Le patrimoine méditerranéen menacé par la montée des eaux
Une équipe de géographes a dressé la liste des monuments du patrimoine mondial qui pourraient être touchés par l’élévation du niveau de la mer sur les côtes méditerranéennes d’ici la fin du siècle.
Faudra-t-il bientôt déplacer le célèbre palais des Doges, situé au bord de la lagune de Venise, ou la cathédrale Saint-Jacques de Šibenik, sur la côte croate ? L’Italie, la Croatie, la Tunisie et la Grèce sont les pays méditerranéens dont le patrimoine est le plus exposé à la montée des eaux. C’est ce que vient de révéler une équipe de chercheurs britanniques et allemands dans la revue Nature, en octobre 2018.
Ils ont établi une liste de 49 sites méditerranéens du patrimoine mondial se trouvant à moins de 10 m au-dessus du niveau de la mer – et donc potentiellement en danger. En France, seul Arles correspond à ce critère.
« Nous avons ensuite utilisé trois scénarios courants d’évolution du climat à l’horizon 2100 (RCP2.6, RCP4.5 et RCP8.5), en les associant à une montée médiane du niveau des eaux, explique Lena Reimann, l’auteure principale de l’étude. Puis, un quatrième modèle d’élévation des eaux plus alarmiste a été défini, basé sur les valeurs les plus hautes d’élévation du niveau de la mer du pire des trois scénarios. » Ces quatre modèles prévisionnels sont en accord avec le cinquième rapport du Giec (2014), qui envisage une hausse de la Méditerranée allant de plus de 0,5 m à 1,46 m, entre le début et la fin du siècle.
Les scientifiques ont également identifié deux grands risques associés à ce phénomène : les inondations et l’érosion des côtes. Selon leurs projections, en prenant comme référence l’année 2000, ces risques augmenteront respectivement de 50 % et 13 % d’ici à 2100. Seuls deux sites de la liste seraient épargnés par ces catastrophes : la Medina, à Tunis, en Tunisie, et les ruines grecques de Xanthos-Letoon, en Turquie.
RISQUES D’INONDATION
Quel que soit le modèle prévisionnel envisagé, l’étude montre que 93 % des sites risquent de connaître des inondations. Trente-sept pourraient même être affectés par des inondations centennales, soit une crue ayant 1 % de chance d’avoir lieu tous les ans d’ici à la fin du siècle. Si l’on prend en compte le scénario le plus alarmiste, Venise et sa lagune, en Italie, les sites de la côte adriatique, notamment la vieille ville de Kotor, en Croatie, la ville punique de Kerkouane et sa nécropole, en Tunisie, Ephèse, en Turquie seraient particulièrement touchés par ce phénomène. La ville d’Arles (en vert sur la carte b), en revanche, serait relativement épargnée.
RISQUES D’ÉROSION
Quant à l’érosion, les quatre modèles prévoient qu’elle affectera 91 % des sites de la carte. Si l’on se fonde sur la projection la plus pessimiste, 46 sites du patrimoine méditerranéen seront concernés. Parmi les plus menacés : les vestiges antiques de l’île de Samos, en Grèce ; l’ensemble archéologique de Tarraco, à Tarragone, en Espagne ; la ville de Tyr, au Liban ; et de nombreux sites d’Italie, dont Syracuse, les ruines de Paestum, les sites de la côte Amalfitaine et, à nouveau, la région de Venise.
PLAN DE SAUVETAGE
Comment préserver ce patrimoine en péril ? Pour les chercheurs, la relocalisation des sites semble trop compliquée à mettre en œuvre. Ils proposent, en revanche, de s’inspirer d’applications pour smartphone développées par le Service des parcs nationaux des États-Unis et par le Scottish Natural Heritage, pour suivre avec précision l’évolution de l’érosion côtière.
Autre modèle à suivre, selon les auteurs de l’étude : le projet de construction de petites barrières submergées (ou MOSE, pour module expérimental électromécanique), entamé en 2003 pour protéger Venise de la montée des eaux. Les scientifiques espèrent que leur travail encouragera les autorités locales à prendre des mesures de protection dans les zones concernées. Par le biais de ce travail, portant sur des sites de renommée internationale, ils cherchent également à sensibiliser le grand public à la question, plus globale, de l’élévation du niveau des mers à l’échelle planétaire.
Dans le numéro de novembre 2018 du magazine National Geographic, le photoreportage de Mathias Depardon sur le projet controversé du barrage d’Ilısu, qui engloutira 300 sites archéologiques du sud de la Turquie.