Les taupes sentent "en stéréo" pour repérer de la nourriture (et leurs prédateurs)
La taupe commune est quasiment aveugle mais sa mauvaise vue est compensée par un nez capable de sentir en stéréo.
Taupe commune à la sortie de son terrier dans le Massachussetts.
La plupart des mammifères, y compris les humains, voient et entendent en stéréo. Voir en stéréo signifie ici que l’on voit un objet en trois dimensions.
Toutefois, la présence d’un odorat stéréoscopique n’a été attestée que chez quelques mammifères. Concrètement, cela signifie que chaque narine fonctionne indépendamment de l’autre et envoie différents signaux au cerveau qui sont ensuite traités pour déterminer la direction de l’odeur.
Une précédente étude avait montré que les rats pouvait être entraînés à dire si une odeur provenait de la gauche ou de la droite. Mais une étude parue en 2013, réalisée avec des taupes communes (Scalopus aquaticus), a été la première à montrer un mammifère recourant à un odorat en stéréo dans le cadre de son comportement naturel de recherche de nourriture.
Le biologiste Kenneth Catania a montré que la taupe commune (ou taupe à queue glabre) s’appuyait sur sa capacité à distinguer dans chaque narine de subtiles différences dans l’intensité des odeurs pour localiser de la nourriture.
« Au début, j’étais complètement sceptique. Je ne pensais pas vraiment que c’était possible, en partie parce que les narines sont assez rapprochées », confesse Kenneth Catania de l’Université Vanderbilt de Nashville, aux États-Unis.
À VUE DE NEZ
Dans le cadre d’une expérience, Kenneth Catania a placé une taupe dans une arène circulaire contenant des puits à nourriture espacés le long d’un demi-cercle. Des morceaux de vers découpés ont été placés aléatoirement dans différents puits. Kenneth Catania a ensuite temporairement scellé cette chambre de sorte à pouvoir détecter des variations dans la pression atmosphérique et ainsi savoir quand la taupe reniflait.
Quand une taupe entrait dans la chambre, elle commençait par renifler l’air et, en l’espace de cinq secondes à peine, fondait sur les morceaux de vers. « Elle remuait le nez […] et ensuite allait tout droit vers la nourriture dans ce qui avait tout l’air d’être une ligne droite », décrit Kenneth Catania, dont les recherches ont été publiées le 5 février 2013 dans la revue Nature Communications.
Lors d’une autre expérience, Kenneth Catania a bouché les narines d’une des taupes avec un petit tube en plastique. Quand la narine gauche était bouchée, les taupes se déportaient systématiquement vers la droite, et quand leur narine droite était bouchée, elles se déportaient vers la gauche.
Selon Kenneth Catania, ces résultats ressemblent de manière frappante à ceux d’une étude majeure sur les effraies des clochers (Tyto alba) réalisée en 1979 qui a montré que le blocage d’une des oreilles de cette espèce de chouette avait pour effet de lui faire méjuger la provenance d’une source sonore.
Kenneth Catania a également inséré de petits tubes de plastique dans les narines des taupes afin de les faire se croiser. Ainsi, la narine droite reniflait de l’air du côté gauche de l’animal et la narine gauche reniflait de l’air du côté droit. Quand les narines étaient ainsi inversées, les taupes confuses furetaient en faisant des allées et venues de manière répétée.
Bien que cela leur ait pris plus longtemps que d’ordinaire pour localiser la nourriture quand leurs narines étaient bouchées ou inversées, les taupes ont généralement réussi à la trouver au bout d’un moment. Kenneth Catania pense que c’est dû au fait que les taupes ne s’appuient pas uniquement sur leur odorat en stéréo pour dénicher de la nourriture.
Ces animaux testent simultanément l’intensité d’une odeur à différents endroits, comparent ces intensités et se dirigent là où l’odeur est la plus forte, une stratégie que la plupart des mammifères, y compris les humains, emploieraient.
L’ODORAT EN STÉRÉO AIDE À ÉVITER LES ENNEMIS
Upinder Bhalla, neuroscientifique du Centre national des sciences biologiques de Bangalore, en Inde, a confirmé en 2006 que les rats sont capables de sentir en stéréo.
Selon lui, la capacité à sentir en stéréo est utile aux animaux qui doivent prendre des décisions rapidement.
« Si vous pouvez localiser la direction d’un chat en reniflant une seule fois plutôt que deux, vous avez plus de chances de survivre », affirme-t-il par e-mail.
« De manière similaire, si vous êtes plus précis dans votre pistage d’une odeur pour remonter à sa source, en particulier au sein du riche mélange d’odeurs de la nature, vous avez plus de chances de trouver cette source et de la trouver rapidement. »
Upinder Bhalla suspecte que la capacité à sentir en stéréo pourrait être très répandue chez les mammifères, et donc chez les humains aussi. En 2010, une étude de Noam Sobel, neuroscientifique de l’Université de Californie à Berkeley, a par exemple suggéré que les humains se servent eux aussi de leurs deux narines pour localiser les odeurs.
« Même les humains peuvent le faire s’ils y sont contraints, mais nous le sommes rarement », explique Upinder Bhalla. Par exemple, pour l’étude de 2010, on avait demandé aux participants de se mettre à quatre pattes dans l’herbe et de pister une odeur de chocolat.
« Je m’attends naturellement à ce que tous les animaux [dépendant] fortement de leur odorat, c’est-à-dire une grande partie d’entre eux, soient capables de sentir en stéréo. »
Kenneth Catania s’accorde à dire que d’autres mammifères pourraient renifler en stéréo, mais « en ce qui concerne les humains, je reste très sceptique, et penche plutôt pour un non », déclare-t-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.