Les animaux se métamorphosent avec le réchauffement climatique
De plus grands becs, des oreilles plus longues... Une étude australienne montre que la hausse des températures est en train de changer l'apparence d'un certain nombre d'animaux.

Les juncos ardoisés montrent une augmentation de la surface de leur bec.
Dumbo, le pachyderme de papier aux immenses oreilles, deviendra-t-il l'avenir des éléphants ? Si certains devaient un jour développer de tels attributs, ce ne serait pas pour voler, mais pour répondre à un climat plus chaud.
Le changement climatique a déjà de multiples impacts sur la faune. Extinction d'espèces, modification d'habitats ou de cycles saisonniers comptent parmi les exemples les plus frappants documentés à ce jour. Mais un autre effet, plus méconnu, fait depuis peu l'objet d'études : la modification de la morphologie de certains animaux, en particulier de leurs appendices. Avec la hausse des températures, becs, oreilles, queues et pattes grossissent chez diverses espèces. C'est la conclusion d'une étude publiée par des chercheurs de l'université Deakin, en Australie, dans la revue Trends in ecology and evolution.

Perruches nocturnes, illustrées par Elizabeth Gould (1804-1841) pour l'ouvrage de John Gould « Birds of Australia ».
L'objet de ces adaptations, qui témoignent d'une évolution accélérée ? Permettre aux animaux de mieux réguler leur température corporelle. La transpiration n'est en effet pas le seul mécanisme à entrer en jeu en la matière. La règle d'Allen, du nom du zoologiste qui l'a théorisée à la fin du 19e siècle, dispose ainsi que les organismes vivant sous des climats chauds sont pourvus de plus gros membres par rapport à leur taille, pour mieux dissiper la chaleur interne, l'inverse valant pour les climats froids. Les becs d'oiseaux, dont la surface est très vascularisée et dépourvue de plumes isolantes, concourent ainsi aux échanges thermiques, de même que les pattes sans plumes ou poils des volatiles ou des mammifères.
Partant de cette règle, les scientifiques se sont penchés sur l'évolution des appendices des animaux actuels en se basant sur des comparaisons avec des spécimens de musées et des données d'études de terrain au long cours. Conclusion : des changements morphologiques touchent une multitude d'animaux « à travers une grande variété de zones géographiques, de l'Arctique aux régions tropicales de l'Australie », note l'étude.

Les pinsons de Darwin se répartissent entre espèces à gros becs et espèces à petits becs (Charles Darwin, Journal of Researches). 1. Geospiza magnirostris ; 2. Geospiza fortis ; 3. Geospiza parvula ; 4. Gerthidea olivacea.
À commencer par les oiseaux. Les perruches nocturnes, endémiques de l'Australie, montrent ainsi une augmentation de la surface de leur bec comprise entre 4 et 10 % depuis 1871. En Amérique du nord, les juncos ardoisés, des passereaux, ont aussi pris du bec. Chez les pinsons de Darwin, l'effet induit est double. Non seulement les becs grossissent de façon générale, mais les hausses de température entraînent une survie différenciée des populations. Les pinsons se répartissent en effet entre espèces à gros becs et espèces à petits becs. Or, les volatiles aux petits becs voient leurs populations décroître davantage que les autres lors des années chaudes.
Ces modifications morphologiques affectent également les mammifères, en particulier certaines espèces de musaraignes et de chauves-souris, dont la taille des oreilles, queues et jambes croît relativement au reste de leur corps, les chauve-souris développant aussi de plus larges ailes. Les lapins de garennes australiens ont aussi vu leurs oreilles s'allonger.

Un lapin de garenne, photographié en Australie.
De nombreuses inconnues demeurent. D'autres études seront nécessaires pour appréhender l'ampleur du phénomène, les seuils de température déclenchant ces modifications ou encore le rôle éventuel de facteurs conjoints, comme l'évolution du régime alimentaire ou de l'habitat des animaux concernés.
En prenant en compte les espèces dont les appendices jouent un rôle thermorégulateur, les chercheurs avancent qu'un certain nombre d'oiseaux, en particulier des oiseaux de mer, pourraient voir leur bec grossir, et bon nombre de mammifères, développer de plus grandes oreilles. Mais prédire les effets du changement climatique sur l'apparence des animaux reste une gageure, insistent-ils, celui-ci n'étant uniforme ni dans le temps ni dans l'espace. Les réponses des animaux au phénomène sont tout aussi variables. Migrations et changements physiologiques peuvent constituer d'autres stratégies d'adaptation possibles. De plus amples recherches devront aussi déterminer l'efficacité de ces métamorphoses face aux défis posés par le réchauffement.
