Pourquoi certains animaux ont-ils des taches ?

Au cours de l’évolution, certains êtres vivants ont arboré des caractéristiques surprenantes. Parmi elles, les taches. Si elles sont indéniablement utiles, ont-elles également une fonction biologique ?

De Morgane Joulin
Publication 6 mai 2024, 09:44 CEST
Deux Guépards (Acinonyx jubatus) dans la savane du Zimbabwé.

Deux Guépards (Acinonyx jubatus) dans la savane du Zimbabwé.

PHOTOGRAPHIE DE Volkmar K. Wentzel

Si les zèbres ont des rayures et les guépards ont des taches, tous les animaux ne possèdent pas de motifs distinctifs. Alors, qu’est-ce qui explique qu’au fil de l’évolution, certaines espèces se sont pourvues de taches et d’autres non ?

D’abord, pour qu’une tache se forme, il faut « qu'un mécanisme de formation des taches ou rayures apparaisse, puis qu'il soit maintenu par sélection naturelle », comme l’explique Pierre Galipot, chercheur au laboratoire Écosystèmes, Biodiversité, Évolution du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN). En ce qui concerne le mécanisme de formation, qui « a bien souvent lieu au cours du développement embryonnaire des individus », il en existe sept familles différentes. Parmi elles, la famille des mécanismes dite de « Turing-like » « semble responsable de la majorité des exemples ». Le mécanisme a été documenté par le mathématicien et cryptologue Alan Turing, et décrit dans un article intitulé La base chimique de la morphogenèse. « Il propose un mécanisme simple, résultant de l'interaction de deux molécules capables d’interagir et diffuser. Ce mécanisme à l'échelle moléculaire est maintenant généralisé à des échelles plus grandes (comme l'échelle cellulaire) », résume Pierre Galipot, même si « mettre en évidence les mécanismes moléculaires et cellulaires de formations de ces motifs est en général extrêmement complexe et demande beaucoup d'années de recherche. » Néanmoins, cela a bien été démontré chez le poisson-zèbre (Danio rerio) et les fleurs de Mimulus, et c’est « en passe de l'être chez le chat domestique et quelques autres espèces. »

 

LE CAMOUFLAGE

Le camouflage est certainement l’une des principales raisons pour lesquelles les taches apparaissent. « Dans la majorité des cas, les espèces sauvages possèdent des taches ou autres motifs répétés, car ces derniers ont été sélectionnés (par sélection naturelle) au cours de l'évolution grâce aux fonctions biologiques qu'ils permettent d'assurer tel que le camouflage », enseigne en ce sens Pierre Galipot. 

Pour se camoufler, il y a différentes méthodes. Certains animaux cherchent à se confondre avec leur environnement naturel, comme le léopard (Panthera pardus), qui présente un pelage tacheté de rosettes. Selon William Allen, co-auteurs d’une étude de la Royal Society intitulée « Pourquoi le léopard a-t-il ses taches : relier le développement des modèles à l'écologie chez les félidés », ces taches complexes et irrégulières sont vraisemblablement un bon camouflage dans les forêts, où la lumière qui passe entre les feuilles des arbres produit un éclairage moucheté d’ombres aux contours imprécis. Il révèle dans un article du Temps que « c’est particulièrement vrai pour des félins qui passent beaucoup de temps dans les arbres avec une lumière faible, autrement dit les chasseurs nocturnes. » 

Pour d’autres animaux, le camouflage passe par le mimétisme, c’est-à-dire l’imitation d’une autre espèce. Le « mimétisme batésien » est l’un des plus répandus. Il consiste à « ressembler à une espèce venimeuse ou vénéneuse, ce qui décourage le prédateur. » Par exemple, la couleuvre faux-corail (Lampropeltis triangulum) imite par ses taches le serpent corail (Micrurus tener), qui lui est très venimeux. Chez les insectes, les syrphes (Episyrphus balteatus), une espèce de mouche, miment les motifs de ceux des guêpes pour induire les prédateurs en erreur.  

