En Italie, ces ours pourraient mettre un coup d’arrêt au réensauvagement

Les tensions récentes au sujet de la réintroduction d’ours dans les montagnes italiennes attirent l’attention sur les défis que ces projets posent pour les humains et les animaux.

De Ben Lerwill
Publication 3 mai 2024, 17:12 CEST
Wolves

Parmi les milliers d’espèces animales présentes dans la région méditerranéenne figurent quelques-uns des prédateurs les plus charismatiques d’Europe.

PHOTOGRAPHIE DE Whittaker Wildlife, Alamy

En février 2023, dans un acte controversé, les services forestiers de la province du Trentin, dans le nord de l’Italie, ont abattu un ours brun connu sous le nom de M90. Selon plusieurs témoignages, l’animal aurait scellé son sort en faisant preuve d’une « confiance excessive » parmi les hommes. Deux mois plus tard, en avril, un joggeur a été mortellement attaqué par une ourse accompagnée de ses petits dans cette même région des Alpes. Une situation qui a déchaîné les passions.

S’étendant sur huit pays, la plus grande chaîne montagneuse d’Europe compte quelque 14 millions d’habitants, d’innombrables villes et villages et plus de 8 000 remontées mécaniques. Malgré les apparences, ce n’est pas uniquement le terrain de l’Homme. Sur le continent, seule la région méditerranéenne est en mesure de rivaliser avec la richesse de la flore et de la faune des Alpes. Les plantes endémiques des montagnes y abondent, les forêts tapissent les coteaux reculés et des milliers d’espèces animales y vivent, notamment quelques-uns des prédateurs les plus charismatiques d’Europe. Le problème, c’est que ces carnivores sauvages, aussi impressionnants soient-ils, sont loin d’être appréciés de tous.

Il y a plusieurs siècles, les loups, les lynx, les ours bruns et les vautours peuplaient en très grand nombre les Alpes, où ils vivaient depuis des millénaires. Les alpages étaient truffés d’empreintes de pattes et les hurlements des loups résonnaient dans les vallées éclairées par la lune. Mais avec le temps, les populations de ces animaux ont été décimées, victimes de persécutions et de la réduction de leur habitat. Certaines ont réussi à survivre, mais elles comptaient bien moins d’individus et étaient bien plus fragmentées.

Depuis environ trente ans, des initiatives de conservation et de réensauvagement s’efforcent de protéger ces créatures, allant dans certains cas jusqu’à réintroduire des spécimens pour le bien de l’espèce, mais aussi pour la nature. À la fois chasseurs et charognards, ces animaux sont indispensables à l’équilibre de l’écosystème alpin, souvent fragile. Les ours qui vivent dans la région du Trentin, dont la population est passée de 10 à environ 100 individus depuis la réintroduction des premiers spécimens capturés en Slovénie au début des années 2000, sont bien plus que des fauteurs de troubles velus.

« On a assisté à une forte augmentation des populations de cerfs et de chevreuils, en particulier dans les Alpes », observe Fabien Quétier, responsable de l’aménagement du territoire chez Rewilding Europe. « Lorsqu’ils sont présents dans de telles densités, ces herbivores nuisent à la régénération naturelle de la végétation et peuvent causer les accidents de voiture par exemple. Les prédateurs jouent un rôle important dans leur régulation ».

Le réensauvagement s’accompagne de nombreux bénéfices lorsqu’il est réalisé de manière responsable. « C’est comme si vous remettiez la nature à zéro », explique Natalya Jarlebring, qui travaille pour Milkywire, une organisation européenne qui finance des projets de lutte contre le changement climatique et de protection de la nature dans le monde entier. En d’autres termes, il aide la nature à retrouver son équilibre.

 

LE RETOUR DE LA NATURE

Le réensauvagement fait référence au processus de protection des écosystèmes et au rétablissement de leur fonctionnement naturel, notamment par la réintroduction d’animaux sauvages que l’on trouvait autrefois dans ces derniers. Il implique également souvent la replantation de fleurs et d’arbres endémiques ou le démontage de clôtures pour laisser de la place à la nature. Mais pour des raisons évidentes, c’est la faune qui a tendance à faire la une des journaux.

Les loups, les ours et les bien plus discrets lynx sont connus pour s’attaquer au bétail, ce qui complique le débat. D’où la nécessité d’avoir une perspective d’ensemble, souligne Claudio Groff, responsable de la division Grands carnivores du Département de la faune sauvage du Trentin.

« Dans le Trentin, le pourcentage d’ours pouvant être problématique pour l’Homme est très faible, explique-t-il. Il est généralement estimé entre 5 et 10 % de la population, ce qui est semblable aux autres populations d’ours d’Europe. »

Les amoureux de la faune sont nombreux à se rendre dans le Trentin pour voir des ours.

PHOTOGRAPHIE DE Mattia Riccadonna, Shutterstock

La prudence est donc de rigueur. Claudio explique que la politique officielle du Département envers les « ours à problèmes » repose sur trois éléments : le premier consiste à échanger au sein de la communauté ; le second, à gérer les éléments susceptibles d’attirer les ours vagabonds ; et le troisième, à dissuader les animaux trop confiants de s’approcher des habitations en utilisant des chiens ou en tirant des balles en caoutchouc.

