Les lièvres variables évoluent dans la neige... Que vont-ils devenir ?
Originaires des Highlands écossais, ces mammifères aux couleurs changeantes prospèrent dans des conditions hivernales extrêmes. Le réchauffement climatique pourrait changer la donne.
Un lièvre variable se fond dans le décor enneigé des monts Monadhliath. Chaque hiver, l’animal troque son pelage brun contre un manteau blanc.
Les Highlands composent un paysage lisse, poli par la glace et la roche durant des millions d’années. Les montagnes semblent faire le dos rond. Des creux en forme de cuvette – les cirques (corries) – senichent entre les lignes de crête arrondies. C’est une terre à deux visages : à la fin de l’été, elle se tapisse de bruyère aux fleurs mauves, de feuilles délicates de saule rampant, de piment royal, de myrtilles et d’airelles rouges. Mais, en quelques semaines, ces hauts plateaux peuvent disparaître sous la neige. Ne restent alors que des congères, fouettées par un vent soufflant à 100 km/h.
C’est là le domaine du lièvre variable. Il se rencontre aussi dans la toundra, les Alpes et les régions boréales de l’Eurasie. On estime que, au Royaume-Uni, 99 % de ces petits mammifères vivent en Écosse, où les reliefs accidentés des monts Grampians, situés dans le nord-est du pays, constituent leur territoire de prédilection.
C’est l’heure de la toilette pour ce lièvre variable. Le moment de la mue varie, mais, en général, les individus vivant à haute altitude en Écosse deviendront blancs ou gris plus tôt en hiver que ceux vivant à basse altitude. Ils retrouvent aussi leur pelage foncé plus tard au printemps. Mais les scientifiques n’ont trouvé aucune preuve que les lièvres s’adaptent aux plus courtes périodes d’enneigement.
L’hiver dernier, j’ai fait une randonnée dans les Cairngorms. En titubant dans la neige épaisse, j’ai déclenché un claquement d’ailes et vu apparaître un lagopède alpin (ou ptarmigan), râlant d’avoir été chassé de son lit. Des lièvres au pelage blanc ont détalé vers le cirque en contrebas, avant de changer de cap et de filer sans effort par-delà la crête.
Les lièvres variables s’abritent dans des sortes de nids, dans la végétation dense ou dans des creux peu profonds à flanc de colline, où ils attendent la fin des tempêtes de neige, emmitouflés dans leur fourrure, les oreilles rabattues sur le cou. Ils peuvent rester ainsi des jours entiers, ne bougeant qu’une fois par heure environ pour s’étirer ou, peut-être, pour brouter furtivement de la bruyère avant de réintégrer leur refuge.
Ce comportement relève d’une des nombreuses adaptations qui permettent à l’animal – la seule espèce de lièvre ou de lapin indigène du Royaume-Uni – de survivre dans des conditions aussi difficiles. La plus frappante de ces adaptations est sans doute sa mue saisonnière, quand son pelage estival lisse, brun souris, laisse place à une fourrure plus épaisse et plus isolante, blanc brillant ou gris tourterelle. Chaque année, la lumière du soleil déclinante et la baisse des températures provoquent ce changement.
Les lièvres variables ont évolué afin de s’adapter à leur environnement, mais, en raison des variations météorologiques apportées par le changement climatique, ils sont de moins en moins en phase avec leur habitat.
Une femelle (en bas) repousse les avances d’un mâle lors du vigoureux rituel de séduction de l’espèce. Les hases testent la détermination et l’endurance des mâles, en les chassant, puis en les entraînant dans une longue course poursuite. Ce jour-là, l’épisode s’est terminé par un accouplement.
TRAHIS PAR LEUR CAMOUFLAGE
Le lièvre variable figure parmi les vingt et un mammifères et oiseaux capables de changer de livrée. Presque tous vivent dans des régions froides et enneigées, explique Marketa Zimova, professeure adjointe de biologie à l’université d’État des Appalaches, en Caroline du Nord. En Écosse, les espèces autres que le lièvre à changer de couleur sont l’hermine et le lagopède alpin.
Pour les lièvres, ce somptueux manteau hivernal constitue aussi un précieux camouflage qui les protège des prédateurs, tels que le renard roux, l’hermine et l’aigle royal. Mais, dans des conditions climatiques aussi changeantes que celles que nous connaissons, il peut être une malédiction autant qu’une bénédiction.
Dans les collines écossaises, il n’est pas rare que les températures connaissent des variations quotidiennes spectaculaires. Les jours les plus doux, lorsque la tourbière est noire, détrempée et marbrée de glace, les lièvres sont immanquables : silhouettes brillantes se découpant sur la bruyère sombre.
Leur pelage immaculé a toujours représenté un danger, mais des recherches menées par Marketa Zimova ont révélé qu’il n’était plus en phase avec les conditions locales – le changement climatique ayant entraîné une forte diminution du nombre de jours d’enneigement. En moyenne, la première neige d’automne tombait dans les années 2010 quatre jours plus tard que dans les années 1960.
