Les mères chimpanzés nous ressemblent plus qu'on ne le croit
Elles pleurent leurs morts, dorlotent leurs petits et prennent du temps pour elles : de nouvelles recherches décrivent l'amour maternel chez les chimpanzés.
Un bébé singe fait un câlin à sa mère. Les grands singes et les humains partagent 99 % de leur ADN.
Elles maternent jour et nuit, peuvent allaiter cinq nourrissons et ont avec leurs enfants une relation fusionnelle et chronophage qui s’étend sur plus d’une décennie.
Cela vous rappelle quelque chose ? Tout comme nos mamans, les femelles chimpanzés ne ménagent pas leurs efforts pour élever leur progéniture et en faire des adultes sains, qui pourront vivre jusqu’à l’âge de 40 ans à l’état sauvage. Même s’il existe une multitude de communautés de chimpanzés (on en trouve des forêts tropicales ougandaises jusqu’aux savanes tanzaniennes), et que chacune d’elle a des particularités et des conduites qui lui sont propres, toutes reposent sur le même pilier : le lien étroit qui unit mères et petits.
Ces dernières années, de nouvelles recherches ont permis de comprendre plus précisément la maternité chez les chimpanzés, mais aussi d’obtenir des renseignements précieux sur cette espèce en voie d’extinction.
À cause de la destruction des habitats, de la chasse et des maladies, les populations de grands singes ont chuté de 70 % en un siècle. Ils étaient environ un million en 1900, et on en dénombre désormais entre 172 000 et 300 000. En apprendre plus sur les liens sociaux qu’ils développent permet d’appuyer les efforts visant à les protéger. Les recherches aident en effet les défenseurs de l’environnement à comprendre de quels facteurs dépend la survie des chimpanzés, par exemple de la taille de leur habitat.
Il y a quelque chose dans la façon qu’ont les chimpanzés de se lier « qui, à vrai dire, est en quelque sorte indescriptible, comme les liens amoureux entre êtres humains », relève Rachna Reddy, post-doctorante à l’Université d’Harvard et observatrice des comportements animaux en milieu naturel depuis plusieurs années.
Ces découvertes récentes font évoluer ce que nous savions jusqu’alors des mères chimpanzés, et révèlent à quel point nous sommes semblables.
RELATIONS MÈRE-FILS
Cela fait des générations que les primatologues documentent les liens étroits qui unissent les mères et leurs fils une fois qu’ils ont atteint l’âge adulte, mais il a fallu attendre l’an dernier pour qu’une étude démontre que ces attaches émotionnelles ne se résument pas à leur aspect réconfortant : celles-ci sont la norme.
Rachna Reddy et son co-auteur, Aaron Sandel, ont passé trois années à observer les interactions de vingt-neuf adolescents et jeunes adultes mâles appartenant à la communauté de chimpanzés de Ngogo, dans le parc national de Kibale, en Ouganda. À partir d’un certain âge, les chimpanzés mâles ne voient plus leur mère aussi souvent qu’auparavant, mais quand leurs chemins se croisent, les fils reviennent vers leur mère et les toilettent durant de longs moments, reproduisant vraisemblablement des comportements qu’ils ont connus durant leur enfance.
Certains ont des liens encore plus étroits : « Environ un tiers des mâles adultes sont, grosso modo, les meilleurs amis de leur mère », explique Rachna Reddy. (À lire : La force du lien maternel dans la nature).
Ce type de liens tenaces entre mère et fils existe vraisemblablement chez tous les groupes de chimpanzés. Il faut également remarquer que cela est d’ordinaire très peu fréquent chez les mammifères, car la majorité des mâles abandonnent le groupe qui les a vu naître quand ils atteignent l’âge adulte. Chez les chimpanzés, ce sont les femelles qui trouvent un nouveau groupe, ce qui explique pourquoi leur parent le plus proche est bien souvent un fils.
Même si les jeunes mâles n’abandonnent pas leur famille, un difficile rite de passage les attend : ils doivent se faire une place au sein de la hiérarchie sociale des mâles adultes.
