Pourquoi les grands chiens meurent-ils si jeunes ?

Les chiens de très grande taille, comme les dogues allemands, vivent rarement plus d’une dizaine d’années. Les scientifiques commencent à peine à comprendre pourquoi ils meurent si jeunes.

De RJ Mackenzie
Publication 17 sept. 2024, 18:54 CEST
Jusqu’à sa mort en 2023, Zeus, le dogue allemand de Brittany Davis, photographié ici sur un ...

Jusqu’à sa mort en 2023, Zeus, le dogue allemand de Brittany Davis, photographié ici sur un canapé à ses côtés, détenait le titre de chien le plus grand du monde selon le Guinness World Records. Les recherches montrent que les chiens de grande taille vivent moins longtemps et sont davantage sujets à des problèmes de santé tels que les cancers.

PHOTOGRAPHIE DE © Guinness World Records Limited

Brittany Davis avait toujours rêvé d’adopter un grand chien. Lorsqu’elle a ramené à la maison un dogue allemand âgé de huit semaines, son souhait est devenu réalité, et même plus encore. Elle a donné au chiot le nom de Zeus en référence au roi des dieux de la mythologie grecque. Il a grandi jusqu’à se voir attribuer le titre de chien le plus grand du monde et devenir ainsi une célébrité dans leur ville d’origine, Fort Worth, au Texas. « C’est le cadeau le plus grand et le plus cher que l’on m’ait offert », se rappelle Brittany Davis.

Zeus était gigantesque. Lorsque l’on regarde des photos de lui à sa taille adulte, allongé sur un canapé à côté de Brittany Davis, une seconde est nécessaire pour traiter l’information, comme s’il s’agissait d’une illusion d’optique provenant d’une chambre d’Ames déformant les proportions. À quatre pattes, il mesurait plus d’un mètre de haut. Sur ses pattes arrière, il faisait paraître Brittany Davis minuscule. Sans avoir conscience de sa taille imposante, Zeus tentait régulièrement de s’asseoir sur ses genoux. Une vidéo tournée par la famille lors d’une agréable journée à l’extérieur le montre essayant de prendre appui sur la tête de son fils.

Malheureusement, quatre ans seulement après avoir accueilli Zeus dans son foyer, la famille Davis dut lui faire ses adieux. Son corps de géant était usé ; il lui manquait une patte et il souffrait d’une pneumonie par aspiration. « Tout s’est passé tellement vite. À un moment donné, il allait bien, et l’instant d’après, ce n’était plus le cas », raconte Brittany Davis.

L’histoire de Zeus est déchirante pour toute personne aimant les animaux. Ces événements sont également trop répandus parmi les chiens de grande taille. Ceux-ci ont tendance à mourir plus jeunes ; les dogues allemands ne vivent en moyenne que huit à dix ans selon l’American Kennel Club, principale organisation à but non lucratif des États-Unis en matière de chiens. De nombreux facteurs ont une influence sur leur durée de vie. La taille en constitue un très important. Dans une étude réalisée en 2019 sur des chiens amenés dans des centres hospitaliers vétérinaires américains, la taille était meilleur prédicteur d’une courte durée de vie chez les chiens de compagnie que toute autre statistique. Les chercheurs ont depuis confirmé que le lien entre taille et durée de vie est valable quelle que soit la race.

 

TAILLE ET ESPÉRANCE DE VIE

Cette corrélation entre la taille et l’espérance de vie des chiens semble davantage étrange si l’on considère que, au regard des autres espèces, l’inverse est vrai.

« En général, les animaux de grande taille vivent plus longtemps [que] ceux de petite taille mais nous constatons le contraire avec les races de chiens », explique Bobbie Ditzler, vétérinaire au sein du Dog Aging Project de l’université de Washington, projet de recherche scientifique visant à définir, expliquer et améliorer les effets du vieillissement chez les chiens. Cela signifie qu’une plus grande taille ne réduit pas à elle seule l’espérance de vie d’un animal, autrement les baleines bleues mesurant près de 30 mètres vivraient aussi longtemps que des éphémères.

Le vétérinaire Silvan R. Urfer, qui travaille également sur le projet, indique que plusieurs théories concurrentes expliquent la courte durée de vie des grands chiens. Il écarte l’explication simpliste de la consanguinité. « Toutes les races de chiens modernes ont déjà un fort degré de consanguinité et il n’y a aucune raison de penser que les grands chiens sont d’une manière ou d’une autre [plus concernés par ça] que les petits », précise-t-il. Il attire également l’attention sur le fait que les chiens de grande taille issus de races croisées ne vivent, au maximum, que quelques mois de plus que ceux de race pure.