Un lièvre variable et son petit prédateur carnivore, l’hermine, se distinguent par leur pelage blanc sur la lande sombre. Jour de chance pour le lièvre : l’hermine n’a pas remarqué que sa proie se trouvait à proximité.
Dans la région, les températures moyennes ont augmenté de plus de 0,1 °C par décennie, ce qui a allongé les périodes sans neige. Les lièvres passent ainsi trente-cinq jours de plus par an en décalage avec le paysage.
Pour Scott Newey, biologiste des populations étudiant le lièvre variable au Game & Wildlife Conservation Trust [ndlr : une organisation britannique de conservation du gibier et de la faune] d’Écosse, les conséquences de ce décalage ne sont pas tout à fait claires. C’est une espèce « très difficile » à surveiller, note-t-il. Les lièvres variables connaissent par exemple des cycles de population tels qu’un scientifique peut, une année, ne trouver que quelques individus sur 1 km2 et plus d’une centaine dans la même zone quelques années plus tard, et inversement. Ces cycles, qui peuvent être liés à la disponibilité de la nourriture et à la présence de certains parasites, fluctuent tant que démêler l’impact de facteurs tels que le changement climatique peut s’avérer extrêmement ardu.
Pourtant, les analyses des populations de lièvres américains, en Amérique du Nord, donnent un aperçu des tendances possibles à long terme. On connaît « le coût exact » d’un tel défaut de camouflage pour l’espèce, explique Marketa Zimova. La probabilité qu’un lièvre américain soit chassé et tué par un prédateur au cours d’une semaine donnée augmente de 7 à 14 % lorsqu’il porte son manteau blanc dans un paysage sans neige. « Cela semble peu », remarque-t-elle, mais, sur toute une année, « les conséquences peuvent être très graves ».
Comme pour nombre de problèmes auxquels la faune sauvage est confrontée sur cette planète en voie de réchauffement, le défi paraît se résumer à une alternative : s’adapter ou mourir. Or il n’y a pas la moindre preuve que les lièvres variables d’Écosse s’adaptent.
Ces photographies dévoilent les moments menant à une rare démonstration de tendresse, quand des lièvres en couple et en pleine parade nuptiale, se touchent le nez.
Les femelles sont en général plus lourdes que les mâles. Les plus grosses ont tendance à mettre bas plus de levreaux en plusieurs portées chaque année.
EN LIGNE DE MIRE
Curieusement, le risque accru de prédation par les renards, les oiseaux de proie et les hermines semble avoir beaucoup moins pesé sur les lièvres, du moins jusqu’à récemment, que l’impact de l’homme. Durant de nombreuses décennies, les propriétaires fonciers ont géré de vastes étendues montagneuses pour la chasse récréative au lagopède d’Écosse. Le brûlage dirigé transforme les collines en une mosaïque de paysages : certaines zones sont noircies et brûlées, d’autres bourgeonnent, d’autres encore sont couvertes d’une épaisse végétation. Cette diversité d’écosystèmes profite probablement autant aux lièvres variables qu’au gibier à plumes.
Les lièvres ont longtemps été chassés à des fins purement sportives, mais, au tournant du siècle, certains gestionnaires de domaines privés ont commencé à les tuer en grand nombre, partant du principe que cela éviterait la propagation d’une maladie transmise par les tiques au lagopède d’Écosse – une théorie contestée par les scientifiques (plus de 33 500 lièvres ont été tués au cours de la saison 2016-17). Le débat sur leur abattage, qui a toujours été controversé, a pris une nouvelle tournure lorsqu’une analyse réalisée en 2018 par Adam Watson, un écologiste et alpiniste indépendant, a soutenu que les effectifs des lièvres vivant sur les terrains de chasse au lagopède, dans le nord-est vallonné du pays, avaient chuté à moins de 1 % des niveaux observés au milieu des années 1950. La population écossaise de lièvres variables est estimée à 135 000 individus, bien que les scientifiques soulignent le caractère incertain de telles estimations ; le chiffre réel pourrait se situer entre 81 000 et 526 000.
Dans les monts Monadhliath, un lièvre se roule par terre, sans doute pour débarrasser sa fourrure des éclats de glace qui s’y sont formés à cause des bourrasques de neige.
Craignant le déclin de l’animal, le Parlement écossais a interdit son abattage sans autorisation en mars 2021. Mais il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de cette mesure, estime le biologiste Scott Newey, qui cherche depuis vingt ans le meilleur moyen de recenser la population de cet animal énigmatique.
La difficulté de l’entreprise n’a rien de surprenant. On peut facilement passer à côté d’un lièvre dissimulé dans la bruyère. Lors d’une randonnée estivale, il y a quelques années, j’en ai vu un bondir d’un fourré, silhouette fauve dans un paysage fauve. Le lièvre s’est immobilisé, puis a disparu, se fondant dans les broussailles. Présent un instant, il s’était évaporé l’instant suivant, comme s’il n’avait jamais existé.
Article publié dans le numéro 282 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine