Inédit : une orque observée en train de tuer un grand requin blanc à elle seule

Une orque déjà célèbre pour ses méthodes de chasse étonnantes a attaqué et tué à elle seule l’un des prédateurs les plus mortels du monde, un comportement inhabituel qui pourrait mettre en danger les populations locales de requins.

De Jessica Taylor Price
Publication 5 mars 2024, 16:34 CET
Starboard, l’un des deux orques mâles observés en train de chasser des grands requins blancs, nage ...

Starboard, l’un des deux orques mâles observés en train de chasser des grands requins blancs, nage dans les eaux de Mossel Bay en 2023.

PHOTOGRAPHIE DE Christiaan Stopforth

Une orque sud-africaine déjà célèbre pour sa méthode de chasse étonnante consistant à aspirer le foie des requins par une déchirure d’une précision chirurgicale semble avoir développé une toute nouvelle compétence : tuer à elle seule l’un des prédateurs les plus mortels du monde.

C’est la première fois que des scientifiques observent une orque en train de chasser et tuer un grand requin blanc en solitaire. L’individu en question, nommé Starboard, chasse généralement aux côtés de Port, une orque de sa famille, près du Cap, en Afrique du Sud.

Les nouvelles images, capturées dans les eaux de Mossel Bay en juin 2023, montrent Starboard en train de tuer un jeune grand requin blanc de plus de 2 mètres de long et de lui retirer son foie. Le tout seule et en moins de 2 minutes. L’orque mâle défile ensuite devant le bateau depuis lequel elle est filmée, le foie ensanglanté encore dans la gueule.

Un grand requin blanc tué par des orques gît sur la plage de Mossel Bay, le 18 août 2023. ...

Un grand requin blanc tué par des orques gît sur la plage de Mossel Bay, le 18 août 2023. Port et Starboard ne consomment que le foie des requins qu’ils chassent, qui est riche en calories, et laissent le reste de la carcasse intact.

PHOTOGRAPHIE DE Christiaan Stopforth

Les orques sont connues pour chasser des proies parfois très imposantes en groupe, c’est pourquoi le nouveau comportement de Starboard se démarque autant, explique Alison Towner, spécialiste des requins à l’Université de Rhodes, qui a dirigé une nouvelle étude publiée dans la revue African Journal of Marine Science.

« La stratégie de prédation de Starboard nous a vraiment surpris », admet Towner. « Par le passé, nous l’avions vu chasser à proximité d’autres orques et faire preuve d’un travail d’équipe pour parvenir à capturer les requins blancs et accéder à leurs foies. »

Port et Starboard (« Bâbord » et « Tribord » en anglais, nommés ainsi en référence à leurs nageoires dorsales courbées), qui sont probablement frères, chassent et tuent des requins plat-nez et des grands requins blancs dans la région depuis 2015 en utilisant une technique spéciale : les deux orques déchirent la ceinture scapulaire des requins afin d’accéder à leur foie, riche en calories, et laissent le reste des carcasses intact.

Lors de la chasse en solitaire de Starboard, Port a été aperçu à proximité, mais a gardé ses distances ; cela pourrait indiquer que les deux frères sont en train d’apprendre à travailler seuls, bien qu’il soit difficile de le savoir avec certitude.

Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est que « la technique de Starboard met en évidence sa puissance et son expérience », affirme Towner.

UN COMPORTEMENT RARE

Les orques, qui vivent dans les eaux du monde entier, font preuve d’une grande adaptabilité et d’une grande créativité dans leurs stratégies de capture de différentes proies, telles que des requins, des poissons et des mammifères marins, révèle Robert Pitman, écologiste marin à l’Université d’État de l’Oregon.

Pour maîtriser des proies plus grosses, telles que des baleines, certaines orques peuvent chasser « en meute », à la manière des loups, un comportement qui a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années.

Une population de l’Antarctique recourt par exemple à une technique unique pour chasser certaines proies réfugiées sur des morceaux de banquise : les prédatrices foncent ensemble sur la glace puis pivotent sur le côté à l’unisson, créant une vague assez puissante pour déstabiliser et faire basculer leurs proies dans l’eau. En Russie, en 2017, des orques ont également fait équipe pour tuer une baleine boréale, et en Australie, des scientifiques ont observé des groupes d’au moins douze individus en train de tuer des baleines bleues, le plus grand animal de la planète.

Les orques savent toutefois aussi chasser en solitaire. Au large de la côte ouest de l’Amérique du Nord, les orques « travaillent la plupart du temps seules, mais restent en groupe pour de nombreuses autres raisons et partagent souvent leur proie, le saumon, lorsqu’un individu parvient à en attraper un », explique Hanne Strager, biologiste et autrice de The Killer Whale Journals: Our Love and Fear of Orcas.

La chasse en solitaire d’espèces plus grandes présente néanmoins des risques plus importants. « Il est rare de voir des orques en solitaire, probablement parce que la chasse en groupe leur permet de chasser plus efficacement et d’attraper des proies de tailles beaucoup plus variées », suggère Pitman. Elles peuvent également travailler seules si l’animal leur paraît vulnérable (s’il est malade ou jeune par exemple), comme dans le cas du grand requin blanc chassé par Starboard.

« Je ne suis pas surpris, pour être honnête », confie Simon Elwen, chercheur spécialisé en orques et directeur de l’organisation à but non lucratif Sea Search, établie au Cap, en référence à l’exploit remarquable de Starboard.

Le poids moyen des orques mâles tourne autour des 6 tonnes, et dans ce cas, le grand requin blanc ne pesait en effet que 100 kilogrammes environ : « le combat était donc assez inégal », commente Elwen.

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    Selon certains experts, Port et Starboard, qui nagent ici dans les eaux de Mossel Bay en 2023, pourraient apprendre à d’autres orques comment extraire le foie des requins.

    PHOTOGRAPHIE DE Christiaan Stopforth

    UNE MAUVAISE NOUVELLE POUR LES REQUINS

    La nouvelle technique de Starboard pourrait cependant avoir des conséquences négatives pour les espèces de requins de la région. Depuis quelques années, le requin plat-nez et le grand requin blanc ont quitté en nombre la côte sud-ouest de l’Afrique du Sud.

    Selon Towner, après la chasse solitaire de Starboard observée en juin 2023, les grands requins blancs ont quitté la zone pendant environ quatre mois, avant de revenir en plus petit nombre, un comportement que la spécialiste avait déjà observé après de précédentes attaques d’orques.

    La surpêche non réglementée constitue une menace bien plus grande que Port et Starboard pour les populations de requins, mais les prédatrices ont ajouté une pression supplémentaire sur des populations d’animaux déjà en difficulté, poursuit-elle.

    De plus, l’absence des requins plat-nez et des grands requins blancs, qui sont des superprédateurs, pourrait provoquer un effet ricochet sur l’ensemble de l’écosystème de la côte sud-africaine. Par exemple, il est possible que le nombre d’espèces proies, comme les phoques et les poissons, commence à augmenter face à la disparition de leurs prédateurs. Les recherches de Towner indiquent en outre que d’autres espèces de requins, comme le requin-cuivre, commencent déjà à s’emparer de la place de chef.

    « L’impact significatif [de cette équipe d’orques sur les populations de requins] ne doit pas être négligé. »

    Towner continue néanmoins d’être fascinée par le comportement, mais aussi l’assurance dont font preuve ces deux orques, attestée par le « tour d’honneur » effectué par Starboard après sa chasse réussie devant le bateau. « Pourquoi ne pas être un peu théâtral et savourer sa proie quand on est un prédateur aussi efficace ? »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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