Que font les oiseaux quand ils volent en nuée ?

Durant des siècles, les chercheurs se sont demandé comment les étourneaux formaient ces magnifiques nuages multiformes lors de leurs vols. Et ils commencent à percer ce mystère.

De Ed Yong
Photographies de Søren Solkær
Publication 7 mars 2025, 17:49 CET
Un regroupement d’étourneaux volant au-dessus de la basilique St. Pierre, à Rome.

Un regroupement d’étourneaux volant au-dessus de la basilique St. Pierre, à Rome.

PHOTOGRAPHIE DE Søren Solkær

Les soirs d’hiver, une heure avant le coucher du soleil et à travers une grande partie de l’Europe et de l’Amérique du Nord, des milliers d’étourneaux prennent leur envol. Avant de redescendre vers leurs perchoirs pour la nuit, les oiseaux offrent un des plus beaux spectacles de la nature. Ils vibrent, pulsent et virevoltent comme s’ils ne faisaient qu’un. Une créature changeant constamment de forme avec la grâce délicate d’un pinceau de calligraphie et le chaos d’une flamme vacillante.

Comment autant d’oiseaux peuvent-ils être aussi coordonnés ? C’est une énigme que les chercheurs tentent de résoudre depuis plus d’un siècle. En 1931, l’ornithologue Edmund Selous a déclaré qu’un murmure d’étourneaux, qu’il décrivait comme « une danse folle dans le ciel », était la manifestation de leur télépathie. Les oiseaux « doivent penser de manière collective, tous en même temps », écrivait-il. Comme beaucoup d’autres, Edmund Selous partait du principe que les comportements complexes devaient avoir des origines tout aussi complexes. 

Cependant, dans les années 1980, les physiciens ont commencé à apporter les preuves du contraire. Ils ont créé des modèles informatiques dans lesquels des individus virtuels interagissaient selon des règles étonnamment simples, tout en se déplaçant comme ces nuées coordonnées. 

Ces simulations étaient convaincantes mais les chercheurs manquaient de données qui leur auraient permis de comparer leurs modèles aux événements réels. C’est en 2005 qu’une équipe de physiciens basés à Rome, menée par les époux Andrea Cavagna et Irene Giardina a fait une découverte. Pendant trois ans, durant de nombreuses soirées fraîches, ils se sont rendus sur le toit du Palazzo Massimo afin de photographier les murmures particulièrement impressionnants de Rome. En utilisant ces images, ils sont parvenus à une reconstitution 3D de la position de chaque individu, qui étaient parfois plus de 4 000.

Durant des siècles, les chercheurs se sont demandé comment les étourneaux formaient ces magnifiques nuages multiformes ...

Durant des siècles, les chercheurs se sont demandé comment les étourneaux formaient ces magnifiques nuages multiformes lors de leurs vols. Leurs découvertes continuent de les surprendre.

PHOTOGRAPHIE DE Søren Solkær

L’équipe a appris que, peu importe la taille d’un murmure, chaque étourneau n’interagit qu’avec sept de ses voisins. C’est le maximum que peut supporter le cerveau de l’oiseau. Ces voisins changent toutes les secondes mais les étourneaux ne s’occupent pas de ces alliances fluctuantes. Ils se contentent de voler dans la même direction que les sept oiseaux qui sont les plus proches, en restant près d’eux, mais pas trop. Alignement, attraction, esquive : en ajoutant ces trois règles dans un modèle informatique, en plus de quelques principes de base de l’aérodynamique, Charlotte Hemelrijk, de l’université de Groningen aux Pays-Bas, a créé un murmure virtuel qui ressemble à ce que l’on observe dans la nature, et qui correspondait aux données récoltées à Rome.

Cela a montré que les étourneaux n’ont besoin ni d’un plan aux complexités infernales, ni d’un chef, ni d’une quelconque forme de télépathie. Ils n’ont presque pas besoin de communiquer. Les murmures viennent des interactions les plus simples, qui ne se jouent que sur quelques mètres, pour dessiner des formes complexes à travers les cieux.

