Un diable noir des mers a été filmé vivant pour la première fois

Ce n’est que la seconde fois qu’un spécimen de baudroie abyssale de Johnson est observé vivant. « J’ai cru que c’était de l’IA », raconte l’ichtyologue Kory Evans.

De Jason Bittel
Publication 12 févr. 2025, 15:31 CET
La baudroie abyssale de Johnson (Melanocetus johnsonii) est un animal vivant dans les profondeurs de l’océan ...

La baudroie abyssale de Johnson (Melanocetus johnsonii) est un animal vivant dans les profondeurs de l’océan que l’on a rarement vu nager dans la nature. Son nom signifie « monstre noir des mers », mais malgré son apparence féroce, elle est « surtout molle et spongieuse », parole de spécialiste.

PHOTOGRAPHIE DE Marc Martin Sola

Le 26 janvier, une équipe de chercheurs des îles Canaries a vu une chose que personne sur Terre n’avait jamais documentée auparavant : une baudroie abyssale de Johnson (Melanocetus johnsonii) remontant doucement vers la surface de l’océan.

« C’est un rêve qui s’est réalisé », se réjouit David Jara Bogunyà, photographe marin travaillant avec l’ONG Condrik Tenerife. « Quand j’étais enfant, j’avais un livre avec des créatures des fonds marins et j’adorais les illustrations. Elles me paraissaient dingues. Les animaux n’avaient pas l’air réels. »

Et pourtant, pendant près d’une heure, David Jara Bogunyà et ses collègues, qui se trouvaient à bord du Glaucus, ont nagé avec cette baudroie et l’ont photographiée ; cette espèce habite généralement les profondeurs obscures de la colonne d’eau, entre 200 et 2 000 mètres de profondeur.

Les baudroies des abysses sont issues d’un genre dont le nom signifie « monstre noir des mers », un nom approprié quand on voit leurs mâchoires béantes, leurs crocs acérés et le leurre bioluminescent attaché à leur front dont elles se servent pour tromper leurs proies. Voilà qui est terrifiant… du moins si vous faites la taille de Nemo et Dory, car ces poissons ne mesurent que 15 centimètres de long.

Alors que la vidéo de la baudroie des abysses se propageait en ligne, les spécialistes se sont réjouis du caractère exceptionnel de cette observation.

« Quand j’ai vu la vidéo la première fois, je ne croyais sincèrement pas ce que je voyais », raconte Kory Evans, ichtyologue de l’Université Rice. « Je croyais que c’était de l’IA. »

« C’est un événement vraiment rare que de voir une créature des grands fonds comme ça près de la surface », explique Bruce Robison, scientifique de l’Institut de recherche de l’aquarium de la baie de Monterey.

Bruce Robison est bien placé pour le savoir. C’est lui qui a réalisé les seules autres images d’une baudroie des abysses vivante, un spécimen repéré en 2014 à une profondeur de 580 mètres par un véhicule sous-marin téléopéré, le Doc Ricketts, dans la baie de Monterey.

 

POURQUOI LA BAUDROIE DES ABYSSES S’EST-ELLE AVENTURÉE À LA SURFACE ?

Kory Evans dit avoir été impressionné par le fait que la baudroie soit non seulement intacte, mais qu’elle soit en plus en train de nager ; chose inattendue pour un animal adapté aux pressions extrêmes des profondeurs marines.

« Leur truc c’est de ne pas bouger, indique-t-il. Ce sont des prédateurs qui pratiquent la chasse à l’affût […] Ils attendent posés là, en se laissant flotter, donc voir [cette baudroie] faire quelque chose d’actif, c’est un peu choquant. »

« Ces poissons ont l’air féroce et redoutable, mais ils sont principalement mous et spongieux », ajoute-t-il.

S’il n’existe aucun moyen de savoir avec certitude comment ou pourquoi la baudroie des abysses s’est frayé un chemin jusqu’à la surface, il existe quelques scénarios probables.

« Je me creuse la tête pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé, et deux choses me viennent à l’esprit », indique Bruce Robison.

Il est possible que la baudroie ait mangé un poisson doté d’une vessie natatoire ou d’une glande à gaz et que l’expansion de ce gaz l’ait entraîné vers le haut de la colonne d’eau.

« C’est le genre de processus qui, une fois entamé, est difficile à contrôler », explique Bruce Robison.

Comme l’observation s’est produite au large des Canaries, une zone connue pour son activité volcanique, il est également possible que le poisson se soit trouvé piégé dans une colonne d’eau chaude ascendante engendrée par des fissures sous-marines.

Enfin, selon lui, la baudroie des abysses, qu’on surnomme diable noir, pourrait avoir été avalée ou prise au piège par un prédateur plus grand, comme un globicéphale, un phoque, un lion de mer ou même une méduse. Ensuite, le prédateur l’a soit recrachée ou bien la baudroie a réussi à s’échapper alors qu’elle se trouvait plus près de la surface.

 

CE QUE LA BAUDROIE DES ABYSSES PEUT NOUS RÉVÉLER SUR LES PROFONDEURS

Bien que le diable noir soit mort peu après que les images ont été prises, le voir vivant ne serait-ce que brièvement est une occasion hors normes.

« Ces animaux sont connus depuis très longtemps. On les capturait déjà dans des filets au 19e siècle, explique Bruce Robison. C’est simplement que tous les spécimens avec lesquels on pouvait travailler avant étaient des spécimens morts. »

Ces spécimens nous ont appris que les baudroies des abysses créent leur propre lumière grâce à leur relation symbiotique avec des bactéries bioluminescentes. Et beaucoup d’espèces de baudroies, quoique pas nécessairement celle-ci, se reproduisent de manière particulièrement étonnante : des mâles beaucoup plus petits, parfois plusieurs à la fois, amalgament leur corps à celui d’une femelle, qui extrait leur matériel génétique quand elle est prête à se reproduire.

Selon David Jara Bogunyà, l’héritage de cet animal va désormais perdurer, car lui et ses collègues ont prélevé son corps et l’ont remis au Musée de la nature et de l’homme de Tenerife.

Selon Kory Evans, toutes les baudroies ne vivent pas dans les profondeurs marines, mais nous ne cessons d’en apprendre sur ces animaux. Il a récemment publié une étude sur bioRxiv, serveur dédié aux pré-prints de recherches en biologie, détaillant comment les baudroies se sont diversifiées en colonisant des habitats des profondeurs marines ; une découverte qui a surpris.

« Les profondeurs ne sont pas un environnement accueillant, explique Kory Evans. Vous êtes soumis à des pressions écrasantes et il y a très peu de nourriture. »

Des moments tels que celui-ci devrait servir de rappel qu’il existe dans les profondeurs de l’océan tout un monde caché mais bien vivant auquel nous pensons rarement et que nous voyons peu.

« L’habitat des profondeurs marines est le plus vaste espace de vie sur Terre et il abrite la plupart des animaux qui vivent sur cette planète. Nous sommes des exceptions, rappelle Bruce Robison. Nous en savons si peu sur ce qui se trouve dans ces profondeurs. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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