Pourra-t-on encore voir des lucioles cet été ?
Les scientifiques soupçonnent de nombreuses espèces d’être en déclin. Mais de nombreuses questions restent en suspens et tout espoir n’est pas perdu.

D’après les spécialistes, un nombre « inquiétant » de lucioles sont menacées d’extinction. Ci-dessus, des lucioles scintillent dans la nuit dans l’État de New York.
Raphaël De Cock avait 9 ans le jour où il a attrapé sa première luciole, cet insecte lumineux qui avait suscité son intérêt tandis qu’il feuilletait les livres sur la nature de son grand-père. Alors qu’il explorait la campagne belge, il a soulevé une pierre et découvert un trésor : la larve d’un lampyre, une espèce de luciole répandue en Europe, en Afrique et en Asie.
Mais en retournant en courant à la maison de ses grands-parents, il a trébuché et perdu la créature dans l’herbe. L’insecte avait disparu. Quelques jours plus tard, alors qu’il se promenait par une nuit d’été humide, le garçon et sa grand-mère sont retournés à l’endroit où il avait perdu la luciole, où un magnifique spectacle les attendait : des centaines de petites lumières étaient en train de recréer un ciel étoilé sur Terre.

Des milliers de lucioles prennent leur envol un soir de pleine lune. Certaines populations de lucioles déclinent dans le monde alors que les scientifiques manquent encore de connaissances de base sur bon nombre d’espèces.
Cependant, lorsque Raphaël De Cock retourne sur ce lieu de son enfance, quelque chose manque : « Il n’y a plus [de lucioles], confie-t-il. Elles ont disparu avec la construction de maisons et de commerces ».
Désormais chercheur spécialiste des lucioles ayant fait sa thèse de doctorat sur les larves comme celle qu’il a trouvé enfant, Raphaël sait que de nombreuses personnes repensent avec nostalgie aux lucioles qu’elles avaient attrapées dans leur jeunesse. Fait intéressant, la plupart d’entre elles disent aussi observer moins de ces insectes chaque été. Un constat qui a une valeur scientifique selon les spécialistes, les espèces de lucioles étant en déclin dans le monde entier.


Des lucioles volent en nuée dans une forêt dans l’État de New York.
La pollution lumineuse et le changement climatique font partie des facteurs clés identifiés par les scientifiques et contribuant au déclin des populations de lucioles.
DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES LIMITÉES
Alors que l’on compte plus de 2 600 espèces de lucioles sur tous les continents (à l’exception de l’Antarctique), les scientifiques ont évalué l’état de conservation de seulement 150 d’entre elles (soit moins de 7%). Sur ces 150 espèces de lucioles, 20 % sont déjà menacées d’extinction, un chiffre inquiétant, selon Wan Faridah Akmal Jusoh, scientifique spécialiste des lucioles et vice-président du Groupe de spécialistes des lucioles de l'UICN.
Quelques rares espèces sont bien étudiées et les scientifiques savent que certaines d’entre elles sont en déclin dans le monde. Mais les chercheurs manquent toujours de connaissances de base sur la plupart des lucioles alors que de nouvelles espèces sont encore découvertes. « Nous connaissons seulement le nom d’espèce [de la plupart des lucioles] », observe Wan Faridah Akmal Jusoh. Et c’est souvent grâce aux spécimens collectés dans un musée. Que mangent la plupart des espèces ? Où et comment vivent-elles ? Ont-elles disparu ? La réponse à ces questions demeure un mystère.
Ce manque de connaissances constitue un problème de taille pour la conservation des espèces. « Pour pouvoir protéger les lucioles, nous devons créer un « profil » des espèces afin de mieux informer les décideurs politiques, souligne Wan Faridah Akmal Jusoh. Rares sont les personnes qui étudient leur comportement, leur écologie, comme ce qu’elles mangent et leur aire de répartition ».
Pour remédier à cette situation, les scientifiques du Groupe de spécialistes des lucioles ont commencé à étudier ces questions. Leur travail a officiellement débuté en 2018 et ils suivent des lucioles du monde entier, précise le vice-président du groupe. « Nous dressons actuellement la liste des espèces, tout en évaluant leur état de conservation ».

Des lucioles se rassemblent dans un champ dans l’État de New York. Elles apprécient tout particulièrement les endroits à proximité d’un ruisseau ou d’un fleuve.
LES LUCIOLES MENACÉES PAR DIVERS FACTEURS
Si l’état de conservation de certaines espèces est plus stable que d’autres, les scientifiques ont identifié des facteurs clés qui alimentent le déclin des lucioles, une tendance qui remonte probablement à quelques décennies. Les chercheurs reconnaissent cependant qu’il est difficile de savoir quand ce déclin a commencé, en raison du manque de données historiques, et ce même si les ensembles de données pour l’Asie du Sud-est et l’Europe sont plus importants que pour l’Amérique du Nord grâce à un suivi entamé une décennie plus tôt, explique Candace Fallon, responsable du programme pour les lucioles chez Xerces Society for Invertebrate Conservation.
Les scientifiques sont bien conscients que ces insectes sont confrontés à différents niveaux de menaces selon les régions, souligne Wan Faridah Akmal Jusoh, parmi lesquelles figurent la pollution lumineuse, la réduction de leur habitat, la surutilisation des pesticides et le tourisme non durable.
« La nuit, le ciel devient de plus en plus lumineux d’année en d’année », observe Candace Fallon. Selon elle, la pollution lumineuse « constitue une menace grandissante », car la plupart des lucioles « ont besoin de l’obscurité pour communiquer ». La lumière artificielle peut aussi avoir une incidence sur les parades nuptiales, tandis que les pesticides nuisent aux insectes à chaque étape de leur vie et réduisent leurs ressources alimentaires.
Le changement climatique est également pointé du doigt : les épisodes de sècheresse prolongée rendent certaines zones inhabitables pour les lucioles, et la montée des eaux ainsi que les tempêtes de plus en plus violentes peuvent affecter les espèces vivant dans les zones côtières en inondant et submergeant leur habitat.
En réalité, la réduction de l’habitat est une stratégie clé pour identifier les espèces de lucioles qui sont menacées, poursuit Candace Fallon. Si les chercheurs savent qu’une population de ces insectes vivait dans un espace sauvage désormais urbanisé, ils peuvent supposer que cette population est en déclin ou a disparu.

Des lucioles volent au-dessus des montagnes de Yamagata, au Japon. La pollution lumineuse engendrée par les villes est l’une des menaces qui pèsent sur la survie de ces insectes.
UNE LUEUR D’ESPOIR POUR LES LUCIOLES
Malgré les menaces croissantes qui pèsent sur les lucioles, de nombreux spécialistes ont bon espoir que nous continuons à les voir scintiller dans la nuit.
« Il y a toujours une lueur d’espoir dans les moments sombres, confie Raphaël De Cock. Mais nous devons agir vite selon moi ».
Aux États-Unis, la saison des lucioles s’étend généralement de la fin du printemps au début de l’été. Les chercheurs précisent toutefois que cela peut varier selon les espèces et les régions. Le parc national des Great Smoky Mountains, dans l’État du Tennessee, est un lieu d’observation si réputé qu’il faut gagner à la loterie pour y voir les lucioles début juin. Vous pourrez également observer ces insectes dans l’ensemble des États-Unis et du Canada, notamment à proximité des étangs, des ruisseaux, des rivières, des marécages et des lacs, voire dans votre jardin.
En Europe, la plupart des espèces de lucioles s’observent à partir de juin ou début juillet, indique Raphaël De Cock, mais cela varie aussi selon les espèces et les régions, ainsi que le changement climatique.
Pour continuer à en apercevoir, les scientifiques du monde entier poursuivre leurs efforts de conservation. Lancé en 2022, le Firefly Atlas (Atlas des lucioles en français) étudie les espèces présentes aux États-Unis et au Canada. Quant à l’UICN, elle met sur pied des évaluations mondiales qui seront réalisées aux États-Unis, en Europe et en Asie du Sud-est.
Mais nous avons tous un rôle à jouer dans la protection des lucioles, et cela commence par la fourniture d’un habitat confortable. Vous pouvez en recréer les conditions dans votre jardin en y laissant des débris de bois, par exemple, ou en réduisant la pollution lumineuse.
« Comparé à il y a 30 ans, nous sommes sur la bonne voie, estime Wan Faridah Akmal Jusoh. J’ai bon espoir pour l’avenir », conclut-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
