Les organes génitaux de lézards, nouvelle cible des braconniers

Dans des boutiques en Inde et sur Internet, des pénis séchés de varans mâles sont vendus et présentés comme des racines végétales aux propriétés magiques.

De Jani Actman
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Quatre espèces de varans existent en Inde, dont le varan du Bengale, représenté ci-dessus.
PHOTOGRAPHIE DE Joël Sartore, National Geographic Photo Ark

Jose Louies, enquêteur spécialisé dans les massacres d'espèces sauvages, affirme qu'il n'aurait jamais pensé passer son temps à mettre la main sur des pénis de lézards. C'est pourtant ce qu'il a dû faire le 22 juin. Accompagné d'un de ses collègues, il a pénétré dans une boutique tantrique à Noida, une ville du Nord de l'Inde, se faisant passer pour un potentiel acheteur d'organes génitaux de reptiles.

Louies est responsable de l'unité criminelle de l'organisme dédié à la protection des animaux Wildlife Trust of India. Il réalisait une opération d'infiltration visant le propriétaire du magasin Acharya Kalki Krishna. Ancien agent des douanes devenu mafieux, Acharya Kalki Krishna était suspecté d'orchestrer la vente ambulante d'organes génitaux de lézards.

Une fois prévenue, la police a fait une descente dans le magasin et a arrêté le propriétaire pour trafic illégal d'espèces sauvages.

Ce coup de filet est le dernier en date d'une série d'arrestations réalisées par les forces de l'ordre indiennes, ayant pour but de mettre un terme à une pratique de plus en plus répandue. Celle-ci concerne la vente, non pas de cornes ou de défenses, mais d'hémipénis (organe sexuel en deux parties) des varans.

Les lézards, qui permettent la régulation des populations d'insectes et de rongeurs, sont protégés par la loi indienne et par un traité international qui interdit tout commerce considéré comme une menace à la survie d'un animal. Bien que les quatre espèces de varans que compte l'Inde ne soient pas encore considérées comme des espèces menacées, cette nouvelle menace préoccupe les défenseurs de la cause animale. Les lézards sont déjà victimes du braconnage pour leur viande et leur peau, utilisée dans la fabrication artisanale de tambours et de sandales.

Selon Jose Louies, afin de susciter l'intérêt pour cette marchandise unique, les vendeurs ont élaboré une stratégie reposant sur la superstition de leurs clients. Ce stratagème consiste à faire sécher les pénis et à les commercialiser non pas comme des organes génitaux de reptiles mais comme des racines de plantes aux propriétés magiques.

« Ils prétendent qu'elles portent chance, qu'elles peuvent vous sortir de démêlés judiciaires », explique Jose Louies. 

Afin d'accroître encore l'attractivité pour le produit, certains affirment que la racine proviendrait de plantes rares trouvées dans des lieux sacrés, tels que le village de Lumbini au Népal, lieu de naissance du Bouddha, ou sur les collines d'Amarkantak, au centre de l'Inde.

Or l'inspection par les experts et les résultats des analyses de laboratoire des « hatha jodi » saisis indiquent une toute autre histoire.

 

« NOUS N'EN CROYIONS PAS NOS YEUX »

Le commerce d'organes génitaux est apparu pour la première fois dans le radar de Jose Louies en 2016, après qu'un informateur lui a rapporté un échantillon et l'a alerté sur le massacre de varans par des braconniers dans le cadre d'une escroquerie lucrative.

L'homme lui a indiqué avoir été témoin de scènes où les braconniers frappaient à mort des lézards mâles avec une massue, les incisaient afin d'en sortir leur hémipénis de cinq centimètres (protégé par une poche en dehors de la phase de reproduction) qu'ils coupaient à l'aide d'une lame tranchante. Les organes sont ensuite séchés au soleil et vendus comme racines végétales en Inde et à l'étranger.

