Rares images de tendresse entre des baleines en voie de disparition
Il reste moins de 400 baleines franches de l’Atlantique nord à ce jour. Deux mâles baleines franches de l’Atlantique nord (Eubalaena glacialis) ont été vus nageant ensemble, déployant chacun leur nageoire sur le corps de l’autre.
Une femelle baleine franche et un individu non identifié, dont on n’aperçoit que la nageoire caudale, nagent ensemble à la surface de l’océan. Les scientifiques peuvent reconnaître la baleine franche de l’Atlantique nord grâce à ses motifs uniques, appelés callosités, qui parsèment sa tête.
Ils ne forment qu’un. Deux mâles baleines franches de l’Atlantique nord (Eubalaena glacialis) nagent ensemble, déployant chacun leur nageoire sur le corps de l’autre.
On aurait pu croire qu’ils se câlinaient.
« Est-ce qu’ils se témoignent de l’affection ? Ou est-ce de l’amour ? », se demande Michael Moore, expert des baleines franches à l’Institut océanographique de Woods Hole dans le Massachusetts. Il était sur un petit bateau dans la baie du Cap Cod, accompagné d’Amy Knowlton, sa collègue et le photographe Brian Skerry avec son assistant. « Le mot “affection” n'est sûrement qu'hypothétique. »
Les scientifiques ont pris la mer le 28 février dernier afin de recenser le nombre de baleines franches et d’évaluer visuellement leur taille et leur état de santé global. Au printemps, les baleines migrent vers le nord, des eaux chaudes des Caraïbes où elles mettent bas en direction des eaux froides du nord-est des États-Unis et du Canada. Là-bas, le zooplancton dont elles se nourrissent est plus abondant.
M. Moore assure qu’il s’agit de la première fois qu’il observe des baleines franches nager de la sorte. Les scientifiques ont surnommé cette position « ventre contre ventre ». Il explique que la vidéo prise au drone de ces deux mâles, diffusée par Brian Skerry, explorateur National Geographic, offre la plus belle vue du phénomène jamais obtenue.
Les images révèlent ce que les scientifiques appellent un « groupe de baleines actif en surface ». On y aperçoit l’un des deux groupes, observés à quatre heures d’intervalle, en train de nager et possiblement de s’accoupler.
« L’objectif principal que nous souhaitions donner à mon reportage photographique, c’était de susciter l’empathie pour ces animaux », explique M. Skerry. « La science n’a pas réussi à elle seule à engager l’opinion publique. Il s’agit d’une espèce qui pourrait s’éteindre de notre vivant. »
Il reste moins de 400 baleines franches de l’Atlantique nord dans les océans, ce qui en fait l’une des espèces les plus en danger de la planète. Après un siècle de chasse commerciale, la population des baleines a chuté au 20e siècle et leur nombre continue de baisser. Au cours des quatre dernières années, trente-quatre baleines franches de l’Atlantique nord ont été retrouvées mortes sur des plages après s’être enchevêtrées dans du matériel de pêche ou heurtées par des navires. Des autopsies sont menées sur chaque baleine quand elles s'échouent sur la plage afin de déterminer la cause du décès.
Des études suggèrent que les baleines se réunissent en groupe pour jouer, maintenir des relations sociales, s’accoupler ou se préparer à l’accouplement. « Les baleines franches de l’Atlantique nord entretiennent souvent ce genre d’interactions en surface », explique Susan Parks, écologiste comportementale à l’université de Syracuse, dans l’État de New York. « Ce comportement a été observé au sein de l’ensemble des habitats connus, à toute période dans l’année. »
Pour M. Moore, ce qui s’apparentait à une étreinte était plus qu’un simple comportement animalier étrange. « L’une des raisons pour lesquelles [ce phénomène] m’a autant bouleversé, c’est que ces vingt dernières années, il y a eu énormément de mauvaises nouvelles pour les baleines. J’ai effectué de nombreuses nécropsies, en les examinant sur place. »
Ce qui l’a le plus surpris, c’était « la délicatesse de l’ensemble. C’était comme une valse lente. Avoir été aux premières loges d’un moment aussi privé dans ce groupe, c’était en quelque sorte une lueur d’espoir. »
LE PACIFISME DES BALEINES FRANCHES
« Ces individus interagissent, tout simplement », assure Mme Knowlton, de l’aquarium de Nouvelle-Angleterre à Boston, en faisant référence au « câlin ». « On ne sait simplement pas ce que [cette interaction] signifie. »
M. Moore soutient que la vidéo révèle le pacifisme des baleines franches. Lorsque les mâles sont prêts à s’accoupler, ils sont « doux, détendus et délicats ».
« Les baleines se touchent. Les poissons se touchent. Les oiseaux, insectes, souris se touchent. Ce n’est pas nécessairement nouveau ou significatif, c’est simplement très beau à observer », déclare Michelle Fournet, spécialiste des mammifères marins à l’université Cornell, dans l’État de New York. Selon elle, surnommer ce comportement « un câlin », c’est un exemple de notre interprétation impulsive du comportement animalier selon des termes humains. Cette approche anthropomorphique peut fausser la bonne compréhension de leur comportement.
Mais M. Skerry souligne que certains comportements anthropomorphiques ont été soutenus par la science, notamment le deuil des orques ou encore les cris de joie des bélugas.
Lorsqu’il a travaillé sur la série documentaire Les Secrets des Baleines pour Disney+, Brian Skerry explique que « [les scientifiques] disaient que les baleines avaient une culture et une personnalité et de la joie et du chagrin. Il y a quelques années, [ils ne tenaient pas ce discours]. De nombreux scientifiques traditionnels disent tout à fait ce genre de choses aujourd’hui. »
UNE LUEUR D’ESPOIR
Les collisions avec les navires et l’enchevêtrement dans les équipements de pêche sont les deux principaux obstacles au rétablissement des populations de baleines franches de l’Atlantique nord. Leurs taux de natalité sont également en déclin à cause du manque de nourriture au sein de leurs aires d’alimentation, conséquence du changement climatique.
Sur les baleines encore en vie, seule une centaine sont des femelles en âge de se reproduire, capables de donner naissance à un petit tous les trois ans. Ces taux de natalité si bas soulignent l’importance de chaque individu.
En moyenne, trente baleineaux devraient naître chaque année pour pérenniser l’espèce. De décembre 2020 à mars 2021, seuls dix-sept nouveaux-nés ont été observés entre la Floride et la Caroline du Nord. Il s’agit d’un bilan positif, assure-t-il, puisque au cours de ces quatre dernières années combinées, seuls vingt-deux avaient été recensés.
Le U.S. National Marine Fisheries Service est en passe d’établir de nouvelles règlementations pour éviter l’enchevêtrement des baleines dans les cordes disposées pour la pêche au crabe et au homard. L’agence a imposé des limitations de vitesse pour les navires qui traversent les voies migratoires des baleines. Les défenseurs de l’environnement font pression pour l’adoption de mesures plus strictes.
« Il y a si peu de bonnes nouvelles », déplore Michael Moore. « Et ce petit extrait vidéo révèle en quelque sorte une lueur d’espoir. » Même si ces baleines, qui nageaient le long du Cap Cod, ne s’accouplaient peut-être pas réellement, elles « étaient au moins susceptibles de procréer ».
Brian Skerry est un explorateur National Geographic et membre de la rédaction. Cliquez ici pour en savoir plus sur la façon dont la National Geographic Society soutient les explorateurs marins. Ce voyage de recherche a été rendu possible grâce au soutien de la Conservation Law Foundation, de l’Institut océanographique de Woods Hole et de l’aquarium de Nouvelle-Angleterre.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.