Une des théories se concentre autour de la croissance. Malgré leur taille gigantesque, les dogues allemands sont étonnamment petits lorsqu’ils sont chiots. « Les chiens ne sont pas si différents en termes de taille lorsqu’ils viennent de naître », affirme Silvan R. Urfer. Selon lui, entre toutes les races de chiens, il s’agit, au maximum, d’une différence du simple au double. Un terre-neuve de taille adulte vit entre neuf et dix ans et pèse jusqu’à 70 kilogrammes. Un chihuahua vit entre quatorze et seize ans et pèse moins de 3 kilogrammes, soit à peine plus qu’un paquet de farine. La croissance des chiens de grande taille est donc importante.

D’après Silvan R. Urfer, celle-ci constitue un réel fardeau pesant sur leurs cellules. Lorsque ces dernières se divisent, les télomères, segments d’ADN protecteurs situés à l’extrémité des chromosomes, raccourcissent et l’organisme produit davantage d’oxydants susceptibles d’endommager l’ADN. Pendant leur croissance, les grands chiens « accumulent des dommages au niveau de leurs cellules à chaque division, notamment l’attrition des télomères et des dommages oxydatifs ». Cette « usure » génétique fait qu’ils vieillissent plus vite que les petits chiens. Les recherches antérieures de Silvan R. Urfer ont montré que les chiens de grande taille développaient une cataracte liée à l’âge plus tôt. Cela augmente également leur risque de souffrir d’autres problèmes de santé.  

Zeus a été diagnostiqué d’un cancer des os au niveau de sa patte alors qu’il n’avait que trois ans. C’est un diagnostic que l’on retrouve chez de nombreux chiens de grande taille. Chez les chiens, « plus on est grand, plus on a de chances de mourir d’un cancer », résume Jack Da Silva, généticien à l’université d’Adélaïde. Cette tendance se retrouve chez les humains : les personnes plus grandes présentent un risque plus élevé de développer presque tous les types de cancer.

 

RÉFUTER LE PARADOXE DE PETO

Si l’on prend en compte les différentes espèces existant sur Terre, cette corrélation devient erronée. Celles de grande taille vivent non seulement plus longtemps, mais présentent également un risque plus faible de cancer. C’est ce que l’on appelle le paradoxe de Peto. Jack Da Silva émet l’hypothèse que ce paradoxe ne se vérifie que lorsque les animaux ont évolué de manière à s’adapter à un corps plus gros. « Il se pourrait que, les grandes races ayant été développées assez récemment, au cours des 200 dernières années, elles n’aient pas eu le temps d’évoluer de manière à disposer de meilleures défenses contre le cancer », avance-t-il. Le généticien cherche à savoir s’il existe un lien entre l’âge d’une race de chien et le risque de cancer. Ses recherches se sont toutefois heurtées au manque d’information génétique concernant les races de chiens anciennes, comme le basenji.

Silvan R. Urfer n’a pas la certitude que le risque accru de cancer constitue le seul facteur réduisant la durée de vie des chiens de grande taille. Une multitude de petites modifications génétiques sont à l’origine des variations de taille chez les chiens. Les altérations d’un facteur de croissance appelé IGF-1 sont responsables d’environ 15 % de ces modifications. Lorsque celui-ci est inhibé chez les souris, elles vivent plus longtemps. « Il est légitime de penser que sa surexpression chez les chiens de grande taille ait quelque chose à voir avec leur rythme de vieillissement plus rapide », déclare le vétérinaire.

Bobbie Ditzler souligne également que, indépendamment de ce qui rend les grands chiens malades, ceux-ci sont plus difficiles à soigner en raison de leur taille. Pour Brittany Davis, trouver un vétérinaire capable d’accueillir Zeus a été une véritable épreuve. « Presque personne n’avait encore soigné d’animal de sa taille. La plupart des [endroits] que nous avons trouvés étaient en fait conçus pour les chevaux, pas pour les chiens », relate-t-elle.

 

ÉLEVER DES CHIENS EN MEILLEURE SANTÉ

Selon Bobbie Ditzler, il est possible pour les personnes ayant adopté des grands chiens de prendre des mesures afin de minimiser les risques en matière de santé. Elle les invite à surveiller de près le poids de leur animal et préconise un traitement précoce pour tout problème de santé. « Les troubles articulaires sont très importants chez les races de grands chiens », avertit-elle. « Lorsqu’un chien de 90 kilogrammes ne peut pas se lever, la plupart des gens [ne parviennent pas à s’en occuper]. »

Elle estime également que des organisations telles que l’American Kennel Club devraient assouplir les standards de race pour les grands chiens afin de réduire leur taille. « En diversifiant le patrimoine génétique, nous pourrions peut-être éviter certaines de ces maladies », conclut-elle.

Lorsque le moment sera venu, Brittany Davis souhaite adopter un autre dogue allemand. « Le perdre, c’était comme perdre un membre de ma famille proche », déplore-t-elle. « Mais je me sens tellement chanceuse d’avoir pu l’aimer pendant ces trois ans et si heureuse de l’avoir partagé avec le monde entier. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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