« Si rien ne fonctionne, la solution de dernier recours est d’abattre l’ours », indique-t-il, comme cela a été le cas pour M90. « Ça ne nous fait jamais plaisir ». Claudio tient aussi à souligner qu’en dépit des derniers incidents, un nombre important d’habitants reste favorable au retour des ours et est fier de l’initiative. « Il y a beaucoup de monde dans le Trentin qui est heureux d’avoir ces animaux magnifiques dans notre région, même si tout n’est pas rose, déclare-t-il. Nous devons nous rappeler que les ours étaient présents dans les Alpes bien avant nous. C’est aussi chez eux. »

La question du point de vue et de l’éducation revient régulièrement lorsque le sujet du réensauvagement est évoqué. Ainsi, chaque année dans les Alpes, les attaques de bétail font bien plus de blessés que celles des carnivores. « Une vache aussi peut être dangereuse », fait remarquer Fabien Quétier. Qui plus est, la grande majorité des prédateurs sont actifs la nuit et évitent activement l’Homme.

Comme il n’existe aucun organisme de réglementation commun aux pays de l’arc alpin dédié à la restauration de la nature, la réussite des programmes de réensauvagement (dans le Trentin ou ailleurs) dépend de ce qui est fait au niveau local. « Il est primordial d’inclure les communautés dès le début, en étant à l’écoute de leurs préoccupations, en répondant à leurs besoins, en leur expliquant les avantages du réensauvagement, en créant une relation de confiance avec elles et en encourageant leur implication », insiste Natalya Jarlebring.

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    La population d’ours dans le Trentin est passée de 10 à 100 individus en une vingtaine d’années.

    PHOTOGRAPHIE DE Stefano Politi Markovina, AWL Images

    Paula Mayer, assistante de recherche à l’école polytechnique fédérale de Zurich et spécialiste des conflits Homme-ours, explique que le degré d’acceptation des grands carnivores varie souvent d’un village à l’autre. « Dans les régions montagneuses italiennes, on observe une nette différence dans l’attitude des communautés envers les ours dans les lieux où les organisations se venues discuter avec les habitants et ceux où elles ne se sont pas rendues, indique-t-elle. C’est assez saisissant ».

    Le tourisme a aussi une incidence sur l’acceptation des ursidés. La province du Trentin est, après tout, une destination touristique populaire. Et comme le souligne Paula Mayer, la présence de grands animaux sauvages dans une région peut être une aubaine pour les entreprises de voyage responsable. C’est notamment le cas dans certaines zones d’Amérique du Nord, où les amoureux de la faune se pressent depuis longtemps pour y observer des plantigrades. « C’est la même chose ici dans le Trentin, constate Claudio Groff. Nos ours suscitent l’intérêt des visiteurs. Il est vrai que certains sont un peu inquiets, mais environ 80 à 90 % d’entre eux sont davantage curieux qu’effrayés ».

    Alors que l’industrie des sports d’hiver est en difficulté, les retombées économiques liées à cette activité d’observation sont particulièrement importantes. « La plupart des vallées alpines vivent du ski, mais il devient aujourd’hui de plus en plus délicat d’avoir de bonnes conditions d’enneigement », souligne Fabien Quétier.

    « Les villages de montagne doivent diversifier leurs sources de revenus. Parmi les options qui s’offrent à eux, le réensauvagement est la plus respectueuse de l’environnement. Elle génère aussi des revenus en toute saison. Où que vous skiiez dans les Alpes, vous vous trouvez sur le territoire des loups, et souvent aussi sur celui des lynx ».

    Véritable institution, l’agence de voyages Inntravel propose des randonnées dans les Alpes. La cheffe de produit Alison Temple est consciente des risques. « La couverture médiatique d’un incident comme l’attaque d’un ours dans le Trentin peut donner l’impression que ces évènements sont fréquents, alors que non », observe-t-elle.

    « Les clients qui optent pour nos itinéraires de randonnées les plus difficiles sont des adeptes d’aventure. Notre travail, c’est de leur faire découvrir la nature sauvage des Alpes tout en garantissant leur sécurité ».

    Alors que ces faits divers donnent une mauvaise image des plantigrades, il convient de souligner que, hormis dans le Trentin, les populations d’ours bruns sont sporadiques, voire inexistantes dans les Alpes. Cela changera peut-être à l’avenir. Mais pour l’heure, les projets de réensauvagement d’un autre genre, qui concernent les lynx, les vautours, les loups, les chamois et d’autres espèces, vont de bon train à travers la chaîne montagneuse européenne.

    Ils ont pour objectif de rendre aux vallées alpines leur splendeur d’antan, leur biodiversité si riche. À une époque où tout va très vite, le réensauvagement permet de puiser dans quelque chose de plus profond, qui profite aux locaux et aux voyageurs.

    « Le réensauvagement peut avoir des bénéfices sur le plan culturel et spirituel, estime Natalya Jarlebring. Imaginez une communauté qui se reconnecte à l’environnement qui l’entoure et tisse un lien fort avec la terre. Outre les avantages pratiques, il favorise le sentiment d’appartenance et le développement d’une identité ».

    Cet article a paru dans le guide des Alpes 2024, distribué avec le numéro de mai 2024 de l’édition britannique du magazine National Geographic Traveller.

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