En Inde, l'insémination artificielle au secours d'un oiseau rare
L'outarde à tête noire est toujours en danger critique d'extinction, mais le gouvernement indien a trouvé une astuce qui permet à l'espèce de se reproduire en captivité.
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Arambh est un oisillon outarde à tête noire mâle, photographié ci-dessus cinq jours après sa naissance suite à une insémination artificielle au Wildlife Institute of India.
Du haut de ses trois mois, avec son bec affûté, ses pattes élancées et son plumage noir et crème, Arambh est une outarde à tête noire comme une autre. Pourtant, celui dont le nom signifie « commencement » en hindou est bien un oisillon spécial : le premier de son espèce né grâce à l'insémination artificielle dans le cadre d'un programme lancé il y a plus de dix ans pour sauver cette espèce de l'extinction.
Autrefois, les prairies et les broussailles semi-arides du sous-continent indien étaient constellées de ces oiseaux à l'emblématique couronne noire et aux grandes ailes couleur sable. Avec son mètre de hauteur et un poids frôlant les douze kilogrammes chez les mâles, l'outarde à tête noire était l'une des espèces prétendantes au titre d'oiseau national de l'Inde, finalement attribué au paon indien en 1963.
Malheureusement, après les décennies de chasse incontrôlée, les électrocutions infligées par les lignes à haute tension, le braconnage des œufs et la perte d'habitat, la population d'outarde à tête noire a chuté de 82 % en 47 ans, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Lorsque l'UICN a déclaré l'espèce en danger critique d'extinction en 2011, il ne restait plus que 250 individus, c'est pourquoi le groupe avait alors appelé à une « accélération urgente des mesures de conservation ciblées » avant qu'il ne soit tard.
En réponse à cet appel, le gouvernement de l'État du Rajasthan lance le Project Great Indian Bustard en 2013, qui a permis d'accroître la population à 195 individus au cours des dix dernières années. Environ 150 d'entre eux vivent à l'état sauvage, la plupart dans le désert du Thar au nord-est de l'Inde, et 45 vivent dans des centres de reproduction du Rajasthan, notamment Toni et Suda qui ont donné naissance à Arambh en octobre 2024.
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Arambh sort de son œuf après 22 jours d'incubation.
Arambh a rapidement grandi. Le voilà âgé de 3 mois.
« L'une de nos premières mesures de restauration de l'espèce consistait à recueillir les œufs pondus dans la nature pour les faire éclore en couveuse afin de créer une population fondatrice pour la reproduction en captivité », qu'elle soit naturelle ou par insémination artificielle, nous explique Sutirtha Dutta, directeur scientifique du Wildlife Institute of India, l'agence gouvernementale responsable du plan de conservation.
D'après Dutta, le taux d'éclosion en captivité atteint les 95 %, avec une population fondatrice viable composée de 20 mâles et 25 femelles. À terme, l'objectif des scientifiques est de procéder à la remise en liberté des individus nés en captivité.
« L'émergence de l'intelligence artificielle nous offre un outil de reproduction supplémentaire, non seulement pour engendrer davantage d'oisillons, mais aussi pour améliorer leur diversité génétique en sélectionnant des individus d'ascendance différente », ajoute-t-il.
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La mère d'Arambh, Tony, a fait l'objet d'une insémination artificielle dans le cadre d'un programme visant à sauver l'espèce.
FEMELLES ARTIFICIELLES
La technique de l'insémination artificielle est utilisée pour enrichir les populations de nombreuses espèces menacées, notamment l'outarde houbara aux Émirats arabes unis. Après avoir supervisé la reproduction d'un grand nombre d'outardes houbara, l'International Fund for Houbara Conservation d'Abu Dhabi partage désormais son expérience en insémination artificielle avec l'équipe du programme de conservation des outardes à tête noire indiennes.
La technique en question se heurte à un problème de taille : comment recueillir le sperme du mâle ? Le transport d'un oiseau d'un centre de reproduction à l'autre pour le placer dans un enclos en compagnie d'une femelle serait une expérience stressante et empêcherait le mâle de procéder à sa traditionnelle parade nuptiale, indique Tushna Karkaria, scientifique et vétérinaire pour le Project Great Indian Bustard.
Une solution prometteuse est d'entraîner les oiseaux mâles à se reproduire avec un mannequin en bois aux allures de femelle outarde accroupie, garnie de mousse et de tissu. Lorsque le mâle entame sa parade nuptiale, il est placé face au mannequin dont le cou est articulé et bouge comme celui d'une femelle en réponse aux avances de son prétendant.
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Une spécialiste du Wildlife Institute of India entraîne le père d'Arambh, Suda, avec une femelle outarde en bois.
Le père d'Arambh, Suda, « a passé une ou deux journées à tourner autour du mannequin après leur rencontre avant de commencer à piquer sa tête en signe d'affection », raconte sa formatrice, Nikhila Purohit. À l'heure actuelle, neuf outardes mâles s'entraînent avec ces mannequins, ajoute-t-elle.
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Au centre de reproduction, ce mâle s'apprête à se reproduire. Derrière son pelage blanc, le sac gulaire de l'animal se gonfle pour produire un bruit de battement destiné à attirer les femelles.
« Cette technique est particulièrement efficace pour éviter la consanguinité au sein de la petite population » des centres de reproduction en captivité, indique Asad Rahmani, ornithologue et ancien directeur de la Bombay Natural History Society, non impliqué dans le projet.
Des équipements de cryoconservation permettant de stocker le sperme congelé pourraient également être utiles, ajoute-t-il, car ils offrent aux scientifiques plus de flexibilité pour inséminer la femelle quand elle est la plus réceptive.
NOUVEL ESPOIR
Le succès de l'insémination artificielle et de la technique du mannequin dépend fortement de la capacité des oiseaux à suivre les instructions de leur formateur humain.
C'est pourquoi les instructeurs autorisent les oiseaux à s'attacher à eux dès la naissance en créant du lien à travers le jeu et le toucher, c'est le processus d'empreinte ou d'imprégnation.
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Deux oiseaux jouent avec leur instructrice pour créer un lien.
« Ils apprennent à nous accepter comme leur mère, comme un membre de leur espèce, et suivent donc nos instructions », explique Anjali Nagar, qui travaille avec les oisillons depuis l'ouverture des centres de reproduction en 2019.
D'un autre côté, les oiseaux destinés à retrouver la liberté ne suivent pas ce processus d'imprégnation : ils vivent dans de grandes volières avec des volets qui les empêchent de voir les humains. Entre trois et six mois, les individus juvéniles sont équipés de traceurs puis relâchés dans leur habitat naturel au Rajasthan. (À lire : Pourquoi les oiseaux sont indispensables à notre survie)
Pour soutenir les efforts de conservation, le Rajasthan Forest Department protège désormais l'habitat de l'espèce dans le parc national de Desert et sur la base militaire de Pokhran, indique Ashish Vyas, conservateur adjoint au sein du département des forêts. Sur ces deux territoires, le département a réservé à l'accueil des outardes à tête noire plus de 180 kilomètres carrés de prairies protégées, dont une partie clôturée pour empêcher les chiens sauvages, les sangliers et autres prédateurs de pénétrer dans le sanctuaire pour dévorer les œufs des outardes.
« Nous avons désormais bon espoir de sauver cette espèce emblématique de l'extinction », se réjouit Vyas.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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