Près de 170 bouquetins menacés d’abattage dans le massif du Bargy

Un nouvel arrêté a été signé par le préfet de la Haute-Savoie, autorisant la capture et l’euthanasie des bouquetins atteints de brucellose.

De Margot Hinry
Publication 10 mai 2022, 10:46 CEST
Bouquetin du massif du Bargy.

Bouquetin du massif du Bargy.

PHOTOGRAPHIE DE Nicole Petitpierre

L’affaire des bouquetins (Capra ibex) du Bargy est remise sur la table. Un arrêté préfectoral donne l’autorisation d’abattre jusqu’à 170 bouquetins sur l’ensemble du massif, en s’attaquant en particulier aux « jeunes femelles ».

Cette nouvelle a massivement fait réagir les associations militantes et les environnementalistes, qui, depuis 2012, se battent pour protéger ces animaux, et notamment les non contaminés. Une pétition circule pour faire annuler le décret et un collectif d’associations a saisi la justice.

Bien qu’attaché à ce que les animaux protégés restent indemnes, les responsables d’associations et militants se mettent d’accord autour d’une autorisation d’abattage au chevet de l’animal lorsque ce dernier est contaminé par la brucellose. « Il y a un test, un contrôle in situ, qui est utilisé grâce à une goutte de sang. En 15 minutes, ils savent si l’animal est séropositif ou non. C’est un contrôle au chevet de l’animal. Les séronégatifs sont marqués avec des étiquettes aux oreilles et parfois, avec un collier gps pour les reconnaître et savoir qu’ils ont déjà été contrôlés. Les animaux séropositifs qui ont des anticorps brucelliques sont euthanasiés sur place par un vétérinaire » explique Jean-Pierre Crouzat, en charge du dossier pour France Nature Environnement depuis plus de 10 ans.

Le préfet en a décidé autrement, bien que la consultation publique réglementaire de vingt-et-un jours ait recueilli 84 % d’avis défavorables de citoyens. Durant les mois de mai et juin, les tirs sur les bouquetins seront autorisés dans le massif du Bargy, « en vue de la constitution d’un noyau sain ».

Pour comprendre cette décision radicale pour une espèce protégée et non-chassable, il faut selon Jean-Pierre Crouzat remonter jusqu’à 1999. « La France a été déclarée indemne de brucellose bovine en 2005 après un dernier cas en 1999. Avant cette année-là, il y avait des étables touchées par la brucellose, aussi appelée fièvre de Malte lorsque cela contamine un humain. Systématiquement, les troupeaux de bovins étaient abattus ». Un pays indemne de brucellose assure par voie de conséquence le commerce international et transnational de bovins et de lait. « Cela s’applique aussi à la filière du lait cru, si une exploitation bovine est touchée par la brucellose et qu’ils font du lait et des fromages au lait cru, alors toute la production doit être éliminée. Cela porte préjudice à la filière entière » précise Jean-Pierre Crouzat.

Bouquetin du massif du Bargy.

PHOTOGRAPHIE DE Jacques Clabaut

Contacté par National Geographic, Bernard Mogenet, le président de la Fédération Des Syndicats d'Exploitants Agricoles des Savoie (FDSEA), n'a pu nous répondre à temps pour la parution de cet article. Il avait fait savoir chez nos confrères de France Bleu qu’il cautionnait la décision d’abattage, tout en souhaitant renforcer le contrôle de l’évolution de cette bactérie. « Cet arrêté a le mérite d'exister. […] Maintenant il faut agir vite avant la montée en alpage ». Bernard Mogenet avait également précisé qu’il faudrait abattre les groupes d’animaux sains si un cas venait à être dépisté parmi eux.

 

PLUS DE 9 BOUQUETINS SAINS SUR 10

Aujourd’hui, l’humain peut être contaminé par la bactérie en ingérant des produits contaminés, tels que des fromages frais au lait cru. Un fromage affiné peut, au bout d’un certain temps, voir la bactérie détruite. Chez l’Homme, la fièvre de Malte se traduit par une fièvre cyclique, sérieuse mais pas mortelle, s’accompagnant d’une grande fatigue, de douleurs musculaires et pouvant provoquer des fausses-couches en cas de grossesse. Elle est soignée grâce à des antibiotiques.

« Les souches Brucella melitensis, celle des bovins, chamois et bouquetins sur le Bargy et les souches Brucella abortus, touchent les bovins mais également les ovins et les caprins ». Chez les bouquetins séropositifs, ainsi que l’ensemble de la famille des bovidés, la brucellose a trois conséquences. L’apparition d’une polyarthrite, ainsi qu’un gonflement des testicules invalidant chez les mâles, et des avortements spontanés chez les femelles. D'après les relevés scientifiques, l’injection d’un vaccin chez les animaux sauvages ne semble pas concluante. Trop peu habituée aux vaccins, cette faune développe des effets secondaires trop conséquents.

« Les tests ont montré que les moutons et les chèvres peuvent être traités avec le vaccin rev-1 » précise Jean-Pierre Crouzat. Il ajoute qu’à ce jour, il n’y a plus d’animaux symptomatiques sur le massif, ces derniers ayant été abattus il y a longtemps. « Les bouquetins sur le massif, ils pètent la santé ! Ils se reproduisent bien. […] D’où le fait que nous nous élevons contre un abattage indiscriminé qui, dans les années 2013 et 2015, a totalement détruit la hiérarchie sociale des bouquetins. […] On s’oppose à ce que des animaux emblématiques, protégés, vigoureux, soient abattus alors que l’on sait les capturer », bien que la capture soit plus contraignante qu’un abattage massif, reconnaît le porte-parole.

L’abattage est très controversé, comme il l’avait déjà été en 2013 et 2015. Bien que la fièvre de Malte représente un danger pour l’Homme et que la brucellose se transmette facilement à travers les fluides et les voies sexuelles notamment chez les femelles qui vivent groupées avec leurs petits, les associations valorisent un taux de prévalence très faible. « Depuis 2015, il y a eu des captures. Grâce à des échantillonnages et des statistiques, les scientifiques proposent une fourchette d’environ 4 % de séropositifs en zone cœur […] et environ 0 % en périphérie du massif du Bargy. Sur les 370, 400 bouquetins, il y a donc environ 1 bouquetin infecté pour 20 bouquetins sains » étaye Jean-Pierre Crouzat.

Ariane Ambrosini, du pôle juridique de l’organisme ASPAS, rejoint l’avis du Conseil de la protection de la nature et de l’ANSES en préconisant notamment des recherches plus approfondies sur les mesures « de biosécurité à mettre en œuvre », mais aussi sur le mode de contamination qui reste aujourd’hui très flou. La porte-parole de l’ONG de défense des animaux sauvages souhaite voir une « gestion adaptative » d’abattages sélectifs des animaux testés positifs. Ariane Ambrosini conclut en précisant que cela permettrait, selon les scientifiques « d’aboutir à l’extinction de la maladie au sein de la population sauvage. »

Le recours juridique pour faire annuler le décret aura lieu cette semaine.

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