On connaît enfin les techniques des orques pour chasser le requin-baleine

Des images inédites révèlent comment les orques s’y prennent pour terrasser des requins-baleines, la plus grande espèce de poissons vivante.

De Brianna Randall
Publication 1 déc. 2024, 10:09 CET
En mai, des chercheurs ont filmé des orques en train de chasser des requins-baleines avec un ...

En mai, des chercheurs ont filmé des orques en train de chasser des requins-baleines avec un détail inédit. On voit ici l’épilogue de cette partie de chasse : une orque nage avec de la chair de requin en bouche.

PHOTOGRAPHIE DE Kelsey Williamson

Pour la première fois, des scientifiques ont obtenu des preuves vidéo que les orques coopèrent pour chasser les requins-baleines, la plus grande espèce de poissons sur Terre. Ces images crues prouvent que les requins sont une composante banale du régime alimentaire des orques et révèlent enfin comment ces dernières parviennent à tuer ces poissons gigantesques.

Le 26 mai, Kathryn Ayres, écologue spécialiste des requins, était en train d’accompagner un groupe de touristes lors d’un safari océanique près de La Paz, au Mexique, quand elle a aperçu un banc d’orques en train de nager en cercles. « Je savais qu’un pauvre animal était dans la tourmente, raconte-t-elle. Elles aiment jouer avec leur nourriture. »

Avec la photographe Kelsey Williamson, Kathryn Ayres a plongé dans l’eau avec son appareil photo juste à temps pour pouvoir immortaliser cinq orques en train d’attaquer un jeune requin-baleine de 4,80 mètres de long. Leur vidéo, publiée le 29 novembre dans la revue Frontiers in Marin Science montre ce comportement de manière plus détaillée que jamais auparavant.

Jusqu’à présent, seul un autre rapport scientifique avait documenté un cas d’orques se repaissant d’un requin-baleine, au Mexique toujours, mais plus au sud, une scène que des pêcheurs sportifs avaient prise en vidéo sans toutefois immortaliser cette séquence de prédation dans son entièreté. Grâce aux images tournées par Kathryn Ayres au printemps, la nouvelle étude inclut des photos et des vidéos documentant trois autres cas d’orques harcelant ces poissons gigantesques dans le golfe de Californie, au Mexique. Le premier cas, qui date de 2018, a été filmé par un groupe de touristes sur le point de plonger avec des lions de mer sur une île rocheuse au nord de La Paz. (Ils sont restés sur leur bateau lorsque l’attaque a commencé). Les deuxième et troisième cas ont également été documentés par des touristes, en 2021 et en 2023.

Désormais, grâce à toutes ces photos et vidéos probantes, les scientifiques sont en mesure de décrire de manière exhaustive comment les orques mettent à mort ces proies énormes.

 

COMMENT LES ORQUES UNISSENT LEUR FORCES

D’abord, les orques percutent à plusieurs reprises un requin-baleine nageant lentement pour l’assommer. Quand le poisson perd l’équilibre, les orques unissent leurs forces pour le retourner et exposer son ventre vulnérable. « On a entendu le craquement du coup fatal [qui a neutralisé le requin] », se souvient Kathryn Ayres. Ensuite, les orques arrachent les nageoires pelviennes du requin-baleine, ce qui provoque une hémorragie mortelle. Puis elles dévorent les organes du poisson, y compris son immense foie. C’est à la fois macabre et efficace. Même des oiseaux ont profité de cette curée et ont plongé pour aller dérober des morceaux de viande. « Il pleuvait du requin-baleine », raconte Kathryn Ayres.

Des orques tendent un piège à un baleineau
Ces prédateurs prennent en embuscade un baleineau à bosses, le séparant de la mère pour le manger sans oublier de se garder quelques morceaux en réserve.

Une orque répondant au nom de Moctezuma, aperçue pour la première fois en 1992, a participé à trois de ces quatre cas de prédation. Ce mâle est peut-être le fils de l’une des matriarches du banc et tient peut-être ses techniques de chasse d’elle. Souvent se joignent à lui quatre ou cinq femelles ou jeunes orques qui, dans un cas, ont initié une attaque sans lui.

Les orques de groupe, surnommé « banc de Moctezuma », semblent se spécialiser dans la chasse aux poissons cartilagineux. Elles s’en prennent également aux raies pastenagues, aux raies du diable pygmées (Mobula munkiana) et aux requins-bouledogues (Carcharhinus leucas) au large de la Basse-Californie du Sud. (Le nom Moctezuma vient de celui d’un célèbre empereur aztèque. Les femelles du groupe ont également reçu des noms aztèques, comme Quetzali, Niich ou Waay, prénom qui signifie « sorcière » en maya et qui vient de sa nageoire dorsale en forme de chapeau pointu).