L’étude a aussi permis de découvrir que les mères jouent un rôle crucial lors de ce rite en défendant leur fils quand il se bat avec d’autres mâles, et en les réconfortant par le toucher.
DES MÈRES QUI PRENNENT SOIN D’ELLES
Sean Lee, scientifique post-doctorant à l’Université George Washington, repense les croyances traditionnelles sur la vie quotidienne des femelles chimpanzés.
La communauté scientifique a par exemple longtemps pensé que les mères chimpanzés n’étaient pas vraiment sociables car elles passent vraiment beaucoup de temps avec leur progéniture.
Mais en faisant appel à des ensembles de données plus vastes – et à une certaine ouverture d’esprit –, Sean Lee et ses collègues ont découvert que les mères ont au moins autant de moments privilégiés avec d’autres adultes que les bonobos, ces cousins proches connus pour leur sociabilité.
Dans le cadre d’une étude publiée en début d’année, Sean Lee et ses collègues ont répertorié les comportements des individus bonobos allaitant en République Démocratique du Congo. Ils ont ensuite mis ces observations en relation avec des données récoltées pendant des décennies sur les chimpanzés du parc national de Gombe Stream, en Tanzanie. (À lire : Les chimpanzés de Jane Goodall surprennent encore les scientifiques).
Ils ont chronométré le temps qu’accordait chaque espèce à diverses activités telles que manger, voyager, faire sa toilette et jouer.
Sans surprise, les mères chimpanzés passent plus de temps en tête-à-tête avec leurs nourrissons, et moins de temps avec d’autres chimpanzés, que ne le font les bonobos. Mais elles passent au moins autant de temps que les bonobos à s’adonner à des activités sociales bénéfiques comme la toilette et le jeu.
« C’était exactement le contraire de ce à quoi nous nous attendions », confie Sean Lee. Les découvertes montrent que « les mères chimpanzés ont tout de même besoin de ces interactions sociales et de ces moments en société. »
UN DEUIL COMMUN
Les recherches sur les chimpanzés en captivité peuvent aussi nous renseigner sur le comportement de leurs congénères qui vivent à l’état sauvage.
Moni, qui vit au zoo néerlandais de Royal Burger, mise à l’écart de son groupe, avait du mal à s’identifier aux quatorze autres chimpanzés de son enclos, et se contentait de fixer du regard ceux qu’elle voulait toiletter ou allait jusqu’à leur tirer les poils.
« Elle ne savait pas vraiment comment être un chimpanzé », se rappelle Zoë Goldsborough, doctorante à l’Université d’Utrecht ayant passé des mois à observer Moni et sa communauté.
Un matin, Zoë Goldsborough et sa collègue, Kayla Kolff, ont découvert un bébé mort-né dans l’enclos, et se sont rendu compte que Moni était restée seule en partie parce qu’elle attendait un petit.
Son groupe était étrangement calme ce jour-là. Au lieu d’éviter Moni comme d’ordinaire, les chimpanzés se sont assis à côté d’elle, l’embrassant et lui tendant le doigt pour qu’elle le tienne ou le mette dans sa bouche.
Les chercheurs savaient déjà avec quasi-certitude que les chimpanzés pouvaient faire le deuil de leurs proches, mais le cas de Moni est potentiellement la première preuve documentée que les chimpanzés, du moins ceux vivant en captivité, consolent un congénère ayant subi la mort d’un proche, explique Zoë Goldsborough, autrice principale d’une récente étude portant sur ce comportement.
Bien que le témoignage d’affection envers Moni n’ait duré que quelques heures, la perte de son petit l’a vraisemblablement aidée à prendre sa place dans sa communauté : elle occupe désormais un rang intermédiaire dans la hiérarchie du groupe et a même quelques partenaires de toilette.
On considérait sérieusement qu’avoir conscience de sa propre mort était ce qui « différenciait les êtres humains des animaux », rappelle Zoë Goldsborough, mais les recherches prouvent que les chimpanzés ressentent une douleur intense après la mort d’un proche ; une des nombreuses émotions que nos cousins les grands singes et nous avons en commun.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.