peuvent prendre la forme d’une légère fièvre et de douleurs musculaires, mais certaines personnes, en particulier celles qui sont immunodéprimées, peuvent développer des maladies graves et subir des lésions au cerveau et à d’autres organes.
Au moins cinq autres cas suspects de COUG chez des loutres font actuellement l’objet de tests à différents stades, ajoute Shapiro.
« Plus nous découvrons de cas et plus nous en apprenons, plus nous devons trouver des moyens de protéger aussi bien les animaux que les humains. »
PLUS D’UN TOUR DANS SON SAC
Une fois entré dans l’océan par le biais des eaux de ruissellement, le parasite est ramassé et concentré par les coquillages et les crabes, qui constituent les aliments préférés des loutres de mer de Californie. Des chercheurs ont récemment établi un lien entre un autre groupe de souches variantes de Toxoplasma gondii, connu sous le nom de « type X », et des chats provenant de bassins versants voisins, ce qui confirme que, dans le cas du parasite, il existe bel et bien un lien entre la terre et la mer.
Toxoplasma gondii peut survivre pendant deux ans dans l’eau de mer. Il peut également rester inactif pendant des années, se cacher dans les cellules, puis se réactiver si le système immunitaire de son hôte s’affaiblit.
« Il est considéré comme l’un des parasites les plus performants au monde, car il a plus d’un tour dans son sac quand il s’agit de se déplacer et de se cacher dans des hôtes », explique Miller.
Par ailleurs, son développement pourrait bien être encouragé par l’augmentation des précipitations dans l’ouest du pays. Les pluies intenses, les inondations et les grandes marées qui ont récemment touché la Californie, et qui devraient encore s’intensifier en raison du changement climatique, pourraient en effet provoquer une hausse de l’écoulement dans l’océan des matières fécales de chats infectés. Shapiro souligne toutefois que des études à plus long terme sont nécessaires pour tirer des conclusions solides.
Les scientifiques étudient une multitude de parasites différents et les voies par lesquelles ils se frayent un chemin dans l’environnement. Les recherches de Shapiro ont révélé une plus grande quantité de Toxoplasma dans les moules collectées pendant la saison humide que celles de la saison sèche, et une autre étude a établi un lien entre l’augmentation des niveaux de parasites dans l’océan et l’augmentation des précipitations.
UNE AUTRE MALADIE PRÉOCCUPANTE
Les scientifiques sont parvenus à confirmer un lien entre le cycle terre-mer-chutes de pluie et Sarcocystis neurona, un autre parasite moins connu parce qu’il ne provoque pas de maladie chez les humains. Observé chez les opossums plutôt que chez les chats, ce dernier est plus facile à repérer, car la maladie se développe plus rapidement ; un cas d’infection a entraîné la mort de quarante loutres de mer sur une bande côtière de 19 kilomètres.
« Nous observons une tendance assez claire : en cas de grosse tempête, les cas de [Sarcocystis neuroma] augmentent dans les semaines qui suivent », révèle Devinn Marie Sinnott, pathologiste vétérinaire et doctorante à l’Université de Davis, qui étudie ce phénomène.
Sinnott a passé l’hiver dernier, pluvieux dans la région, à s’inquiéter à l’arrivée de chaque nouvelle tempête. « Une partie de moi sait que nous avons besoin de la pluie, mais une autre partie la craint, car en cas de grosses tempêtes, beaucoup de loutres peuvent tomber malades. C’est un peu déchirant. »
UN PROBLÈME COMPLEXE
En attendant, les chercheurs espèrent que l’amour du public pour les loutres de mer et d’autres espèces marines permettra de sensibiliser aux effets de l’utilisation actuelle des terres et du développement sur l’environnement marin.
« Nous ne sommes pas seulement responsables du changement climatique, mais aussi de la modification des environnements côtiers qui fait que la pollution qui pénètre dans la mer est beaucoup plus importante », reprend Shapiro.
« Puisque nous avons comblé toutes ces zones humides et pavé tous ces parkings et ces allées, l’eau ne peut aller qu’en aval ; elle arrive donc dans la mer avec beaucoup plus de vigueur, et emporte les parasites avec elle. »
De plus, les loutres de mer n’ont nulle part où aller, déplore Sinnott. L’aire de répartition de la loutre de mer de Californie est désormais limitée par l’augmentation des populations de grands requins blancs au nord et au sud.
« Les loutres de mer sont déjà soumises à une forte pression en raison de la perte d’habitat, du contact avec les marées noires, des morsures de requins et d’autres maladies. Leur population a atteint un nombre historiquement bas, et tente toujours de s’en remettre », poursuit Sinnott.
« Si nous voulons préserver et conserver cette espèce clé de voûte, nous devons vraiment tenir compte de la connexion entre la terre et la mer, et de l’impact du changement climatique sur la santé de leur population. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.