Le penchant de ce banc pour les requins-baleines est peut-être unique en son genre. « Je n’ai jamais entendu parler de requins-baleines ciblés par des orques où que ce soit dans le monde », s’étonne Simon Pierce, spécialiste de la conservation des requins-baleines et directeur exécutif de la Fondation pour la mégafaune marine qui n’a pas pris part à la présente étude. « Mais j’imagine mal un requin-baleine avoir la moindre chance de s’en sortir si un groupe d’orques décide de s’en prendre à lui. » 

 

LES REQUINS-BALEINES SE REBIFFENT

Le golfe de Californie est connu pour être un repaire de requins-baleines et, en particulier, de spécimens juvéniles qui se rassemblent pour se nourrir dans la baie de La Paz chaque automne et jusqu’au printemps. Ces requins plus jeunes « peuvent faire preuve de naïveté par rapport à ce genre de prédateurs », explique Simon Pierce. Et c’est peut-être précisément pour cela que les orques les ciblent. Les quatre attaques documentées se sont toutes produites en avril ou en mai, à la période où les requins-baleines délaissent le cadre protégé de la baie pour migrer vers le sud.

Les requins-baleines sont de gentils géants, ils se nourrissent exclusivement de plancton minuscule qu’ils aspirent avec leur bouche de 90 centimètres de large. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils se laissent facilement tuer. Les adultes peuvent atteindre une taille de 18 mètres, soit la longueur d’une piste de bowling. Même les jeunes spécimens sont déjà plus grands que des prédateurs tels que le grand requin blanc (Carcharodon carcharias) ou le requin-tigre (Galeocerdo cuvier). Quand les requins-baleines dépassent les 4,50 mètres, « je pense que seuls les orques peuvent les attaquer », déclare Francesca Pancaldi, biologiste marine et co-autrice de la nouvelle étude.

Leur peau, en particulier celle du dos, qui est trop dure pour être transpercée par les dents des prédateurs, compte parmi les plus épaisses du règne animal. Quand il est menacé, un requin-baleine tourne le dos au prédateur. Mais cette défense ne fonctionne qu’en présence d’un seul assaillant, et non face à un banc entier.

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    Dix-huit orques coopèrent pour attaquer deux baleines à bosse

    Selon Simon Pierce, un requin-baleine peut également « plonger en piqué » pour échapper aux menaces et se laisser couler à des profondeurs pouvant dépasser 1 800 mètres. Pour contrer cette défense, les orques du groupe de Moctezuma percutent et frappent un requin-baleine à plusieurs reprises pour le faire remonter vers la surface durant leur attaque. Cela permet aux orques de respirer durant l’assaut et d’empêcher le requin-baleine de s’échapper dans les profondeurs.

     

    UN HAUT-LIEU DE LA CHASSE AU REQUIN-BALEINE

    L’une des raisons pour lesquelles les étonnantes parties de chasse sous-marines du groupe de Moctezuma ont pu être documentées est le nombre de touristes qui affluent en Basse-Californie pour nager avec les requins, les baleines et d’autres animaux marins charismatiques. Au fil des années, pêcheurs de la région et guides touristiques ont envoyé des vidéos et des photos à Erick Higuera, biologiste marin et photographe sous-marin, lui aussi co-auteur de l’étude. Il étudie les orques qui se nourrissent de requins et de raies en Basse-Californie depuis 2008.

    Après avoir vu les images de la première attaque, Erick Higuera et Francesca Pancaldi ont formulé l’hypothèse que les orques ciblaient la zone pelvienne vulnérable des requins. Mais puisque les premiers cas documentés ne montraient pas de séquences de chasse dans leur entièreté, ils ne pouvaient pas affirmer avec certitude que les orques ciblaient bien ce point faible… jusqu’à ce que Kathryn Ayres et Kelsey Williamson soient assez chanceuses pour arriver à filmer une attaque et à « enfin compléter le puzzle », ainsi que le formule Erick Higuera.

    Maintenant que l’on sait où regarder, on commence à observe davantage d’affrontements entre orques et requins-baleines. Il y a quelques semaines à peine, des touristes et des guides ont aperçu le banc de Moctezuma s’en prendre à un jeune requin-baleine deux jours de suite.

    Si presque tous les requins-baleines évoluant près de La Paz sont de jeunes spécimens, selon Francesca Pancaldi, « les orques sont assez intelligentes pour abattre un grand requin-baleine aussi », comme les spécimens adultes de neuf mètres qu’elle a vus plus au nord dans le golfe de Californie.

    Personne n’a pour le moment vu d’orque tuer un requin-baleine adulte. Tuer un adulte pleinement développé, voilà qui donnerait lieu à « une bataille épique », selon Erick Higuera. Et cela nécessiterait la collaboration de plusieurs orques. Mais puisque les orques peuvent tuer une baleine bleue (Balænoptera musculus), on peut raisonnablement penser que le prédateur ultime des océans peut s’en prendre au plus grand poisson du monde également.

    « Il nous faudra le prouver », reconnaît Erick Higuera. Et donc attendre que soient tournées de nouvelles vidéos par des personnes se trouvant au bon endroit au bon moment. 

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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