À quoi ressemblerait un monde sans tortues ?
Malgré le rôle essentiel qu'elles jouent pour assurer le bon fonctionnement de nos écosystèmes, de nombreuses espèces de tortues sont aujourd'hui menacées à travers le monde.
L'espèce Chelodina reimanni est parfois nommée « tortue à cou de serpent » (« Reimann’s snake-necked turtle ») en raison de son long cou.
Les tortues ont toujours l’air tranquilles. Nous les voyons parcourir des forêts, prendre le soleil et se prélasser sous des arbres, ce qui peut laisser penser qu’elles vivent une vie de lenteur et de sérénité permanentes.
Pourtant, derrière cette apparence décontractée, ces reptiles à carapace voyagent et travaillent tout au long de leur vie. Des océans aux plages, les tortues traversent les écosystèmes et jouent un rôle crucial dans l’entretien et la diversité de notre planète.
En plus d’être très utiles, ces animaux sont également très appréciés par de nombreuses cultures à travers le monde, à tel point qu’il est rare de voir qui que ce soit en avoir peur ou en dire du mal. Les tortues sont également au cœur de nombreuses mythologies et permettent, en tant que premier animal de compagnie, à de nombreux enfants de faire le lien entre leur maison et le monde naturel, aussi bien terrestre qu’aquatique.
« Tous les animaux dotés d’une colonne vertébrale et d’une carapace sont des tortues », expliquait Jeffrey Lovich, chercheur en écologie à l’U.S. Geological Survey, en 2018. « C’est le seul animal de l’Histoire dont les hanches et les omoplates se trouvent à l’intérieur de la cage thoracique. »
Les espèces de tortues sont généralement divisées en trois groupes en fonction de leur capacité ou non à vivre à proximité d’un cours d’eau : elles peuvent ainsi être marines, aquatiques ou terrestres.
À quoi ressemblerait notre planète sans ces reptiles qui, en plus d’être des figures emblématiques, jouent un rôle bien trop souvent sous-estimé dans le bon fonctionnement de nos écosystèmes ?
UN DÉCLIN PRÉOCCUPANT
Un certain nombre d’espèces de tortues sont déjà menacées de disparition.
Cette tortue Malaclemys terrapin est originaire des Bermudes.
La tortue géante à carapace molle du fleuve Bleu (Rafetus swinhoei) ne compte aujourd’hui plus que deux ou trois individus connus, tous des mâles, et est donc considérée comme éteinte. La tortue fluviale de l’Inde (Batagur baska), une espèce dont les mâles changent de couleur pendant la saison de reproduction, fait quant à elle l’objet de différents programmes d’élevage, notamment en Inde et au Bangladesh, destinés à la sauver d’un risque élevé d’extinction.
Entre 2004 et 2014, les populations de tortues du désert en Californie, au Nevada et dans le sud de l’Utah ont diminué de 37 %.
Ces tortues sont pourtant « protégées par ce qui est peut-être la loi environnementale la plus stricte au monde : l’Endangered Species Act », selon Lovich, auteur principal d’une étude sur le déclin des tortues publiée en 2018 dans la revue Bioscience. Pas moins de 61 % des 356 espèces de tortues connues ont disparu ou ont commencé à être menacées de disparition.
Bien qu’il soit difficile d’imaginer que ces animaux emblématiques puissent connaître un tel déclin, les tortues du monde entier sont bel et bien confrontées à de nombreuses menaces, telles que la surexploitation pour leur viande, le commerce des animaux de compagnie, le changement climatique, la pollution et la destruction de leurs habitats.
Elles ont survécu aux dinosaures, mais « aucune tortue n’aura le temps de suffisamment évoluer pour apprendre à éviter d’être écrasée sur la route », déplorait en 2018 Whit Gibbons, professeur émérite d’écologie à l’Université de Géorgie et coauteur de l’étude susmentionnée.
UN MONDE SANS TORTUES
« Les tortues sont de formidables charognards, elles constituent l’équipe de nettoyage d’une région » en dévorant les poissons morts dans les lacs et les rivières, selon Whit Gibbons.
« Elles ne font aucun mal, mais elles font beaucoup de bien. »
Les tortues fournissent également un abri à de nombreuses créatures grâce aux terriers qu’elles laissent derrière elles. Les terriers creusés par les tortues gaufrées servent par exemple d’abri à pas moins de 350 espèces différentes, dont les chouettes des terriers, les lapins et les lynx roux.
Grâce à leurs talents de bio-ingénierie, elles permettent en outre aux écosystèmes qu’elles habitent de rester en bonne santé, mais aussi diversifiés par le biais des graines qu’elles dispersent. Elles redistribuent également de l’énergie d’un écosystème à l’autre ; en période de nidification, par exemple, les tortues marines laissent environ 75 % de leur énergie sur la terre ferme au travers des œufs qu’elles pondent et des petits qui en éclosent, avant de retourner dans la mer.
UN MONDE MOINS RICHE
En plus de l’importante perte qu’elle provoquerait pour l’écologie mondiale, selon Whit Gibbons, la disparition des tortues représenterait également une « perte culturelle et psychologique » pour de nombreuses sociétés du monde entier. En effet, les tortues sont les seuls reptiles semblant faire l’unanimité. Nombreux sont ceux qui vénèrent leur persistance et leur sérénité.
« Elles sont un véritable modèle de survie. Il serait terrible qu’elles aient tenu le coup pendant 200 millions d’années, tout ça pour que la plupart d’entre elles soient éradiquées en l’espace de seulement quelques siècles. Ce ne serait pas une belle conséquence de l’activité humaine » poursuit Whit Gibbons.
Selon Lovich, pour les protéger, il est essentiel de ne jamais ramener de tortues sauvages chez soi. Si vous souhaitez en adopter une, rendez-vous plutôt dans un centre de sauvetage, où de nombreuses personnes déposent les tortues qu’elles ne veulent plus garder comme animaux de compagnie : cela permettra d’éviter de « libérer » des tortues déjà domestiquées dans la nature où elles ne sauront pas survivre seules.
« Laissez les tortues sauvages à l’état sauvage », implore Lovich. Laissez-les là où elles sont, non seulement pour leur bien, mais aussi pour le nôtre.
Sans ces animaux amusants et uniques, le monde serait par ailleurs tout simplement moins riche. Pour Gibbons, une telle disparition provoquerait la perte d’une autre forme naturelle de bonheur et de joie sur notre planète.
« Si l’on supprimait toutes les grandes roues des parcs d’attractions, les parcs d'attractions existeraient encore, mais ils auraient bien moins d’intérêt, vous ne trouvez pas ? »
Cet article a initialement paru en 2018 sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.