Dans des boutiques en Inde et sur Internet, des pénis séchés de varans mâles sont vendus ...
Dans des boutiques en Inde et sur Internet, des pénis séchés de varans mâles sont vendus et présentés comme des racines végétales aux propriétés magiques.
PHOTOGRAPHIE DE Jose Louies, IFAW-WTI

« Nous n'en croyions pas nos yeux », affirme Jose Louies. « J'ai entendu parler du pénis de tigre mais c'est une espèce charismatique. On parle d'un fichu lézard, là ! »

Il n'était pas au bout de ses surprises : une rapide recherche sur Google des mots-clefs « hatha jodi » ont donné plus d'une centaine d'annonces pour le produit, dont les prix variaient entre 5 $ et 70 $ sur des sites d'e-commerce comme Amazon, Snapdeal, eBay et Alibaba.

Neil D'Cruze, conseiller mondial spécialiste de la faune pour l'organisation World Animal Protection basée au Royaume-Uni, a découvert l'existence de ce commerce à la même période que l'enquêteur. Il a fait ses propres recherches en Inde et en ligne.

« En me rendant dans les boutiques de Delhi et en voyant les articles de mes propres yeux, il ne faisait plus aucun doute qu'il s'agissait de varans », affirme Neil D'Cruze, qui s'est spécialisé en herpétologie lors de son doctorat à l'université Oxford Brookes, en Angleterre.

Les défenseurs de la cause animale et les agents de police ont alors lancé une enquête à grande échelle sur ce commerce. En civil, ils sont allés parler aux commerçants qui leur ont vanté les vertus de leurs marchandises et soufflé des astuces visant à « stimuler leur énergie », comme en les trempant dans du lait au miel ou en entonnant des chants.

D'après Jose Louies, si l'on trouve cette racine de plante imaginaire dans des magasins tantriques en Inde, la majorité de ce commerce se fait en ligne. Ces dernières années, la demande mondiale a augmenté suite à l'explosion des sites de commerce en ligne.

« Il s'agit d'un commerce national qui déploie désormais ses tentacules bien au-delà des frontières indiennes et qui vise principalement les communautés expatriées situées en Europe, aux États-Unis ou au Canada », explique Neil D'Cruze.

 

METTRE FIN À CE COMMERCE

Le premier coup de filet a eu lieu en mai, lorsque la police a saisi plusieurs « hatha jodi » dans une boutique de Hyderabad. Elle a alors envoyé près de 30 échantillons au Centre de biologie cellulaire et moléculaire du pays afin qu'une analyse génétique soit réalisée. Les résultats ont révélé qu'il s'agissait de pénis de varans.

Selon Jose Louies, les policiers ont depuis procédé à 10 à 15 arrestations. Au cours de l'une d'elles, à Bhubaneshwar, 210 « hatha jodi » ont été confisqués.

« Nous avons voulu prendre les commerçants par surprise. L'idée était de les prendre en flagrant délit au moment où ils s'y attendaient le moins », explique Jose Louies.

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    PHOTOGRAPHIE DE Sakchai Lalit, Ap

    Il semblerait que le commerce soit entravé par la répression. D'après l'herpétologiste, les sites de commerce en ligne Alibaba et eBay ont retiré de la vente les articles « hatha jodi ». Cependant, les sites américain et canadien d'Amazon les proposent toujours.

    « Amazon n'autorise pas la vente d'articles illégaux. Une enquête est en cours », a déclaré un porte-parole de l'entreprise à National Geographic.

    Jose Louies a mis en place une alerte sur son ordinateur afin qu'il soit informé dès qu'un nouvel article de ce type est publié en ligne et prévoit de créer un site web pour informer le public sur la véritable nature du produit.

    Si lui et d'autres ont découvert le marché noir autour des pénis de lézards au cours de cette dernière année, une zone d'ombre reste à éclaircir. « À l'heure actuelle, nous n'avons absolument aucune idée de l'identité des personnes à l'origine de ce projet impliquant le braconnage illégal de milliers de varans », confesse Neil D'Cruze.

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