Le mimétisme peut même aller plus loin. « Certaines espèces ont la capacité de changer drastiquement et rapidement leurs motifs en fonction du contexte de camouflage, ce qui est le cas notamment des céphalopodes. » À ce titre, le spécialiste explique que la pieuvre mimétique (Thaumoctopus mimicus) en est un exemple probant. Elle est capable de changer de forme, de couleur et de mouvement pour échapper à ses prédateurs, ou pour berner ses proies. 

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    Enfin, pour certains animaux, le camouflage passe par l’imitation de leur environnement afin de ne pas se faire remarquer. Dès lors, « une grande partie des différences de motifs entre espèces peut être imputée au milieu environnant », souligne Pierre Galipot. « Au cours de l'évolution, des petites ou grandes variations du motif des individus ont pu être sélectionnées, notamment pour l'efficacité de camouflage qu'elles procuraient. Il en est de même pour les couleurs. »

     

    LA RECONNAISSANCE DU PARTENAIRE

    Les taches sont loin de ne porter qu’une seule fonction biologique unanime pour tous les animaux. Ainsi, pour certains, les taches et autres motifs répétés tels que les rayures peuvent servir « dans la reproduction dans les cas de sélection sexuelle », comme l’indique Pierre Galipot. « Dans ces cas, les motifs sont destinés aux individus de sexe opposé, ou encore aux individus de même sexe en cas de compétition, entre mâles par exemple. » Le paon bleu (Pavo cristatus), par exemple, ne cherche pas à se camoufler lorsqu’il dévoile ses ocelles emblématiques en position de roue, mais plutôt à se reproduire en séduisant une femelle. 

     

    LES MUTATIONS

    Selon le biologiste, les espèces ou les sous-populations « possèdent des taches par hasard des mutations, sans qu'une fonction particulière soit associée. C'est le cas de beaucoup d'espèces domestiques, on peut penser aux taches des vaches par exemple. » Les taches n’ont donc pas toujours une utilité biologique à proprement parler. 

     

    L’AVERTISSEMENT 

    Certaines espèces arborent des taches par aposématisme, c’est-à-dire pour prévenir leurs prédateurs qu’elles sont potentiellement toxiques. Parmi elles, la Dendrobate à tapirer (Dendrobates tinctorius) présente en forêt tropicale, qui sécrète un poison très toxique. En Europe, on peut aussi citer la Salamandre tachetée (Salamandra salamandra).

    Dendrobate à tapirer (Dendrobates tinctorius), surnommé « Azureus ».

    Dendrobate à tapirer (Dendrobates tinctorius), surnommé « Azureus ». 

    PHOTOGRAPHIE DE Domaine Public

     

    LA SÉLECTION HUMAINE

    Enfin, certains animaux ont encore des taches aujourd’hui, car leur aspect esthétique a fait qu’ils « ont été sélectionnés par sélection artificielle (= par l'Homme) simplement par considération esthétique. » Le biologiste le montre à travers l’exemple emblématique de la race de chiens du Dalmatien, ou encore de certains poissons rouges. 

    Les taches n’ont donc pas qu’une seule fonction commune à tous les animaux. Parfois, elles n’ont d’ailleurs pas de fonction du tout. Il est arrivé qu’au fil de l’évolution, certains animaux qui avaient autrefois des taches, les perdent. « On a de beaux exemples chez certains félins. Chez certaines espèces comme le lion, leur ancêtre possédait vraisemblablement des rayures ou des taches, et celles-ci ont "disparu" », enfin pas complètement, puisqu'« on peut encore apercevoir les taches qui n'ont pas complètement disparu, notamment chez les lionceaux », conclut Pierre Galipot.

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    Les taches n’ont pas complètement disparu chez les lions, comme on peut le voir sur ce lionceau de la réserve nationale Masai Mara au Kenya.

    PHOTOGRAPHIE DE National Geographic Channel

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