La peau de cette grenouille de verre est si transparente que l'on peut voir ses organes
Ce « miroir biologique » est une sorte de bouclier en cristal qui tapisse leurs tissus, reflétant 50 % de la lumière qui devrait normalement les atteindre.
Les œufs de cette femelle de l’espèce Hyalinobatrachium aureoguttatum se voient à travers son estomac. Cette photographie a été obtenue dans un studio mobile.
Par une nuit d’été, dépourvue de Lune, dans les contreforts andins de l’Équateur, une minuscule grenouille de verre (Centrolenidae) se tient sur une feuille, surplombant un ruisseau. Ce mâle a choisi le meilleur endroit pour tenter d’impressionner une femelle, signalant sa présence par un croassement aigu.
Le problème, c’est que ce bon emplacement ne suffit pas. Cet amphibien vert-jaunâtre a observé ce que les mâles qui réussissent à s’accoupler faisaient. Lorsqu’il repère une masse d’œufs abandonnés, il se poste à ses côtés pendant des heures, faisant mine de la protéger. Arrive ensuite un évènement surprenant. Il attire des femelles curieuses, apparemment dupées, pensant qu’il s’agit d’un père compétent.
« C’est la première fois que nous remarquons ce genre de comportement chez les grenouilles et les crapauds », déclare Anyelet Valencia-Aguilar, écologiste comportementale à l’université de Berne. Elle a réussi à capturer ce qu’il semblerait être une supercherie masculine chez une espèce de grenouille de verre au Brésil. Elle estime que le même comportement pourrait exister chez au moins deux espèces en Équateur.
Un mâle de l’espèce Hyalinobatrachium valerioi se tient sur une feuille, près de ses œufs dans la forêt tropicale du Costa Rica. On suppose que le motif à pois sur le dos de cette grenouille aurait pour but d’imiter les œufs, ce qui dérouterait les prédateurs.
L’étude de Mme Valencia-Aguilar fait partie de plusieurs nouvelles découvertes concernant la biologie de ces charmants amphibiens, qui doivent leur nom à leur peau translucide.
À ce jour, 156 espèces de grenouilles de verre connues peuplent les néotropiques, principalement dans le nord des Andes et en Amérique Centrale. Les récentes avancées en optique, en génétique et en biologie moléculaire ont permis aux chercheurs de découvrir la vie de ces minuscules arboricoles. Certains n’atteignent même pas la taille d’un trombone.
Juan Manuel Guayasamin, biologiste de l’évolution à la Universidad San Francisco de Quito en Équateur, s’est adonné à la description de cinquante-six espèces d’amphibiens ces dernières années, dont quatorze grenouilles de verre. « C’est un travail important et infini. Ces petites merveilles ne cessent de nous surprendre. »
Cette nouvelle espèce du genre Hyalinobatrachium mesure moins de 2 centimètres. Cet amphibien pousse un croassement particulièrement aigu et est recouvert de pois noirs, deux particularités qui le rendent tout à fait unique. Il pourrait s’agir d’un camouflage au sein de son environnement dans la forêt tropicale.
Par exemple, les scientifiques ont découvert que des mâles de certaines espèces de grenouilles de verre font d’excellents parents, une caractéristique très rare chez les vertébrés. Les mâles d’au moins vingt-quatre espèces ne se livrent pas uniquement à la protection de leurs œufs des prédateurs mais s’en occupent également, parfois pendant des mois.
Après que la femelle a déposé sa couvée de vingt à cent œufs, selon les espèces, le mâle les féconde avec son sperme. Alors que les embryons sont encore en cours de développement, les mâles de certaines espèces, notamment Hyalinobatrachium aureoguttatum et Hyalinobatrachium fleischmanni, siègent sur la ponte, « comme le ferait une poule ». Ils les gardent ainsi hydratés jusqu’à leur éclosion en têtards, explique Jesse Delia, biologiste au musée américain d’histoire naturelle à New York.
Les embryons de Nymphargus wileyi, une espèce endémique de l’est des Andes de l’Équateur, sont suspendus à l’extrémité d’une feuille de fougère. Lors de leur éclosion en têtards, ils tombent dans le cours d’eau situé juste en dessous et poursuivent leur développement.
« Le père part à la recherche de rosée sur les feuilles, l’aspire dans sa vessie grâce à une zone hautement vascularisée située sur son ventre puis la transporte jusqu’aux bébés », explique-t-il. « Nous ne savons pas s’ils la transfèrent par l’urine ou par la peau de leur ventre. »
Il y a entre 25 et 35 millions d’années, quand la première grenouille de verre a évolué, les mères s’occupaient de tout. Puis, il y a entre 8 et 25 millions d’années, certains mâles ont pris en charge le soin des petits. Personne ne sait réellement pourquoi une telle évolution s’est produite.
