Sous les mers : récit d'une session photo extraordinaire

Alors qu'un crocodile s'approche de sa femme, un photographe doit se décider : faut-il intervenir ou prendre un cliché ?

De David Doubilet, Jennifer Hayes
PHOTOGRAPHIE DE David Doubilet
Cet article a paru dans le numéro de juin 2018 du magazine National Geographic.

David Doubilet : À une centaine de kilomètres au sud de Cuba se trouve le parc national des Jardins de la Reine, une réserve marine constituée de cayes, d’îlots de mangrove et de récifs. Lors d’un reportage précédent avec Jennifer Hayes, mon  épouse et ma partenaire photographique, nous avions témoigné de la santé des récifs coralliens, qui grouillaient de poissons et de requins, et des mangroves, où patrouillaient des crocodiles. Nous savions que le temps, l’essor du tourisme et le  changement climatique pouvaient altérer ce parc d’une superficie de quelque 2 200 km2. Quinze ans plus tard, nous y sommes donc retournés afin de voir comment il évoluait.

Nous étions dans le chenal d’une mangrove pour photographier des Cassiopeia, ces méduses posées à l’envers. Jennifer, qui me tournait le dos, se concentrait sur un spécimen au-dessus d’elle. Dans le coin de mon viseur, j’ai aperçu un crocodile américain de bonne taille qui dérivait avec le courant. En le mitraillant, j’ai réalisé qu’il allait arriver directement entre Jennifer et moi. Je me suis mis à émettre des sons dans mon détendeur de plongée et à avancer vers Jen, en envoyant des flashs pour la prévenir qu’on avait de la compagnie. Elle a vite
remarqué mes signaux et s’est retournée.

Jennifer Hayes : Je me suis retrouvée face au crocodile. À la fois étonnée et très contente, j’ai dit bonjour à l’animal dans mon détendeur.

PHOTOGRAPHIE DE Jennifer Hayes

DD : Elle a levé le pouce vers moi et a lâché un « saluuuut, beau gosse » en se penchant vers lui pour faire son portrait. J’ai été épaté par la manière dont elle a abordé l’animal avec respect, calme, curiosité et joie. Sans céder à la peur, elle a entrepris d’immortaliser cette rencontre.

 

JH : Je ne me suis pas sentie en danger. Cela faisait plusieurs jours que j’observais ces crocodiles se baladant dans les parages, farfouillant dans la mangrove et dormant à découvert. J’avais appris à connaître leur comportement – et, en cas de besoin, le caisson d’étanchéité de mon appareil photo pouvait faire office de bouclier.

Mais qu’on ne se méprenne pas : j’étais à l’aise avec cette espèce, à cet endroit et à ce moment précis. J’aurais sans doute eu peur face à une espèce plus agressive, comme le crocodile du Nil ou le crocodile marin, dans un environnement différent.

 

DD : Quand les gens voient cette photo, les réactions vont de l’émerveillement à l’horreur, en passant par la stupéfaction. La réalité, c’est que le crocodile est vite reparti vaquer à ses occupations. Et que nous avons continué à traquer les méduses.

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    JH: On me demande souvent si j’étais en colère que David ait pris une photo au lieu d’essayer de me « sauver ». Ce qui m’aurait mise en colère, c’est qu’il n’immortalise pas la scène. J’étais une étrangère dans le monde de ce crocodile ; il est normal qu’il soit venu voir qui j’étais.

    DD: Jennifer et moi avons souvent annulé des plongées avec des animaux agressifs – à la fois pour notre sécurité et la leur. Mais cette rencontre a confirmé ce que nous avions pu constater avec plaisir dans les Jardins de la Reine : le parc est en bonne santé. Le crocodile est une espèce témoin, un signe
    que l’écosystème marin est préservé puisqu’un grand prédateur peut s’y nourrir (ce n’est pas le cas dans d’autres zones des Caraïbes, touchées par la surpêche et les dégradations).

    Cette réserve est un modèle de préservation de la nature car les autorités la surveillent et la protègent activement. La plus grande ouverture de Cuba au tourisme ne manquera pas d’accroître la pression démographique : il est donc essentiel de maintenir un équilibre entre écotourisme, exploration et conservation. C’est possible si les visiteurs adoptent la même philosophie que nous face à ce crocodile inquisiteur et à toutes les autres créatures marines. Quand nous pénétrons dans l’océan, nous devons respecter ses règles, pas lui imposer les nôtres.

    La biologiste marine Jennifer Hayes et le  photographe David Doubilet sont des collaborateurs réguliers du magazine. Ambassadeur de Rolex, David Doubilet participe au nouveau partenariat entre Rolex et National Geographic. La devise de cette alliance, « Engagés pour préserver la planète », reflète sa mission : promouvoir l’exploration et la
    préservation des océans, des pôles et des montagnes.

    National Geographic a produit ce contenu dans le cadre de son partenariat avec Rolex.

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