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    PHOTOGRAPHIE DE Søren Solkær

    Durant les vingt dernières années, les données collectées par l’équipe de Rome ont continué de révéler leurs lots de surprises. Lorsqu’un étourneau vire de bord, son nouvel alignement devrait influencer ses voisins, et leurs voisins, etc. On s’attendrait alors à ce que des erreurs surviennent et que les nouvelles indications se perdent, un peu comme le jeu du téléphone arabe. La réalité est différente : les erreurs ne sont pas magnifiées par les mouvements de l’oiseau, elles s’effacent. La nuée fait montre de ce que les physiciens appellent un système critique, un « téléphone arabe à la fin duquel l’information arrive sans déformation », selon Irene Giardina. Cela signifie que, peu importe la taille du spectacle aérien, le mouvement de chaque oiseau est influencé par celui de tous les autres. Si l’un tourne, ils tournent tous. Chaque étourneau ne prête attention qu’à sept autres de ses congénères, mais ses sens s’étendent à la nuée tout entière. Il peut réagir à des événements qui surviennent à des centaines d’oiseaux de distance. C’est pour cela que le murmure semble n’être qu’une seule entité : il se comporte comme tel.

    Portées par ces découvertes, l’ambition et la créativité des chercheurs de tenter de comprendre les détails qui font la particularité des murmures, sont allées croissant. Charlotte Hermlrij et ses collègues, parmi lesquels Rolf Storms et Marina Papadopoulou, mènent des recherches sur les manœuvres d’évasion des étourneaux, en lançant sur eux un drone aux allures de faucon pèlerin. « On ne peut pas aller sur le terrain et attendre l’attaque d’un prédateur, cela pourrait prendre un jour, comme deux mois », explique Marina Papadopoulou. « Le drone est la solution à nos problèmes. » En se servant des images du « faux-faucon », elle est en mesure de cataloguer les manœuvres, comme des expansions éclairs, lors desquelles la nuée s’éparpille ver l’extérieur, ou encore la vacuole, un vide qui se forme au sein du murmure. Elle tente de comprendre comment de tels schémas surviennent, en fonction du comportement au faucon, des précédentes formations de la nuée ou des actions individuelles des étourneaux.

    Les chercheurs tentent également de suivre les nuées sur de longues périodes. La collecte de données à Rome s’est faite grâce à des caméras qui ne photographiaient les étourneaux que lorsqu’ils passaient devant l’objectif. Comme le déplore Marina Papadopoulou, « le murmure pourrait être en train d’épeler votre nom mais vous ne récoltez pas de données car c’est en dehors du cadre de la caméra ». Les collègues d’Irene Giardina ont résolu ce problème en utilisant un réseau de caméras rotatives qui peuvent suivre les nuées. Les étourneaux sont à présent tout ce qu’il leur manque.

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    Durant des siècles, les chercheurs se sont demandé comment les étourneaux formaient ces magnifiques nuages multiformes lors de leurs vols. Leurs découvertes continuent de les surprendre.

    PHOTOGRAPHIE DE Søren Solkær

    « Malheureusement il y a de moins en moins de nuées », soupire Irene Giardina. « L’an dernier, c’était un désastre. » Elle ignore pourquoi la population d’étourneaux de Rome décline. La ville les considère comme des nuisibles et se sert de lumières éblouissantes et de cornes de brume pour les disperser. Les étourneaux ont cependant commencé à disparaître de leurs lieux de vie naturels. Les populations britanniques ont presque diminué de moitié au cours des soixante dernières années, tandis que les chiffres danois ont chuté de 60 %. Søren Solkær, qui a réalisé les clichés pour les besoins de cet article, confie : « Au cours des deux ou trois dernières années, j’ai eu beaucoup de mal à trouver de gros murmures ». Ce phénomène n’est pas propre aux étourneaux. Dans le même laps de temps, l’Europe et l’Amérique du Nord ont respectivement enregistré une perte de 550 millions et 2,9 milliards d’oiseaux. La perte de leurs habitats et l’activité humaine sont les principales causes de cette baisse de population. Les oiseaux les plus communs ont souffert de lourdes pertes sur les deux continents.

    Les conséquences de ce déclin sont illustrées par les étourneaux. Cela nous rappelle qu’une population ne doit pas se contenter d’exister et d’éviter l’extinction. Elle doit prospérer et regorger de vie. Pour que certains des plus beaux phénomènes naturels de la Terre puissent avoir lieu, les êtres vivants doivent agir de concert, et en grand nombre, qu’il s’agisse d’une nuée d’étourneaux ou du réseau neuronal de ses spectateurs. « Lorsque j’observe un murmure, confie Søren Solkær, le phénomène semble être le reflet de ce qui se produit en moi et illumine le lien que nous partageons avec la nature ».

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