« Chaque fois que les pères ont pris le relais, ils prenaient soin plus longtemps [des petits] et affichaient des comportements plus diversifiés que les femelles, qui abandonnent leurs œufs bien avant leur éclosion », poursuit M. Delia. Si les femelles quittent leurs œufs plus tôt, c’est peut-être car elles sont davantage concentrées à la production d’une nouvelle ponte.
Une araignée mange les œufs de l’espèce Espadarana prosoblepon, à la réserve de Río Manduriacu au nord-ouest de l’Équateur. Les parents de cette espèce ne s’occupent pas de leurs œufs, laissant leur survie à la merci des prédateurs.
Parallèlement, une nouvelle recherche a permis de révéler comment se formait le légendaire ventre transparent de la grenouille de verre. Carlos Taboada, biologiste à l’université Duke en Caroline du Nord collabore avec M. Delia. Il soupçonne les grenouilles de verre de réorganiser l’intérieur de leurs cellules afin de devenir transparentes une fois adultes.
« Ce n’est pas qu’une histoire de peau et de dépigmentation. Il faut des muscles transparents et une structure interne qui disperse la lumière suivant le moins d’angles possible. » Les fluides circulant entre les cellules tissulaires pourraient en outre contenir une substance qui permet à la lumière de suivre une trajectoire rectiligne, un mécanisme qui réduit l’opacité.
M. Taboada étudie également un autre phénomène qui permettrait aux grenouilles de verre de se fondre avec les feuilles vertes sur lesquelles elles s’assoupissent en journée.
L’espèce Nymphargus manduriacu a été décrite dans la littérature scientifique il y a quelques années à peine. Cette grenouille aux pois jaunes rare est une chasseuse opportuniste : elle patiente jusqu’à ce que sa proie, un petit insecte ou une araignée, ne passe devant elle avant de lui bondir dessus.
Il l’appelle le « miroir biologique : une sorte de bouclier ou de couverture de cristal qui tapisserait leurs tissus, reflétant 50 % de la lumière qui devrait normalement les atteindre. Ces cristaux amplifient le [signal] lumineux et le vert de la grenouille semble encore plus clair ».
La transparence de ces grenouilles de verre leur confère un autre avantage. Elle leur permet d'échapper au regard des potentiels prédateurs comme les oiseaux, les araignées et les serpents.
« Nous appelons ce type de camouflage la "diffusion des bords" », indique Justin Yeager, biologiste de l’évolution à la Universidad de las Américas à Quito. « Nous avons créé des répliques précises de ces grenouilles à partir de gélatine, certaines très opaques et d’autres très translucides. Et il s’avère que les plus opaques se font plus souvent manger. »
Une femelle de l’espèce Ikakogi tayrona est allongée sur ses œufs au sein de la région de la Sierra Nevada de Santa Marta au nord-est de la Colombie. Les mères s’occupent rarement de leurs embryons, ce qui fait de cette espèce une véritable curiosité.
Pour de nombreux scientifiques étudiant les grenouilles de verre, leur motivation provient du fait que leurs sujets disparaissent rapidement.
L’agriculture, le pâturage et les projets d’exploitation minière dans les Andes emportent sur leur passage les habitats déjà fragiles des grenouilles. L’aire de répartition de certaines espèces, par exemple Nymphargus manduriacu, sont réduites à un simple bassin.
L’Union internationale pour la conservation de la nature a listé dix espèces de grenouilles de verre comme en danger critique d’extinction, vingt-huit autres comme en danger et vingt-et-une encore comme vulnérables.
« Dès qu’elles sont découvertes, de nombreuses espèces sont déclarées en danger », déplore M. Guayasamin.
On peut voir le cœur d’une grenouille de verre battre à travers son thorax, à l’ouest de l’Équateur. Les mâles de cette espèce participent activement à la protection et aux soins de leurs embryons.
Pourtant, la protection de populations aussi isolées pourrait être bénéfique. Il espère que les gouvernements, les entreprises privées et les organisations à but non lucratif vont collaborer pour déclarer ces parcelles de terre abritant ces minuscules grenouilles en tant que réserves naturelles. Cette protection assurerait à ces délicates créatures de solides chances de survie.
« Ranas de cristal, leur nom en espagnol, est une bonne trouvaille puisqu’il évoque à la fois la fragilité et la beauté », souligne M. Guayasamin.
Basée à Miami Beach, en Floride, Angela Posada-Swafford est une journaliste américano-colombienne. Jaime Culebras est basé en Équateur. Ses photographies mettent en lumière les reptiles en danger et les espèces d’amphibiens.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.